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Réduction de cotisations de sécurité sociale « groupe-cible – premiers engagements » : un rappel utile de la Cour du travail de Liège

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 24 octobre 2022, R.G. 2021/AL/618

Mis en ligne le lundi 7 août 2023


Cour du travail de Liège (division Liège), 24 octobre 2022, R.G. 2021/AL/618

Terra Laboris

Dans un arrêt du 24 octobre 2022, la Cour du travail de Liège (division Liège) rappelle ce qu’il faut entendre par « création d’emploi » au sein d’une même unité technique d’exploitation, selon la jurisprudence de la Cour de cassation rendue dans la matière des réductions de cotisations de sécurité sociale pour premiers engagements dans le cadre de la loi-programme (I) du 24 décembre 2002.

Les faits

Une société avait sollicité une réduction de cotisations de sécurité sociale (« groupe-cible – premiers engagements »), qui lui fut accordée. Celle-ci fut ultérieurement supprimée par une décision de l’O.N.S.S. du 26 août 2020. Pour l’Office, il y a une même unité technique d’exploitation avec une S.C.R.L. et absence de création d’emploi.

L’Office rappelle l’article 344 de la loi-programme du 24 décembre 2002, précisant les critères qu’il retient aux fins de déterminer si deux ou plusieurs entités juridiques constituent une même U.T.E. Ceux-ci sont que (i) les entités juridiques en cause sont liées par au moins une personne commune (chef d’entreprise, travailleur ou autre personne – quelle que soit sa qualité) et que (ii) celles-ci ont une base socio-économique commune (lieu, activité, matériel et clientèle).

L’O.N.S.S. retient en l’espèce qu’une même personne a été co-fondateur d’une des deux sociétés et gérant des deux, détenant en plus 90% des parts sociales d’une d’entre elles. Celles-ci ont en outre trois travailleurs communs, même si occupés à des périodes différentes. L’identité (ou à tout le moins la complémentarité) des activités est également retenue, s’agissant de deux établissements Horeca. Il note qu’une des deux sociétés a exercé son activité à l’adresse en cause jusqu’au 1er décembre 2017 et que l’autre l’a entamée le 17 août 2016.

L’Office expose également les conditions légales permettant de retenir une augmentation d’effectif, constat suite auquel il conclut que les conditions pour bénéficier des réductions ne sont pas remplies et fixe le montant des cotisations dues, qui est de l’ordre de 26.000 euros.

Ce montant est payé quasi en totalité, mais tous droits saufs et sans reconnaissance préjudiciable, la société introduisant une action devant le Tribunal du travail de Liège (division Liège) en contestation.

La procédure

L’O.N.S.S. introduit une demande reconventionnelle en vue d’obtenir la condamnation de la société à payer la différence entre le montant réclamé et le montant déjà payé.

Le tribunal statue par jugement du 25 octobre 2021, déclarant le recours fondé. Il fait droit à la demande originaire et déboute l’O.N.S.S. de son action reconventionnelle.

L’Office interjette appel, demandant que la même U.T.E. soit retenue entre les deux sociétés et qu’il soit conclu qu’il n’y a pas eu augmentation effective de personnel justifiant l’octroi de la réduction de cotisations.

Position des parties devant la cour

L’O.N.S.S. fait valoir que la même personne est co-fondateur et gérant de la société ayant bénéficié de la réduction, qu’elle a été également gérant de la première société et qu’il y a trois travailleurs en commun, passés de l’une à l’autre. Il maintient son argumentation en ce qui concerne les critères socio-économiques, étant identité d’activité (secteur Horeca), la proximité des sièges sociaux, des liens commerciaux étroits et l’absence d’augmentation du personnel.

Pour la société, le critère social n’est pas rempli, la personne en cause n’étant fondateur qu’une des deux sociétés et les deux entreprises ayant une existence et une activité indépendantes l’une de l’autre. Elle fait valoir également qu’il n’y a pas identité des sièges sociaux et du matériel et que la clientèle est différente, une société ayant une clientèle étudiante et l’autre une clientèle âgée ou de bureau. Elle souligne également qu’en créant une nouvelle structure, le gérant a nécessairement créé de l’emploi, qui ne préexistait pas.

La décision de la cour

Sur le plan des faits, la cour constate que la première société a été constituée en 1994 et qu’un ancien employé est devenu administrateur-gérant de celle-ci en 2005. Cette société a exploité une brasserie pendant environ six mois, période après laquelle elle a été reprise par la société en cause, et ce en 2016. L’administrateur-gérant est devenu actionnaire majoritaire de celle-ci, dont il a détenu 99% des parts. Il en est devenu gérant en 2017 et a démissionné de ses fonctions dans la première société en mai 2018.

