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Sanction d’une mauvaise information donnée par l’ONEM

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 26 juillet 2023, R.G. 2020/AB/606

Mis en ligne le jeudi 11 janvier 2024


C. trav. Bruxelles, 26 juillet 2023, R.G. 2020/AB/606

La cour du travail de Bruxelles rappelle dans un arrêt du 26 juillet 2023 les obligations de l’ONEM lorsqu’il est saisi d’une demande d’information relative à l’admissibilité aux allocations de chômage, un manquement à celles-ci pouvant être à la fois constitutif d’une erreur de conduite et d’une infraction à la Charte de l’assuré social.

Les faits

Un travailleur avait été mis au travail par le C.P.A.S. dans le cadre de l’article 60, § 7 de la loi du 8 juillet 1976.

Le Centre s’était préalablement enquis, auprès de l’ONEm, de la date de fin de contrat à prévoir ainsi que du nombre de jours que l’intéressé devrait prester aux fins de remplir les conditions d’admissibilité aux allocations de chômage.

L’ONEm répondit, fixant à 129 le nombre de jours manquants, donnant ainsi la durée du contrat de travail qui devait être conclu. Celui-ci devait se terminer le 30 octobre 2019.

Les prestations se sont poursuivies jusqu’au 2 novembre et l’intéressé a sollicité le bénéfice des allocations chômage à partir du 4.

Il a alors reçu une décision négative, au motif qu’il ne prouvait pas un nombre suffisant de journées de travail ou de journées assimilées.

Un recours a été introduit devant le Tribunal du travail du Brabant wallon (division Wavre), qui rétablit l’intéressé dans son droit aux allocations à partir du 4 novembre, date de la demande.

Appel a été interjeté par l’ONEm.

Les décisions de la cour

La cour a rendu deux arrêts, le premier en date du 10 juin 2022 et le second, le 26 juillet 2023.

L’arrêt du 10 juin 2022

La cour a constaté que le nombre de journées de travail était insuffisant, l’intéressé devant, vu son âge, justifier de 312 jours de travail ou assimilés.

L’arrêt a en outre relevé que celui-ci avait presté le nombre de jours mentionné dans l’estimation de l’ONEm (et même un peu plus) et qu’il pouvait légitimement s’attendre à ce que les informations données soient fiables.

La cour a dès lors ordonné la réouverture des débats sur la question de l’existence d’une faute imputable à l’ONEm. Elle a en outre demandé la production de documents.

L’arrêt du 26 juillet 2023

L’ONEm expose les éléments à partir desquels il a fait son estimation, qui aboutissait à 183,4 journées de travail en régime de 6 jours. Il précise qu’aucune vérification n’a été réalisée auprès de la Banque Carrefour de la sécurité sociale, les données étant considérés complètes. Ce n’est que lorsque l’intéressé a sollicité le bénéfice des allocations qu’il a été constaté sur la base des déclarations DMFA que le nombre de jours n’était pas prouvé pour une période, ce qui ramenait les journées à prendre en compte dans la période de référence à 160,55. Il estime ne pas avoir commis de faute, considérant avoir répondu à la demande telle qu’elle a été faite et qui n’était pas accompagnée de pièces justificatives. Il ajoute que le document a été complété par l’assistante sociale du C.P.A.S., sur qui implicitement il rejette la faute.

La cour ne suit pas la position de l’ONEm.

Elle renvoie d’abord à un arrêt de principe de la Cour de cassation du 25 octobre 2004 (Cass., 25 octobre 2004, S.03.0072.F), qui enseigne que la faute de l’autorité administrative susceptible d’engager sa responsabilité sur la base des articles 1382 et 1383 du Code civil consiste en un comportement qui, ou bien s’analyse en une erreur de conduite devant être appréciée selon le critère de l’autorité normalement soigneuse et prudente, placée dans les mêmes conditions, ou bien, sous réserve d’une erreur invincible ou d’une autre cause de justification, viole une norme de droit national ou d’un traité international ayant des effets dans l’ordre juridique interne, imposant à cette autorité de s’abstenir ou d’agir de manière déterminée.

