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Statut d’associé actif et assujettissement à l’O.N.S.S.

Commentaire de C. trav. Mons, 8 février 2023, R.G. 2022/AM/44

Mis en ligne le mardi 3 octobre 2023


C. trav. Mons, 8 février 2023, R.G. 2022/AM/44

Dans un arrêt du 8 février 2023, la Cour du travail de Mons conclut à l’assujettissement à l’O.N.S.S. d’associés actifs d’une société, l’examen des conditions de travail révélant l’existence d’un lien de subordination et l’absence d’« affectio societatis ».

Les faits

Un indépendant prestant en personne physique et occupant quatre travailleurs salariés est soumis en 2011 à une procédure de réorganisation judiciaire. En 2015, il crée une société avec son épouse, afin de poursuivre l’exploitation du commerce. Il devient gérant de la société avec quatre-vingt-cinq parts sociales sur cent.

En 2017, une contrôleuse de l’ONEm informe l’O.N.S.S. d’une « suspicion de faux indépendants », amenant celui-ci à faire une enquête. Des personnes avec statut d’associé actif (neuf) sont auditionnées, ainsi que le gérant. A la suite de cette enquête, l’O.N.S.S. adresse un courrier recommandé, signalant devoir procéder à des rectifications des déclarations trimestrielles relatives aux premier et deuxième trimestres 2016 et établir d’office des déclarations DmfA manquantes à partir du trimestre suivant, portant sur l’assujettissement à la sécurité sociale de plusieurs travailleurs (étant ceux considérés comme associés). L’O.N.S.S. précise que la lettre recommandée interrompt la prescription en application de l’article 42 de la loi du 27 juin 1969, sa créance étant fixée provisionnellement à un euro.

En juin 2020, est notifiée la décision d’assujettissement de treize « associés actifs ». L’O.N.S.S. motive longuement sa décision, mentionnant que le choix de ce statut n’a pas été librement consenti mais présenté comme la seule possibilité pour obtenir du travail. Il s’agit d’un statut imposé, alors que toute une série d’indices de subordination ont été constatés (absence d’« affectio societatis », absence de risque financier vu la perception d’une rémunération mensuelle fixe non liée aux bénéfices, absence d’accès au compte bancaire de la société, absence de liberté dans l’organisation du temps de travail et dans l’organisation du travail, travail effectué avec le matériel de la société et surveillance régulière par le gérant à l’aide de caméras de surveillance). L’O.N.S.S. pointe encore l’absence de pouvoir de décision des intéressés, qui n’ont jamais participé à une assemblée générale, ne peuvent engager de personnel et ne déterminent pas les prix. La régularisation porte sur un montant de l’ordre de 204.000 euros.

Une procédure est alors introduite immédiatement devant le Tribunal du travail du Hainaut (division de Binche) en contestation de cette décision. Dans le cadre de la procédure, l’O.N.S.S. forme une demande reconventionnelle en vue d’obtenir le paiement des cotisations réclamées.

Par jugement du 20 décembre 2021, le tribunal a partiellement fait droit à la demande, concluant que la décision administrative était justifiée pour certains salariés pendant une période déterminée, mais non pour d’autres. Il a dit pour droit qu’il appartenait à l’O.N.S.S. de procéder à un recalcul des cotisations.

L’Office interjette appel, tandis que la société forme un appel incident, sur une question de prescription.

La décision de la cour

La cour reprend la règle, étant l’article 42 de la loi du 27 juin 1969, selon lequel les créances de l’Office se prescrivent par trois ans à partir de la date de leur exigibilité. Le délai est cependant de sept ans en cas de régularisation d’office à la suite de la constatation dans le chef de l’employeur de manœuvres frauduleuses ou de déclarations fausses ou sciemment incomplètes. La cour précise sur ce point la modification intervenue par la loi-programme du 26 décembre 2022, entrée en vigueur le 1er janvier 2023, qui a porté le délai de prescription dans cette hypothèse à dix ans.

