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Limitation des allocations d’insertion à 36 mois : examen d’une discrimination possible en cas d’incapacité de travail

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), Chbre 2-G, 22 novembre 2023, R.G. 2023/AL/71

Mis en ligne le jeudi 2 mai 2024


C. trav. Liège (div. Liège), Chbre 2-G, 22 novembre 2023, R.G. 2023/AL/71

Dans un arrêt du 22 novembre 2023, la Cour du travail de Liège ordonne la réouverture des débats sur une éventuelle discrimination entre chômeurs, découlant de ce que les périodes d’incapacité de travail sont prises en considération pour le calcul de la durée maximale de chômage

Faits de la cause

Mme B., née le 17 avril 1990, a été admise au bénéfice des allocations sur la base de ses études le 7 octobre 2013.

Elle a été en incapacité de travail en septembre 2015 jusqu’au 14 décembre 2018.

Elle a, pendant cette période d’incapacité, perdu le bénéfice des allocations d’insertion à partir du 7 octobre 2017, soit à l’expiration de la période de 36 mois calculée de date à date.

Mme B. a introduit un recours contre cette décision d’exclusion devant le tribunal du travail de Liège (division Liège) par une requête du 3 décembre 2021.

Par jugement du 19 janvier 2023, le tribunal a dit ce recours recevable, l’a dit fondé en son principe pour violation de l’obligation de standstill par l’article 63, § 2, de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 tel que modifié par l’arrêté royal du 28 décembre 2011 et a condamné l’ONEm à rétablir la chômeuse dans ses droits à partir du 18 septembre 2020, date de sa réinscription comme demandeur d’emploi.

Mme B. a interjeté appel de ce jugement en ce qu’il ne lui a réoctroyé le droit aux allocations qu’à partir de sa réinscription comme demandeuse d’emploi et non à partir de la fin de son incapacité de travail.

L’ONEm a interjeté appel incident sur la recevabilité du recours et la violation de l’obligation de standstill.

L’arrêt commenté

Sur la recevabilité du recours, l’arrêt analysé rappelle la teneur des articles 2, 8°, 7, 14 et 23 de la loi du 11 avril 1995 visant à instituer la Charte de l’assuré social et 63, § 2, et 146 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991.

La cour du travail retient que deux décisions distinctes ont été prises par l’ONEm, la première étant celle d’octroyer les allocations d’insertion à Mme B. pour une période limitée et la seconde une décision d’exclusion qui intervient au moment de la fin de droit effective.

L’ONEm soutient à tort que la décision de fin de droit n’est qu’une application mécanique de la réglementation : il s’agit bien d’un acte juridique de portée individuelle au sens de l’article 2, 8°, de la Charte, qui requiert une appréciation au cas par cas pour déterminer la date de fin précise, en tenant compte notamment des périodes neutralisées en application de l’article 63, § 2. Cette décision devait donc contenir les mentions prévues par l’article 14 de la Charte et devait être notifiée au chômeur par l’ONEm. L’information de l’organisme de paiement que le chômeur ne percevra en principe plus d’allocations à partir d’une certaine date pouvant être postposée n’est qu’une information intermédiaire.

L’ONEm n’établissant pas qu’une décision d’exclusion portant toutes les mentions requises aurait été notifiée à Mme B., son recours est recevable.

Sur le fond, la cour du travail commence par examiner les critiques formulées par Mme B. sur l’arrêté royal du 28 décembre 2011 ayant instauré la limitation dans le temps des allocations d’insertion et les écarte. Cette partie de l’arrêt ne sera pas commentée, dès lors que la jurisprudence de la Cour du travail de Liège est actuellement de manière constante en ce sens que cet arrêté ne viole pas les lois coordonnées sur le Conseil d’Etat et que, s’agissant de chômeurs de moins de 50 ans, il ne viole pas non plus l’obligation de standstill. Plusieurs de ces décisions sont publiées sur www.terralaboris.be, dont un arrêt du 23 février 2023 (R.G.2022/AL/133) publié avec une note se référant à d’autres arrêts de cette cour et soulignant notamment qu’aucune conséquence n’avait été tirée de la longue incapacité de la chômeuse pendant la période de 36 mois à laquelle les allocations d’insertion sont limitées.

L’arrêt analysé relève que, pendant leur période d’incapacité de travail, les jeunes chômeurs n’ont pu bénéficier de l’accompagnement et du suivi de leurs efforts d’insertion, étant dispensés de toute obligation de recherche active d’emploi et pose la question : « Ces jeunes chômeurs ne seraient-ils pas, ainsi, traités de la même manière que les chômeurs aptes au travail alors qu’ils ne se trouveraient pas dans une situation comparable ne fût-ce qu’en termes (d’obligation) de recherche active d’emploi et d’accompagnement et de suivi de leurs efforts d’insertion et ce, sans qu’existe pour ce faire une justification raisonnable ? ».

Cette question n’ayant pas été abordée par les parties, la cour ordonne la réouverture des débats.

Elle invite également les parties à examiner :

  • l’incidence concrète de cette éventuelle violation des articles 10 et 11 de la Constitution sur les droits de Mme B., dans la mesure où il devrait être considéré qu’elle découlerait d’une lacune réglementaire et notamment le point de savoir si « la Cour disposerait (…), le cas échéant, du pouvoir de combler cette lacune et, le cas échéant, dans quelle mesure et selon quelles modalités concrètes »
  • si et quand Mme B. aurait dû introduire et le cas échéant aurait introduit une nouvelle demande d’allocations à la suite de la fin de son incapacité de travail et, dans l’hypothèse où une nouvelle demande devait être introduite, quelle serait également l’incidence concrète d’un défaut de nouvelle demande ou du caractère éventuellement tardif de la demande qui aurait été introduite par Mme B. sur ses droits. La cour précise que cette question doit être examinée notamment au regard des articles 133 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 et 90, 91 et 95 de l’arrêté ministériel du 26 novembre 1991.

Intérêt de la décision commentée

L’intérêt essentiel de l’arrêt est la question d’une éventuelle discrimination entre les chômeurs inscrits comme demandeurs d’emploi pendant toute la période de 36 mois et ayant donc bénéficié d’un accompagnement des services de l’emploi et ceux qui, par l’effet d’une maladie, ont perdu le bénéfice de ce suivi.

L’arrêt commenté est également révélateur des difficultés concrètes que pose l’application de cette modification de la réglementation adoptée dans l’urgence d’une fin d’année alors qu’elle réduit sensiblement les droits des chômeurs bénéficiant d’allocations d’insertion.

La jurisprudence de la Cour du travail de Liège est constante en ce sens que c’est à bon droit que l’urgence a été invoquée pour obtenir l’avis du Conseil d’Etat dans les 5 jours.

Mais l’arrêt commenté illustre les problèmes que pose cette modification réglementaire qui introduit une fin de droit automatique sans apparemment que les conséquences de cette automaticité aient été examinées au regard de la charte de l’assuré social et de la réglementation du chômage.


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