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Perte du droit aux prestations dans le secteur soins de santé et indemnités

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 8 juin 2023, R.G. 2022/AL/174

Mis en ligne le samedi 13 janvier 2024


C. trav. Liège (div. Liège), 8 juin 2023, R.G. 2022/AL/174

Par arrêt du 8 juin 2023, la Cour du travail de Liège (division Liège) rappelle qu’une période ininterrompue de non-assujettissement de plus de 30 jours provoque la ‘sortie’ de l’assurance indemnités et prive le titulaire du droit aux indemnités.

Les faits

Après sa séparation d’avec le père de ses enfants (2014), une bénéficiaire d’allocations d’insertion se maintient à l’adresse du couple. Elle fait deux déclarations (C1) selon lesquelles elle cohabite uniquement avec ses enfants. Elle perçoit dès lors des allocations comme travailleur ayant charge de famille.

Par la suite, elle connaît plusieurs périodes d’incapacité de travail et est indemnisée dans le secteur soins de santé et indemnités.

Une enquête est effectuée à l’initiative de l’ONEM et de l’auditorat du travail.

Ultérieurement, en janvier 2017, le couple se remet ensemble.

Le compagnon donne des explications lors d’une audition à la police en date du 3 février 2017, précisant qu’il loge chez la mère des enfants ‘deux ou trois fois par semaine’, qu’il donne à sa compagne de l’argent de la main à la main et fait de temps en temps les courses. Il confirme qu’ils viennent d’avoir un troisième enfant et qu’un essai de cohabitation est réentrepris. Il ajoute ne jamais avoir ‘vraiment cessé d’être en couple’ mais que l’entente était meilleure du fait qu’il avait un autre endroit où rentrer en fin de journée.

D’autres déclarations complémentaires confirment la situation du couple sur le plan financier.

L’ONEM prend une décision le 4 juillet 2017, estimant que la déclaration initiale faite par la mère des enfants ne correspond pas à sa situation familiale. Il lui est fait grief de n’apporter aucun élément permettant de justifier de son statut de chef de famille pendant toute la période. L’ONEM précise que, en conséquence, pendant la période considérée (novembre 2014 – octobre 2016) elle n’avait droit qu’au taux cohabitant.

En outre, se référant à la réforme dans le secteur à partir du 1er janvier 2015, compte tenu de son admissibilité sur la base des études, il lui est précisé que son droit aux allocations d’insertion est limité à une période de 36 mois vu son statut de travailleur cohabitant. Cette période est révolue, de telle sorte que l’ONEM décide de son exclusion du droit aux allocations d’insertion à partir du 1er janvier 2015 et lui précise qu’elle ne pourra être ré admise que sur la base du travail, en exécution des articles 36 et 63, § 2, de l’arrêté royal organique.

La décision de l’ONEM confirme dès lors l’exclusion pour le passé du droit aux allocations comme travailleur ayant charge de famille et la limitation des allocations en tant que travailleur cohabitant. Elle prononce également l’exclusion de l’intéressée à partir du 1er janvier 2015 et contient une demande de récupération d’allocations indûment perçues pour un montant de l’ordre de 12.450 €. Celle-ci est également sanctionnée pendant une période de huit semaines à partir du 10 octobre 2017.

Un recours est introduit contre cette décision devant le tribunal du travail de Liège (division Liège), l’ONEM formant une demande reconventionnelle en vue de la récupération du montant des allocations ci-dessus.

Par jugement du 18 novembre 2019, le tribunal du travail rejette ce recours et condamne la demanderesse à rembourser le montant réclamé par l’ONEM. Ce jugement est définitif, vu l’absence de recours.

Le 23 décembre 2019, l’INAMI adresse un courrier recommandé à la mutuelle de l’intéressée, considérant que celle-ci ne justifie plus d’aucune qualité de titulaire du droit aux indemnités dans les 30 jours précédant les incapacités de travail survenues en 2015 et 2016 (2 périodes) ainsi que le repos de maternité (1er novembre 2016). Il conclut qu’elle n’avait aucun droit aux indemnités en application de l’article 131 de la loi coordonnée le 14 juillet 1994.