La cour en vient à la Charte de l’assuré social, rappelant l’obligation contenue à son article 3, relatif à l’obligation d’information des institutions de sécurité sociale. Elle précise que l’ONEm dispose d’un accès aisé aux données issues de la DMFA et de la Banque Carrefour de la sécurité sociale et qu’il en fait d’ailleurs systématiquement usage lorsqu’il est saisi d’une demande d’allocations. Ceci aurait dû être fait en l’espèce, étant saisi par un C.P.A.S. d’une demande dont l’issue devait permettre l’admissibilité aux allocations de chômage. Pour la cour, rien ne justifie qu’une estimation de cette admissibilité faite suite à une demande d’information soit opérée avec moins de rigueur.

Elle reprend ensuite l’obligation générale pesant sur l’ONEm, organisme de sécurité sociale chargé d’assurer le paiement aux chômeurs des allocations qui leur sont dues : il est incontestablement l’institution la plus à même de traiter les questions d’admissibilité, en ce compris le contrôle et l’interprétation des données nécessaires. La cour précise encore qu’il dispose d’une expertise et de programmes informatiques spécifiques ainsi que de personnel formé, ce qui n’est pas le cas du C.P.A.S.

Elle ajoute que la collaboration de cet organisme est essentielle, devant permettre aux C.P.A.S. d’exercer leurs missions d’insertion socioprofessionnelle.

En s’abstenant de confronter les données fournies par l’assuré social et le travailleur social du C.P.A.S. aux données de la DMFA et de la Banque Carrefour de la sécurité sociale, il y a une erreur de conduite dans son chef, erreur que ne commettrait pas une autorité normalement soigneuse et prudente placée dans les mêmes conditions. L’absence de toute pièce justificative rend cette erreur d’autant plus grave.

À cette erreur s’ajoute un manquement à l’article 3, de la Charte, cette faute entraînant également sa responsabilité.

La cour en vient à l’évaluation du dommage. L’intéressé se défendant en personne, n’ayant ainsi pas d’avocat, la cour rappelle que déjà dans l’arrêt du 10 juin 2022, elle lui avait demandé de fournir une estimation du montant des dommages et intérêts qu’il revendique et qu’elle n’est toujours pas en possession de données suffisantes. Elle ordonne dès lors une nouvelle réouverture des débats et précise les éléments dont elle souhaite disposer, s’agissant concrètement de connaître les mois où il a été privé d’allocations de chômage ainsi que ceux où il aurait perçu une aide financière du C.P.A.S. et si tel n’a pas été le cas les raisons de cette absence d’aide. La cour demande également à connaître les périodes où il a repris le travail.

Intérêt de la décision

Outre les obligations imposées aux institutions publiques par le droit administratif (respect du principe de bonne administration), la Charte de l’assuré social met à charge de celles-ci comme des institutions coopérantes (organismes du paiement dans le secteur chômage) une obligation d’information et de conseil, affinée au fil de la jurisprudence, qui en a dégagé un principe de proactivité.

Il s’agit d’une obligation de résultat, pouvant donner lieu à l‘octroi de dommages-intérêts.

On peut rappeler sur la question que l’arrêt (de principe) de la Cour de cassation du 23 novembre 2009 enseigne que cette obligation pour l’institution de sécurité sociale de communiquer d’initiative à l’assuré social un complément d’information nécessaire à l’examen de sa demande ou au maintien de ses droits n’est pas subordonnée à la condition que cet assuré lui ait préalablement demandé par écrit une information concernant ses droits et obligations (Cass., 23 novembre 2009, n° S.07.0115.F).

Dans l’espèce tranchée par l’arrêt commenté du 26 juillet 2023, la Cour du travail de Bruxelles confirme cette obligation dans le cas d’une demande adressée par le C.P.A.S., en vue d’une mise au travail dans le cadre de l’article 60, § 7, de la loi du 8 juillet 1976, considérant que la même exigence doit se poser vu la nécessité d’une collaboration étroite entre les deux organismes. La cour y a souligné que cette collaboration est essentielle, devant permettre aux C.P.A.S. d’exercer leurs missions d’insertion socioprofessionnelle.

La cour tranchera dans une décisions ultérieure l’étendue du dommage subi par l’intéressé suite à la non-admissibilité.


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