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Usage impropre du chômage temporaire par l’employeur

Commentaire de C. trav. Mons (Chbre 4), 15 mars 2023, R.G. 2022/AM/88

Mis en ligne le mardi 6 février 2024


C. trav. Mons (Chbre 4), 15 mars 2023, R.G. 2022/AM/88

Dans un arrêt du 15 mars 2023, la Cour du travail de Mons conclut, en cas d’usage impropre du chômage temporaire par l’employeur, à l’exclusion du travailleur, lors de la faillite de l’employeur, du bénéfice des allocations de chômage et à l’obligation pour celui-ci de les rembourser en cas d’intervention partielle du Fonds de fermeture.

Faits de la cause

M. D.Y. a été occupé en qualité d’ouvrier par la SPRL Balgo Clean.

Il a bénéficié de septembre 2010 à mars 2011 d’allocations de chômage temporaire pour manque de travail résultant de causes économiques et/ou d’intempéries sur la base des déclarations faites par son employeur, qui a mentionné une adresse de chantier à Deinze. Or, il s’est avéré que son employeur n’avait jamais travaillé en sous-traitance pour ce chantier. En outre, il n’était plus autorisé à communiquer du chômage temporaire depuis le 2 janvier 2010.

Convoqué par le service central du contrôle de l’ONEm pour s’expliquer à ce sujet, le gérant de la société ne s’est pas présenté. Un pro-justitia a donc été dressé à charge de la société et de son gérant.

M. D.Y. a été convoqué pour une audition au bureau de chômage le 20 septembre 2011. La convocation explique que son employeur a fait un usage impropre du chômage temporaire, que les allocations devront être remboursées mais qu’il a droit à une rémunération à charge de son employeur et que le directeur du chômage prendra une décision sur son droit aux allocations compte tenu de sa déclaration.

M. D.Y. a précisé lors de son audition qu’il n’était pas d’accord de rembourser pour une faute de l’employeur et qu’il savait qu’il pouvait réclamer ses salaires par l’intermédiaire de son organisation syndicale.

Il est alors reconvoqué par l’ONEm le 13 octobre 2011 et la convocation lui indique qu’une décision sera prise sur son droit aux allocations en tenant compte de sa déclaration. Il ne se présente pas à l’audition.

Par une décision du 21 octobre 2011, l’ONEm retient que l’employeur n’a pas repris les chantiers exacts sur lesquels il a mis ses travailleurs en chômage et qu’en outre cet employeur n’était plus autorisé à communiquer du chômage économique depuis le 2 janvier 2010. M. D.Y. n’avait donc pas droit aux allocations de chômage temporaire mais avait droit à une rémunération. Les allocations de chômage versées entre le 1er septembre 2010 et le 31 mars 2011 ont donc été versées indûment en vertu des articles 44, 46 et 106 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 et doivent être remboursées. Le C31 du 21 octobre 2011 fixe l’indu à 6.246,90€ pour la période du 1er octobre 2010 au 31 mars 2011.

M. D.Y. a introduit contre ces décisions des recours recevables auprès du tribunal du travail du Hainaut (div. La Louvière) et, par conclusions déposées le 23 août 2021, l’ONEm a introduit une demande reconventionnelle sollicitant la condamnation de M. D.Y. à rembourser la somme de 6.246 € perçue indûment.

Entretemps, son ex-employeur a été déclaré en faillite le 30 janvier 2012 et M. D.Y. a introduit auprès du Fonds d’indemnisation des travailleurs licenciés en cas de fermeture d’entreprises (ci-après FFE), une demande d’indemnisation qui porte notamment sur ses rémunérations des mois d’octobre 2010 à mars 2011.

Le Fonds a pris en charge son indemnisation. Aucun décompte détaillé précisant l’intervention du FFE n’a été déposé en justice mais le conseil de M. D.Y. à confirmé à la cour du travail que l’intervention du FFE était conforme à la demande dans les limites du plafond de 6.750 € prévu par l’arrêté royal du 23 mars 2007 portant exécution de la loi du 26 juin 2002 relative aux fermetures d’entreprise.

Le jugement du tribunal

Suite au recours de l’intéressé, le tribunal a par jugement du 10 février 2022 confirmé la décision administrative du 21 octobre 2011 mais a dit prescrite la demande reconventionnelle de l’ONEm.

