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Protection contre le licenciement en cas de congé parental

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 20 mars 2023, R.G. 2017/AB/863

Mis en ligne le vendredi 18 août 2023


Cour du travail de Bruxelles, 20 mars 2023, R.G. 2017/AB/863

Terra Laboris

Dans un arrêt du 20 mars 2023, la Cour du travail de Bruxelles rappelle le mécanisme de la protection légale contre le licenciement en cas de congé parental du travailleur contractuel du secteur privé.

Les faits

Une travailleuse (secteur Horeca) a introduit en 2013 auprès de son employeur une demande de congé parental, qui a été acceptée, s’agissant d’une interruption complète des prestations pendant un mois, congé dont la prolongation a été admise, s’agissant alors d’une réduction des prestations à mi-temps pour une période de quatre mois. Une nouvelle prolongation a été sollicitée avant l’expiration de la période précédente, pour cinq mois supplémentaires. Cette dernière demande a été faite par lettre simple, mais elle a été très rapidement formalisée par l’introduction d’un formulaire C61 et l’employeur a accepté cette nouvelle prolongation. Pendant la période couverte par celle-ci, il a cependant mis fin au contrat moyennant paiement d’une indemnité compensatoire de préavis, avec comme motif « réorganisation ».

L’organisation syndicale à laquelle l’intéressée est affiliée est intervenue, demandant le paiement de diverses sommes, dont l’indemnité de protection. N’ayant pas obtenu satisfaction, celle-ci a saisi le Tribunal du travail francophone de Bruxelles, lequel a fait droit à sa demande.

La société interjette appel.

La décision de la cour du travail

Pour ce qui est de l’indemnité de protection pour congé parental, la cour est amenée à reprendre les textes et principes applicables, s’agissant du régime en vigueur dans le secteur privé. Elle rappelle que deux instruments juridiques distincts régissent la matière, étant d’une part la C.C.T. n° 64 du 29 avril 1997 instituant un droit au congé parental et d’autre part l’arrêté royal du 29 octobre 1997 relatif à l’introduction d’un droit au congé parental dans le cadre d’une interruption de la carrière professionnelle.

Ces deux textes sont, comme le rappelle la cour, interdépendants, ayant pour but de préserver la sécurité juridique et de prévoir par l’adoption de l’arrêté royal l’encadrement nécessaire au droit au congé parental prévu par la C.C.T. n° 64. Cet arrêté royal s’inscrit dans le prolongement de la loi de redressement du 22 janvier 1985 et l’interruption de la carrière professionnelle en constitue la Section 5.

La cour reprend les diverses modalités de l’exercice de ce congé, qui peuvent être une suspension de l’exécution du contrat (ainsi que prévu à l’article 100 de la loi de redressement du 22 janvier 1985) ou une réduction des prestations (article 102 du même texte), à concurrence d’un cinquième, un quart, un tiers ou la moitié du nombre normal d’heures de travail de l’emploi à temps plein.

La procédure est également reprise, ainsi que fixée à l’article 6 de l’arrêté royal, et la cour rappelle également la protection légale organisée par l’article 101 de la loi de redressement ci-dessus.

Il est interdit à l’employeur de faire aucun acte tendant à mettre fin unilatéralement à la relation de travail (sauf motif grave ou motif suffisant) lorsque l’exécution du contrat est suspendue ou lorsque les prestations de travail sont réduites (avec renvoi aux articles 100, alinéa 1er, 100bis, 102, alinéa 1er, et 102bis). Ces dispositions sont reprises de manière similaire dans la C.C.T. n° 64. Si l’employeur a ainsi mis fin unilatéralement à l’occupation du travailleur, il devra prouver le motif grave ou le motif « suffisant », celui-ci étant le motif dont la nature et l’origine sont étrangères à la suspension du contrat de travail ou à la réduction des prestations.

La cour renvoie à une abondante jurisprudence rendue sur la question de la charge de la preuve, qui a conclu que celle-ci, même vu le silence du texte, incombe à l’employeur en application de l’article 1315 du Code civil (ancien Code civil).

Enfin, pour ce qui est de la période de protection, la cour rappelle qu’elle prend cours en principe le jour de la demande introduite dans les formes prescrites et qu’en cas d’absence de demande faite conformément à l’article 6, § 1er, de l’arrêté royal, elle ne débutera qu’au jour de l’accord donné par l’employeur (renvoyant également ici à la jurisprudence).

