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Cumul d’une indemnité ‘humanitaire’ et des indemnités AMI

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 29 juin 2023, R.G. 2022/AL/375

Mis en ligne le jeudi 11 janvier 2024


C. trav. Liège (div. Liège), 29 juin 2023, R.G. 2022/AL/375

Dans un arrêt du 29 juin 2023, la Cour du travail de Liège (division Liège) confirme qu’une indemnité « humanitaire » payée lors de la rupture du contrat de travail pour force majeure médicale peut être cumulée avec des indemnités AMI.

Les faits

Une employée d’un organisme bancaire, y ayant fait la plus grande partie de sa carrière, tombe en incapacité de travail le 6 mars 2018. Elle est indemnisée dans le régime AMI pendant 18 mois.

L’employeur ayant introduit une demande de réintégration auprès du conseiller en prévention–médecin du travail, elle est convoquée pour effectuer un examen de réintégration en juillet 2019. Le conseiller en prévention–médecin du travail décide qu’elle est définitivement inapte à effectuer le travail convenu ainsi qu’un travail adapté ou tout autre travail auprès de son employeur. L’intéressée marque accord sur le résultat de l’évaluation de sa réintégration et n’introduit pas de recours.

L’employeur constate alors la rupture du contrat de travail pour cause de force majeure médicale, conformément à l’article 34 de la loi relative aux contrats de travail.

Quoique n’étant redevable d’aucune indemnité, il lui alloue alors volontairement une indemnité « humanitaire » de 22.000 € bruts et l’informe que celle-ci peut être cumulée avec les allocations de chômage ou les indemnités d’incapacité de travail dont elle pourrait bénéficier.

La société a en effet pris contact en 2015 avec l’ONEM ainsi qu’avec l’INAMI sur la question. Elle a interrogé ces organismes en vue d’avoir une confirmation écrite qu’une indemnité « humanitaire » qu’elle payerait à un de ses employés dont le contrat de travail aurait pris fin pour force majeure médicale était cumulable avec les prestations sociales en cause. L’ONEM répondit par l’affirmative, renvoyant à l’article 46, § 1er, dernier alinéa de l’arrêté royal organique. Quant à l’INAMI, il précisait que lorsque les avantages sont accordés spontanément à un travailleur déterminé et non à tout ou partie du personnel, en raison d’une affection ou d’une reconnaissance personnelle de l’employeur, et donc non en contrepartie du travail fourni dans le cadre du contrat de travail, ils peuvent constituer des libéralités. Seul de tels avantages individuels spontanés ne constituent pas une rémunération au sens de l’article 2 de la loi sur la protection de la rémunération, étant ajouté que ceci est le cas aussi au sens de la loi du 3 juillet 1978. Le cumul est dès lors autorisé pour les deux institutions.

Dans le même temps (2019), l’INAMI adressa aux unions mutualistes une circulaire relative à l’indemnité « humanitaire » et à son cumul avec les indemnités d’incapacité de travail. Est visée la situation où certaines entreprises accordent à leurs travailleurs une indemnisation spécifique à la fin du contrat de travail pour raison de force majeure médicale. Contrairement à ce qui avait été annoncé précédemment, cette circulaire précise que cette allocation « humanitaire » constitue une rémunération au sens de l’article 2 de la loi sur la protection de la rémunération et doit être déclarée dans la DmfA. Cette indemnité doit dès lors être considérée comme non cumulable avec les indemnités d’incapacité de travail, qui doivient être refusées pour la période correspondante.

Le 24 février 2021, l’organisme assureur réclama à la travailleuse un montant de l’ordre de 1.800 €, au motif qu’elle avait reçu une indemnité de départ, à considérer comme une indemnité de rupture de contrat, impliquant une interdiction de cumul (article 103, § 1er, 3°, de la loi coordonnée le 14 juillet 1994).

Des discussions intervinrent, l’O.N.S.S. ayant comptabilisé l’indemnité « humanitaire » sous un code de salaire applicable aux indemnités de départ au lieu du code correspondant à ces indemnités.

L’intéressée ayant demandé l’intervention de son ex-employeur, celui-ci appuya sa demande, via son secrétariat social. L’organisme assureur maintint sa position.

Une procédure fut introduite devant le tribunal du travail de Liège (division Liège), qui accueillit la demande.

Appel est interjeté par l’organisme assureur AMI.

La décision de la cour

La cour rappelle l’article 103 de la loi coordonnée le 14 juillet 1994 et en reprend un extrait, étant que le travailleur ne peut prétendre aux indemnités (1°) pour la période pour laquelle il a droit à une rémunération (celle-ci étant définie conformément à l’article 2 de la loi du 12 avril 1965) ni (3°) pour la période pour laquelle il peut prétendre à une indemnité due à la suite de la rupture irrégulière du contrat de travail ou de la cessation du contrat de travail d’un commun accord.

S’agissant d’une rupture pour force majeure médicale, la cour élimine l’hypothèse de la cessation du contrat de travail d’un commun accord ainsi que celle de la rupture irrégulière du contrat. Elle revient à l’hypothèse du (1°), reprenant l’article 2, 3°, de la loi du 12 avril 1965, selon lequel il faut entendre par rémunération notamment les avantages évaluables en argent auxquels le travailleur a droit à charge de l’employeur en raison de son engagement.