L’appel

Celui-ci a introduit un appel principal contre la décision relative à la prescription et M. D.Y. a, par conclusions, introduit un appel incident. Il s’en réfère en justice sur la question de l’exclusion du droit aux allocations mais s’oppose au montant de la récupération de l’indu, fixant celui-ci à la somme nette de 4.246,45€. Il demande la confirmation du jugement quant à la prescription de la demande reconventionnelle.

L’arrêt de la cour

Sur l’exclusion du droit aux allocations, l’arrêt analysé rappelle les principes applicables : pour bénéficier des allocations, le chômeur doit être privé de travail et de rémunération par suite de circonstances indépendantes de sa volonté, ce qui inclut les sommes dues par l’employeur lorsqu’il suspend l’exécution du contrat sans respecter les dispositions qui encadrent cette suspension et notamment celles de communication à l’ONEm, prévues par l’article 3 de l’arrêté royal du 3 mai 1999, qui précise les obligations de communication au bureau de chômage dans le secteur de la construction.

En l’espèce, pour les mois d’octobre 2010, novembre 2010 et février 2011, l’employeur a communiqué l’adresse d’un chantier alors qu’il n’y était pas actif. Il devait donc la rémunération à M. D.Y., qui a d’ailleurs fait valoir ce droit auprès du Fonds de fermeture des entreprises. L’exclusion du droit aux allocations est en conséquence justifiée.
Par ailleurs, l’exclusion du droit aux allocations pour les mois de septembre 2010 à mars 2011 est confirmée, les communications ayant été effectuées par une personne qui n’était plus le gérant et ont été transmises au mauvais bureau de chômage. M. D.Y. avait donc droit à une rémunération et l’a fait valoir auprès du Fonds de fermeture.

Sur la récupération de l’indu, M. D.Y. sollicite la limitation de la récupération à la somme nette reçue du Fonds en se fondant sur l’article 169, alinéa 6 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 portant réglementation du chômage, qui autorise la non récupération lorsque l’exécution du contrat n’a pas été valablement suspendue si certaines conditions sont simultanément réunies (étant que l’ouvrier n’a pas pu, en raison de la faillite ou de la fermeture, obtenir le paiement auquel il avait droit, qu’il n’a pas plus pu l’obtenir du Fonds d’indemnisation et que d’autres ouvriers occupés pendant la période de suspension non valable ont été normalement rémunérés).
L’arrêt reproduit (12e et 13e feuillet) le commentaire administratif de l’ONEm sur cette disposition.

La cour du travail décide que M. D.Y. ne peut se prévaloir de celle-ci dans la mesure où il ressort des déclarations de son conseil qu’il a été indemnisé par le Fonds notamment pour les rémunérations d’octobre 2010 à mars 2011, visées dans sa demande au FFE dans les limites du plafond de 6.750€ bruts prévus par la réglementation. L’arrêt se réfère en ce sens à un arrêt de la Cour du travail de Mons (C. trav. Mons (5e chbre), 7 mai 2020, R.G. 2019/AM/26).

Il cite également un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles (7e chbre) du 1er mars 2007 (RG 46.477). Dans ce cas d’espèce, le débat portait cependant sur la troisième condition de l’article 169, al. 6, et non sur l’absence d’intervention du Fonds.

L’arrêt examine ensuite si l’article 169, al. 5, de l’arrêté royal organique, qui autorise la limitation au montant brut des revenus non cumulables, peut être utilement invoqué et écarte cette possibilité, l’intervention du Fonds (6.750€) excédant le montant de l’indu (6.246,90€).

L’appel principal de l’ONEm quant à la décision des premiers juges de déclarer prescrite sa demande reconventionnelle est déclaré fondé et la demande reconventionnelle de l’ONEm recevable et fondée.