En outre, l’INAMI retient l’existence de manœuvres frauduleuses et conclut à l’application du délai de prescription de cinq ans. Le montant considéré comme indu dans le cadre de l’incapacité primaire est de l’ordre de 23.750 €, en invalidité de 21.000 € et pour le congé de maternité de 4.650 €.

L’INAMI précise que cette lettre est interruptive de prescription et charge la mutuelle de régulariser la situation.

Ceci est fait par un courrier du 20 février 2020, la mutuelle adressant une lettre recommandée à l’assurée sociale, reprenant la motivation de l’INAMI. Il y ajoute une demande de remboursement de soins de santé de l’ordre de 2.200 €.

Une procédure est introduite devant le tribunal du travail de Liège (division Liège), procédure dans laquelle la demanderesse met l’ONEm à la cause. La mutuelle postule, à titre reconventionnel, le remboursement d’un indu de plus de 57.000 €.

Le jugement du tribunal, rendu le 11 février 2022, rejette la demande. Appel est interjeté.

La décision de la cour

La cour reprend les textes, étant les dispositions pertinentes de la loi coordonnée le 14 juillet 1994. Son article 86, § 1er, détermine les personnes qui ont la qualité de titulaire pour le bénéfice du droit aux indemnités, parmi lesquelles le travailleur au chômage.

La cour rappelle ensuite que les conditions d’octroi de l’assurance soins de santé sont fixées aux articles 121 à 127 de la loi, celles relatives à l’assurance indemnités l’étant à ses articles 128 à 134.

Elle reprend notamment l’article 131, selon lequel les indemnités d’incapacité de travail ne sont dues au titulaire qu’à la condition qu’il ne se soit pas écoulé une période ininterrompue de plus de 30 jours entre la date de début de l’incapacité et le dernier jour d’une période pendant laquelle il avait la qualité de titulaire (conformément à l’article 86, § 1er,) ou était reconnu incapable de travailler au sens des dispositions du secteur.

Renvoyant à la doctrine de S. HOSTAUX (S. HOSTAUX, « 4. – Les conditions d’octroi », Le droit de l’assurance soins de santé et indemnités, Bruxelles, Larcier, 2009, pages 195–196), la cour souligne qu’une période ininterrompue de non assujettissement de plus de 30 jours provoque la ‘sortie’ de l’assurance indemnités et prive donc le titulaire du droit aux indemnités. Il en va de même lorsqu’entre deux périodes d’incapacité le travailleur n’est plus assujetti parce que, par exemple, il ne reprend pas le travail ou ne s’inscrit pas au chômage.

En l’espèce, la procédure de récupération des indemnités est intimement liée à la contestation de l’exclusion du droit aux allocations de chômage. Or, le jugement rendu le 18 novembre 2019 en cause de l’intéressée et de l’ONEm est définitif.

Pour la cour, l’intéressée demande dans le cadre de la présente procédure la condamnation de l’ONEm à la réintégrer dans ses droits aux allocations au taux cohabitant pour les périodes durant lesquelles elle n’était pas indemnisée, et ce en s’appuyant sur un arrêt de la Cour de cassation du 14 septembre 2020 (Cass., 14 septembre 2020, S.18.0012.F), qui enseigne que l’article 63 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 viole le principe du standstill.

Renvoyant aux principes en matière d’autorité de la chose jugée, dont elle rappelle qu’elle constitue la vérité judiciaire et que les parties doivent nécessairement la respecter (sauf voies de recours), la cour conclut que la demande est irrecevable.

En outre, l’appelante demandant également la condamnation de l’ONEm à la garantir de toute condamnation éventuelle au paiement des montants dus à sa mutuelle, la cour considère que, si l’objet n’est pas strictement identique, il s’agit d’une prétention dont le fondement est inconciliable avec la chose antérieurement jugée. Cette demande n’est pas jugée irrecevable mais, vu l’autorité positive de la chose jugée du jugement, il y a lieu de tenir pour acquis les faits et qualifications retenus dans le jugement. Cette demande n’est pas fondée.