La question est de savoir s’il y a interruption de la prescription conforme à l’article 42, alinéa 7, celui-ci prévoyant la possibilité d’adresser une lettre recommandée. La cour souligne que, le texte n’ayant pas précisé davantage les conditions de l’effet interruptif de cette lettre recommandée, doctrine et jurisprudence ont dû les fixer, et la cour de rappeler à ce sujet un arrêt de la Cour du travail de Liège du 5 juillet 2018 (C. trav. Liège, div. Namur, 5 juillet 2018, R.G. 2017/AN/12), selon lequel la lettre ne doit remplir aucune condition de forme particulière mais que, comme pour les actes interruptifs de prescription émanant du créancier, dont certains sont soumis à des formes complémentaires, elle doit contenir une manifestation de la volonté du créancier d’exercer son droit et d’obtenir le paiement d’une créance. Celle-ci relève de la teneur de l’acte plutôt que de sa simple existence et la créance doit être suffisamment identifiée pour qu’il puisse être vérifié qu’il s’agit de la même que celle qui fait l’objet de la procédure judiciaire ultérieure.

En l’espèce, la société faisant valoir que la lettre ne portait pas sur une créance identifiée ou identifiable et qu’elle ne permettait pas de définir les associés concernés par la régularisation envisagée, la cour répond – comme les premiers juges – que la lettre rencontre les exigences légales requises : l’objet des courriers y est clairement mentionné (assujettissement des « associés actifs »), la période y est indiquée et la sommation porte sur un paiement de sommes – même si celui-ci est réduit à un euro. La société était donc informée de la régularisation importante à laquelle il allait être procédé. La cour conclut que l’acte ne pouvait laisser planer aucun doute à ce sujet.

Elle en vient dès lors à la question de l’assujettissement des associés actifs à la sécurité sociale des travailleurs salariés. Elle rappelle la possibilité pour l’O.N.S.S. de décider d’office de l’existence ou de l’inexistence d’un contrat de travail et en reprend les composantes, revenant ici aux articles 2 et 3 de la loi du 3 juillet 1978 et à la question de la subordination. Elle rappelle les deux modalités de l’exercice du pouvoir patronal, étant qu’il s’agit d’une part du pouvoir de déterminer la prestation de travail dans son contenu (étant l’objet des prestations) et de l’autre du pouvoir d’organiser l’exécution même de celle-ci (s’agissant du contrôle de l’exécution, des horaires, des rémunérations, etc.).

La cour reprend ensuite les éléments de la discussion sur la question de la qualification donnée par les parties à leur convention et rappelle l’apport de la loi du 27 décembre 2006, qui contient actuellement les principes en la matière, soulignant que la priorité est à donner à la qualification qui se révèle de l’exercice effectif si celle-ci exclut la qualification juridique choisie par les parties.

Elle fait ensuite certains développements sur la notion d’« autorité juridique », soulignant que la subordination économique est caractéristique du contrat d’entreprise et qu’elle ne peut être assimilée à la subordination juridique. La subordination économique est la dépendance matérielle de la personne qui exerce le travail à l’égard de celle qui le lui fournit. Si elle implique nécessairement des directives et un contrôle de leur bonne exécution, elle ne peut être assimilée à l’autorité exercée dans le cadre d’un contrat de travail (la cour renvoyant ici à C. trav. Bruxelles, 24 octobre 2007, R.G. 44.050). La subordination, caractéristique du contrat de travail, a été définie dans un arrêt de la Cour de cassation du 4 février 2013 (Cass., 4 février 2013, n° S.11.0051.F et S.11.0154.F) comme existant dès lors qu’une personne peut, en fait, exercer son autorité sur les actes d’une autre personne. C’est la caractéristique du contrat de travail.

Comme le souligne l’arrêt, la Cour du travail de Mons a également jugé, dans un arrêt du 12 janvier 2006 (C. trav. Mons, 12 janvier 2006, R.G. 17/106), qu’au-delà des contraintes d’organisation exigées en vue du fonctionnement de la société, lorsque celle-ci peut imposer aux associés le contenu de leur travail (ainsi que les heures de prestation et les critères de fixation de prix) et que l’activité de ceux-ci tend non à faire fructifier le capital qu’ils auraient investi mais à justifier une rémunération, qui elle-même est fonction des seules prestations professionnelles fournies sous le contrôle permanent d’un administrateur-délégué, les conditions de l’« affectio societatis » caractéristique de l’activité de l’associé actif ne sont pas réunies. Ces éléments sont inconciliables avec une collaboration indépendante.

Dans les faits de l’espèce, la cour souligne faire entièrement sienne la position des premiers juges, qui ont conclu que les associés actifs n’avaient pas acquis le statut d’indépendant par choix délibéré et que celui-ci leur avait été imposé. Elle reprend des extraits du jugement, retenant les éléments dégagés par l’O.N.S.S. à propos des conditions imposées aux intéressés.