L’arrêt rappelle à ce sujet :

  • que l’ONEm bénéficie du privilège du préalable et peut donc se délivrer un titre exécutoire, ce qu’il a fait en ordonnant la répétition des allocations dès le 21 octobre 2011, soit dans le délai de prescription de l’article 7, § 13, al.1, et 2, de l’arrêté-loi du 28 décembre 1944 ;
  • que l’action de l’ONEm en récupération de l’indu n’est par contre pas soumise à un délai spécifique de prescription et se prescrit donc par dix ans conformément à l’article 2262bis du Code civil ; l’arrêt cite à cet égard plusieurs arrêts de la Cour de cassation. Il précise que ce délai prend cours après que la décision a été prise par le directeur, citant L. MARKEY « L. MARKEY, Le chômage : statuts particuliers et procédure, vol.2 EPS, Kluwer 2017, p.577) ;
  • qu’une demande reconventionnelle ou incidente introduite par conclusions produit le même effet que les causes d’interruption civile de la prescription citées par l’article 2244 du Code civil (en se référant notamment à G. DE LEVAL, Eléments de procédure civile, 2e éd., Larcier, 2005, pp 49 et 148).

La demande reconventionnelle introduite dans les 10 ans de la décision administrative est donc recevable.

Elle est déclarée fondée et M. D.Y. est condamné à rembourser à l’ONEm les allocations de chômage perçues indûment.

Intérêt de la décision analysée

Cet arrêt illustre les difficultés que peut rencontrer un travailleur lorsqu’un employeur fait un usage illégal du chômage temporaire.

C’est parce que, dans ce cas de figure, la loi du 3 juillet 1978 accorde à ce travailleur le droit à la totalité de sa rémunération que les allocations de chômage doivent être remboursées mais les explications de l’ONEm ont pu donner dès le départ à M. D.Y. un sentiment d’injustice : devoir payer pour une faute de l’employeur.

Ensuite, suite à la faillite de l’employeur, les sommes dues par celui-ci au titre de rémunération ont été plafonnées, sans que l’on puisse déterminer exactement ce que le travailleur y a perdu, aucun décompte de l’intervention du FFE n’ayant été produit.

Cet arrêt nous permet de souligner une évolution de la réglementation relative à l’indemnisation par le FFE.

La loi du 26 juin 2002 relative aux fermetures d’entreprises donne, en son article 35, mission au Fonds de fermeture d’entreprises de payer notamment les rémunérations dues aux travailleurs lorsque l’employeur ne s’en est pas acquitté et son article 37 permet au Roi de fixer un montant maximum pour ces paiements.

L’article 24 de l’arrêté royal du 28 mars 2007 portant exécution de cette loi fixait à l’origine deux plafonds aux paiements :

  • l’alinéa 1er fixait un montant maximum de 6.750 euros pour les rémunérations, pour les indemnités, à l’exception de l’indemnité de congé résultant de la rupture du contrat de travail, ainsi que pour les avantages qui sont dus au moment où le contrat de travail prend fin ;
  • l’alinéa 2 fixait un montant maximum global de 25.000 euros par fermeture d’entreprise pour l’ensemble des paiements effectués en application du titre IV, chapitre II, section 3, de la loi.

Ces montants n’étaient pas indexés.

Ce double plafond explique que la jurisprudence et la doctrine aient été amenées à vérifier la qualification de diverses indemnités, comme l’indemnité pour licenciement abusif ou l’indemnité d’éviction au regard de la notion d’indemnité de congé (Cass.11 décembre 2017, S.16.0026.F et Cass.12.12.2022, S.20.0100F, ainsi que plusieurs décisions en sens divers des juridictions de fond.

L’article 24 de l’arrêté royal du 23 mars 2007 a été modifié par l’arrêté royal du 26 décembre 2022 (M.B. 09.01.2023), applicable aux fermetures à partir du 1er juillet 2022. L’alinéa 1er a été abrogé. Sauf pour les indemnités de prépension, il n’y a donc plus qu’un seul plafond, ce qui supprime la controverse. Le montant de ce plafond a été porté à 30.500 €.

Il n’y a pas de préambule à cet arrêté royal et le Conseil d’Etat a été invité à donner son avis dans le délai de 5 jours, si bien que celui-ci ne nous éclaire pas sur la motivation de cette abrogation. Il ressort juste de cette publication que le Secrétaire d’Etat au Budget a déclaré qu’il n’était pas en mesure de donner son accord, en fait de quoi le Conseil des Ministres a décidé, en date du 17 juin 2022, de ne pas en tenir compte.

Par contre, l’avis du Conseil National du Travail 2.290 de 2022 se réfère à l’absence d’indexation pour justifier l’augmentation du plafond global.

A notre estime, la modification présente aussi l’intérêt de ne pas favoriser l’indemnité de congé au détriment d’autres sommes dues au travailleur, dont les rémunérations.


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