S’agissant en l’espèce d’un motif « suffisant » invoqué pour justifier la rupture, la cour se penche sur les explications de l’employeur. Celui-ci fait valoir des questions de comportement, d’une attitude hostile et agressive vis-à-vis des collègues, et ce en présence des clients, ou encore le fait d’avoir quitté son travail à plusieurs reprises sans justification. A l’appui de ces griefs, la société ne dépose cependant pas de pièces suffisamment convaincantes pour établir la réalité du motif.

La cour rejette – comme le tribunal – une attestation émanant d’un administrateur de la société et constate que, sur l’ensemble des points reprochés à la travailleuse, aucune mise en garde n’a été adressée pendant l’exécution du contrat. Le motif suffisant n’est dès lors pas établi, la cour précisant qu’aucune pièce du dossier ne met objectivement en évidence les étapes chronologiques d’un processus décisionnel en rapport avec les faits actuellement imputés à la travailleuse. Le lien causal n’est pas retenu, l’employeur échouant dans la démonstration que la décision de licencier repose sur les motifs invoqués. Elle précise que, quand bien même la société apporterait cette preuve, il ne pourrait être raisonnablement exclu que les motifs avancés se soient mêlés au moins pour partie à un motif lié au congé parental.

Enfin, elle souligne encore, à propos des attestations, que celles-ci ne permettent pas de situer dans le temps et dans l’espace les faits qui sont rapportés, les termes de celles-ci contenant souvent des considérations subjectives et manquant « substantiellement de précision », tout ceci rendant impossible la preuve contraire et paralysant les droits de la défense.

Intérêt de la décision

Dans cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 20 mars 2023, seule la question de la protection en cas de congé parental est abordée ici, quoique celui-ci se penche également, avec un renvoi théorique important, sur la question des frais de déplacement dans le secteur ainsi que des indemnités vestimentaires.

Le congé parental a donné lieu à de nombreuses décisions de jurisprudence, une partie importante d’entres elles ayant eu à prendre position sur la preuve (question non reprise par les textes), s’agissant de déterminer quelle partie a la preuve du motif suffisant. Très logiquement, il a été conclu que celle-ci incombe à l’employeur, conformément d’ailleurs aux règles générales du Code civil.

Un autre sujet de discussion est bien évidemment la notion de « motif suffisant ». Le défunt article 63 de la loi du 3 juillet 1978 a servi – comme d’ailleurs dans le cadre de la C.C.T. n° 109 – à fixer les catégories de motifs admissibles, étant d’une part ceux liés au travailleur (aptitude et conduite) et de l’autre les nécessités de l’entreprise. Ceci ne signifie cependant pas que ces catégories sont transposables sans plus à la matière du congé parental.

Ici, comme dans les divers textes organisant le contrôle du motif de licenciement, le motif lui-même doit être avéré, ce qui constitue la première étape de ce contrôle. Ainsi, en cas de réorganisation, l’existence de celle-ci ne suffit pas, en elle-même, à établir le motif pour lequel un travailleur en congé parental a été licencié. Encore faut-il que l’employeur établisse l’existence d’un motif suffisant de le licencier dans le cadre de la réorganisation invoquée, dont la nature et l’origine sont étrangères au congé parental dont il bénéficiait (C. trav. Bruxelles, 11 janvier 2021, R.G. 2018/AB/662).

La définition en la matière est donc la suivante : la nature et l’origine des éléments invoqués à l’appui du licenciement doivent être manifestement étrangères à l’exercice par le travailleur de son droit au congé parental. Tel est le cas lorsque, d’une part, le constat de la qualité insuffisante des prestations fut effectivement déjà posé avant même que le travailleur n’introduise sa demande et que, d’autre part, le refus qu’il a, à plusieurs reprises, exprimé quant à la nouvelle fonction qui lui a été proposée n’a, lui-même, jamais été motivé par des éléments en lien avec son congé parental, mais exclusivement par le fait qu’elle était d’une classe inférieure à celle qu’il occupait (C. trav. Bruxelles, 3 novembre 2020, R.G. 2017/AB/978).


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