La cour souligne, en sus, que certains d’entre eux avaient été occupés précédemment dans le cadre d’un contrat de travail et que ceux-ci, auditionnés, ont précisé ignorer les spécificités du statut de travailleur indépendant. Par ailleurs, est relevée l’existence de caméras de surveillance, utilisées aux fins d’adresser des remarques aux travailleurs (pause trop longue ou non-respect des consignes). La cour souligne ici qu’un tel comportement est incompatible avec une relation professionnelle entre associés.

Reste un dernier point, relatif à l’échantillonnage pratiqué par l’O.N.S.S. pour les auditions de travailleurs. Celui-ci a abouti à ce que le tribunal ne retienne l’existence d’un contrat de travail que pour les travailleurs ayant été auditionnés, et non pour les autres, ce que conteste l’O.N.S.S. en appel. La cour renvoie ici à un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 28 juin 2001 (C. trav. Bruxelles, 28 juin 2001, Chron. D. S., 2003, p. 22) ayant statué dans une affaire similaire. Celle-ci y a conclu qu’il n’y avait pas lieu de réduire la demande en fonction du nombre de travailleurs entendus par l’Inspection sociale, dans la mesure où il n’était pas prouvé que les travailleurs qui ne l’avaient pas été étaient soumis à d’autres conditions de travail que celles ayant abouti à retenir le statut de travailleur salarié dans le chef des autres. Cet arrêt a donné lieu à un pourvoi, et la Cour de cassation a jugé, dans un arrêt du 21 mai 2006 (Cass., 22 mai 2006, n° S.05.0014.F), que la cour du travail pouvait, sans renverser la charge de la preuve de l’existence d’un lien de subordination, décider que l’absence d’audition de certains travailleurs par l’Inspection sociale n’ôtait pas leur pertinence aux éléments de preuve retenus, en l’absence de conditions de travail différentes de celles applicables aux autres travailleurs.

La cour précise se rallier entièrement à cette jurisprudence et, concluant que la société ne démontre pas que les intéressés étaient soumis à des conditions de travail distinctes de ceux qui avaient été auditionnés, dit qu’il y avait lieu de retenir également pour ceux-ci l’existence d’un lien de subordination. La cour réforme dès lors le jugement sur ce dernier point.

Intérêt de la décision

Outre le rappel du débat général relatif à l’assujettissement à la sécurité sociale de travailleurs ayant le statut d’« associé actif », deux points importants sont relevés par la Cour du travail de Mons en cette affaire :

  • Il s’agit en premier lieu de la question de l’interruption de la prescription par la lettre recommandée prévue à l’article 42 de la loi du 27 juin 1969. La disposition ne prévoit en effet pas de condition de forme particulière à propos de celle-ci. La question se pose dès lors de savoir si toute lettre recommandée peut avoir l’effet interruptif prévu par la loi.

Renvoi a été fait dans l’arrêt commenté à une décision de la Cour du travail de Liège du 5 juillet 2018 (C. trav. Liège, div. Namur, 5 juillet 2018, R.G. 2017/AN/12 – précédemment commenté). Cet arrêt, dont un extrait est repris dans la décision commentée, renvoyait lui-même à un arrêt de la Cour de cassation du 20 mai 2010 (Cass., 20 mai 2010, Pas., 2010, I, p. 1570), notamment. Il rappelait également les conditions de l’article 2244, § 2, du Code civil en ce qui concerne certaines formes complémentaires exigées et relevait que la lettre recommandée ne peut interrompre la prescription que si elle est signée par la personne compétente, au nom de l’organisme ou de l’institut, sans avoir égard au fait qu’il apparaît que l’organisme ou l’institut en est l’expéditeur (Cass., 22 septembre 2003, Chron.D.S., 2005, p. 277 et note).

  • Un second point important est celui de l’échantillonnage dans les auditions, question tranchée par un arrêt de cassation (cité dans la décision commentée) du 22 mai 2006 (Cass., 22 mai 2006, n° S.05.0014.F). Le juge du fond ne renverse pas la charge de la preuve de l’existence de la subordination s’il décide que la non-audition de tous les travailleurs par les fonctionnaires de l’Inspection sociale n’ôte pas leur pertinence aux éléments de preuve retenus lors des auditions pratiquées, pour ce qui est des conditions de travail des personnes qui n’ont pas été entendues, dans la mesure où leurs conditions de travail ne sont pas différentes de celles applicables aux travailleurs auditionnés.

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