Elle examine ensuite la question de la libéralité et de sa place dans le contrat de travail, renvoyant à la doctrine de VAN EECKHAUTTE et NEUPREZ (W. VAN EECKHAUTTE et V. NEUPREZ, Compendium social. Droit du travail contenant des annotations fiscales, 2022 – 2023, Kluwer, page 1571). Celle-ci, qui s’appuie sur la Cour de cassation, relève que les situations qui subsistent sont peu nombreuses, la notion de libéralité n’étant concevable que lorsque l’avantage accordé n’est pas la contrepartie du travail effectué en vertu du contrat de travail mais lorsqu’il est notamment octroyé lors de la rupture de celui-ci, à l’occasion d’une interruption de travail ou pour cause de circonstances particulières comme la sympathie ou l’estime de l’employeur ou encore un autre événement de la vie privée du travailleur ou de sa famille.

Renvoi est également fait par la cour à un arrêt de la Cour de cassation du 5 janvier 2009 (Cass., 5 janvier 2009, S.08.0064.N).

Elle se réfère ensuite à la demande qui avait été introduite par la société, dans laquelle elle expliquait occuper plus de 15.000 personnes, et s’interroge sur l’existence de cas semblables au sein de la société, constatant que l’organisme assureur ne produit aucune pièce dont il pourrait être déduit qu’il aurait eu affaire à des situations comparables.

À défaut d’un fondement juridique, elle conclut que l’intéressée n’avait droit à rien de la part de son employeur, et ce après une occupation de quasiment 30 ans et que c’est à titre d’indemnité « humanitaire » que le montant en cause lui a été accordé, l’arrêt relevant encore qu’il ne correspond même pas à 750 € par année de loyaux services.

Elle retient ainsi la qualification de libéralité, dont l’origine est à trouver dans un événement de la vie privée de la travailleuse, en l’occurrence sa maladie.

Elle précise encore que si l’INAMI est revenu sur sa position – changement qui ne lie d’ailleurs pas la cour –, les éléments du dossier amènent à la conclusion que les conditions de l’indemnité « humanitaire » sont réunies et qu’il ne s’agit pas de rémunération.

Intérêt de la décision

La cour du travail a confirmé, dans l’arrêt commenté, le caractère non rémunératoire de l’indemnité versée, ne statuant pas sur une question de principe concernant le cumul entre une indemnité payée à ce titre et les prestations de sécurité sociale en cause, mais retenant, avec la doctrine, le fait que le montant versé est sans lien avec l’engagement et l’exécution du contrat de travail.

Comme admis en règle, un montant versé peut en effet être admis au titre de libéralité s’il se rattache, par exemple, à des événements liés à la vie privée du travailleur. C’est cet élément qui est ici retenu (maladie de longue durée), ainsi que le caractère manifestement personnel, individuel, du paiement.

La question du cumul se pose régulièrement et l’on peut renvoyer ici à quelques décisions rendues sur l’article 103 de la loi coordonnée.

Ainsi, pour la cour du travail d’Anvers, toute somme payée dans une telle hypothèse ne constitue pas nécessairement de la rémunération au sens de l’article 103 susmentionné. Il faut toujours avoir égard aux circonstances dans lesquelles la somme a été payée. Ainsi en va-t-il d’une prime de mérite que l’employeur octroie volontairement au travailleur en sus du salaire dû jusqu’à la date d’échéance du contrat. (C. trav. Anvers (div. Hasselt), 16 décembre 2021, R.G. 2020/AH/231).

Pour ce qui est d’une « prime de départ », le tribunal du travail francophone de Bruxelles a jugé que, pour constituer de la rémunération au regard de l’article 2 de loi sur la protection de la rémunération, une « indemnité de départ » non exprimée en temps de travail, dont le paiement est prévu aux termes d’un plan social n’est pas une « indemnité due suite à la rupture irrégulière du contrat de travail », notion qui ne vise que celles dues en application des articles 39 ou 40 L.C.T. Elle ne se rapporte, en outre, à aucune « période » au sens de l’article 103, § 1er, de la loi coordonnée le 14 juillet 1994 et, en dépit de la pratique adoptée par l’I.N.A.M.I. sur la base d’un raisonnement plus ou moins analogue à ce que prévoit la réglementation du chômage (arrêté royal du 25 novembre 1991, article 46, § 4), n’a pas à être convertie en temps de travail. Cette spécificité a pour conséquence qu’une telle indemnité peut être cumulée avec les indemnités d’incapacité de travail (Trib. trav. fr. Bruxelles, 22 novembre 2021, R.G. 19/3.347/A et 19/3.624/A).

Jugé cependant par la Cour du travail de Liège (division Liège) que la prime de départ payée pour raison de restructuration et l’indemnité complémentaire à l’indemnité compensatoire de préavis ne peuvent être cumulées avec les indemnités servies dans le cadre de l’assurance indemnités, et ce par application de l’article 103 de la loi coordonnée du 14 juillet 1994, qui prohibe le cumul des indemnités avec une rémunération (C. trav. Liège (div. Liège), 9 octobre 2020, R.G. 2018/AL/642).


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