En droit, la cour rappelle les règles générales fixées par la loi-programme (I) du 24 décembre 2002, soulignant notamment qu’est considéré comme nouvel employeur d’un premier travailleur l’employeur qui n’a jamais été soumis à la loi du 27 juin 1969 révisant l’arrêté-loi du 28 décembre 1944 concernant la sécurité sociale des travailleurs, ou encore qui a cessé d’y être soumis depuis au moins quatre trimestres consécutifs précédant le trimestre de l’engagement en cause.

Pour ce qui est de l’existence d’un nouvel engagement, elle précise qu’il faut à la fois une nouvelle embauche et une croissance de l’emploi par rapport aux quatre trimestres qui ont précédé celle-ci, au sein de l’U.T.E. à laquelle il appartient. En conséquence, un nouvel engagement ne donnera pas droit à la dispense des cotisations lorsqu’il n’est pas accompagné d’une réelle création d’emploi au sein de celle-ci (la cour renvoyant à l’abondante jurisprudence de la Cour de cassation sur la question).

Elle en vient ensuite à la notion d’« unité technique d’exploitation », dont elle rappelle qu’elle n’est pas définie dans la loi actuellement, même si elle l’était au départ, la loi-programme du 22 décembre 2003 ayant supprimé ce renvoi. S’agissant d’éviter que l’engagement bénéficiant de la réduction en cause intervienne sans réelle création d’emploi, le contrôle de l’existence de liens socio-économiques doit couvrir non seulement les situations abusives, mais également celles de pur maintien, poursuite ou d’expansion de l’exploitation d’activités économiques.

La cour pointe particulièrement deux décisions de la Cour de cassation, étant son arrêt du 10 décembre 2007 (Cass., 10 décembre 2007, n° S.07.0036.N) rendu dans le cadre de la loi-programme du 30 décembre 1988, où celle-ci a précisé que la notion de « remplacement » est définie en-dehors de toute référence au statut des travailleurs ou à la nature de leurs prestations, ainsi que celui du 7 juin 2010 (Cass., 7 juin 2010, n° S.09.0107.N), où elle enseigne que cette notion doit être distinguée de celle de « réelle création d’emploi » dans la même U.T.E., celle-ci étant indépendante de l’identité et du statut du travailleur nouvellement engagé dans les liens d’un contrat à durée indéterminée. Pour qu’il y ait une réelle création d’emploi, il faut constater une augmentation nette de l’effectif du personnel.

Après ce rappel des principes, la cour confirme rapidement l’existence du lien social en l’espèce, au motif de la présence du co-fondateur-gérant et actionnaire majoritaire d’une société, celui-ci ayant également été salarié, d’autres travailleurs communs ayant également été retenus. Le lien économique est également rencontré, l’identité d’activité étant présente, ainsi que les autres critères touchant à l’exercice de celle-ci.

Quant au niveau de l’emploi, celui-ci n’est pas supérieur, selon les constats faits par la cour, à celui reconnu au sein de la même U.T.E. au cours des quatre trimestres précédant lesdits engagements.

La cour accueille dès lors l’appel de l’O.N.S.S.

Intérêt de la décision

Les litiges en la matière sont particulièrement fréquents.

La jurisprudence de la Cour de cassation est abondante et régulièrement rappelée. L’arrêt commenté est l’occasion plus particulière de souligner les conditions légales pour qu’un engagement d’un nouveau travailleur soit retenu.

La Cour de cassation a rendu sur cette question un arrêt le 13 mai 2019 (Cass., 13 mai 2019, n° S.18.0039.N – précédemment commenté). Pour la Cour, afin de déterminer si le travailleur nouvellement engagé remplace un travailleur qui était actif dans la même unité technique d’exploitation au cours des quatre trimestres précédant l’engagement, il y a lieu d’effectuer une comparaison entre l’effectif du personnel de l’unité technique d’exploitation au moment de l’engagement du nouveau travailleur, d’une part, et l’effectif maximal du personnel de l’unité technique d’exploitation au cours des quatre trimestres précédant cet engagement, d’autre part. La réduction « groupe-cible » ne sera acquise que si l’effectif du personnel de l’unité technique d’exploitation a augmenté au moment de l’engagement du nouveau travailleur et que les autres conditions légales sont remplies. Dans cet arrêt du 13 mai 2019, ainsi que précisé ci-dessus, la Cour de cassation a sanctionné la méthode suivie par la cour du travail, qui avait été de retenir uniquement le volume de travail et non l’augmentation du personnel.


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