La cour examine encore la question de la force probante du jugement à l’égard de l’intéressée et de la mutuelle, reprenant la jurisprudence de la Cour de cassation (Cass., 26 novembre 2009, R.D.C., 2011, p. 119) selon laquelle, à l’égard de l’assuré social qui était partie au procès, la mutuelle peut invoquer l’effet positif de l’autorité de la chose jugée en tant que présomption irréfragable. Le jugement du 18 novembre 2019 s’impose dès lors également à l’égard de la mutuelle dans le cadre du présent litige.

En conclusion, pour la cour du travail, l’on ne peut plus contester la cohabitation, non plus que le fait que l’intéressée n’avait plus la qualité de chômeuse à partir du 1er janvier 2015. Dès lors, elle n’avait plus non plus la qualité de titulaire au sens de la loi coordonnée le 14 juillet 1994 et ne pouvait bénéficier des indemnités d’incapacité, non plus que des soins de santé. La cour confirme l’indu.

Elle en vient enfin au délai de prescription, rappelant que la fraude ne peut être confondue avec la mauvaise foi, notion qui figure à l’article 1378 du Code civil (selon lequel les intérêts sont dus à partir du jour du paiement s’il y a eu mauvaise foi de la part de celui qui a reçu, ce dernier étant celui qui savait que le paiement ne lui était pas du ou qui ultérieurement découvre que la somme payée ne lui était pas due).

La fraude, par contre, vise la manière dont certaines demandes de prestations sociales sont introduites par des candidats bénéficiaires, qui, sachant ou se doutant n’avoir pas droit de les obtenir ou du moins pas dans la mesure où ils les postulent, appuient leur requête d’affirmations sciemment inexactes, d’omissions volontaires dans la rédaction des formulaires requis ou de documents dont ils savent le contenu contraire à la vérité ; ce faisant, ils entendent obtenir une décision administrative non conforme à ce à quoi ils ont droit selon les prescriptions légales du régime.

La cour suit ici le discours de rentrée prononcé devant la Cour du travail de Mons (1975) par J. LECLERCQ (J. LECLERCQ, « La répétition de l’indu dans le droit de la sécurité sociale », R.B.S.S., 1976, page 23).

Rappelant ici que la charge de la preuve des manœuvres frauduleuses repose sur la mutuelle, la cour relève que la décision administrative repose exclusivement sur l’enquête menée lors du premier litige (litige ONEM) et que dans le cadre de celui-ci l’ONEM ne fait nullement état de telles manœuvres. Dans la fourchette des sanctions possibles (4 à 13 semaines), l’ONEM a retenu 8 semaines, soit une moyenne. Celle-ci n’a pas été motivée par des manœuvres frauduleuses mais par la durée de la période infractionnelle.

De son appréciation des faits, la cour retient que le couple a traversé une période difficile dans leur vie commune, ce qui rend leur souhait de ne pas se voir en permanence plausible. Le père s’est domicilié chez sa grand-mère pendant toute une période et il y a été vu régulièrement. Il avait dès lors là un point de vie, quoique celui-ci soit de moindre importance que celui avec la mère. Dans la mesure où celle-ci payait seule le loyer, il ne peut être exclu qu’elle a pu considérer qu’elle ne vivait pas en cohabitation. Il reste un doute, pour la cour, sur l’existence de manœuvres frauduleuses et, réformant le jugement, celle-ci applique la prescription de 2 ans.

Intérêt de la décision

La règle rappelée par la cour du travail dans cette affaire (à l’enjeu financier particulièrement élevé) ne doit pas être perdue de vue, puisque pour bénéficier des indemnités d’incapacité de travail, il ne peut pas s’être écoulé une période ininterrompue de plus de 30 jours entre la date du début de l’incapacité et le dernier jour d’une période pendant laquelle le titulaire avait cette qualité au sens de l’article 86, § 1er, de la loi ou été reconnu incapable de travailler au sens de celle-ci. Par ailleurs, pour pouvoir continuer à bénéficier pour eux-mêmes et les personnes à charge des prestations de santé, sont également exigées des conditions (liées), conditions non remplies et en l’espèce.

S. HOSTAUX a, dans une formule lapidaire, résumé la situation comme étant une « sortie » de l’assurance indemnités, qui prive le titulaire de tout droit aux prestations dans ce secteur. Cette exigence d’une période ininterrompue d’assujettissement de plus de 30 jours est une condition d’octroi de l’assurance soins de santé et indemnités.


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