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Allocations familiales : conditions pour que le paiement soit effectué au père

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 21 octobre 2022, R.G. 2022/AL/61

Mis en ligne le lundi 7 août 2023


Cour du travail de Liège (division Liège), 21 octobre 2022, R.G. 2022/AL/61

Terra Laboris

Dans un arrêt du 21 octobre 2022, la Cour du travail de Liège (division Liège) rappelle les conditions de paiement des allocations familiales au père, en cas de séparation du couple, étant spécifiquement exigée une identité de domicile légal.

Les faits

Suite au divorce de leurs parents, les trois enfants d’un couple sont domiciliés et hébergés à titre principal chez leur mère, suite à deux décisions du juge des référés datant de 2011. L’année suivante, la mère s’installe en Allemagne avec ceux-ci ainsi et son nouveau compagnon et perçoit les allocations familiales. Un des enfants quitte le domicile en 2017 pour aller vivre chez son père.

Le Tribunal de la famille de Liège, saisi par le père en vue d’obtenir la modification du domicile et l’hébergement de l’enfant, se déclare incompétent sur le plan international.

L’année suivante, un deuxième enfant retourne également chez son père. Celui-ci demande alors à la caisse d’allocations les allocations familiales pour les deux enfants. Dans l’intervalle, la Cour d’appel de Liège, saisie du jugement du tribunal de la famille, confirme celui-ci dans un arrêt du 5 novembre 2020.

Après cette décision, le père fait une nouvelle demande auprès de la caisse en vue d’obtenir les allocations familiales et, par décision du 25 février 2021, celle-ci refuse, au motif que la mère vit en Allemagne et qu’elle a remis une attestation (E401), mentionnant la présence des enfants avec elle. La caisse se déclare en conséquence dans l’impossibilité d’effectuer les versements au père, les enfants ne pouvant se domicilier en Belgique.

Le père introduit alors deux procédures, la première devant le Tribunal du travail de Liège aux fins d’obtenir les allocations familiales et la seconde devant le Tribunal de première instance de Liège, qui se déclare alors compétent internationalement et ordonne à titre provisoire la domiciliation des enfants chez le père. Suite à cette régularisation, la caisse accepte de verser les allocations, mais ce à partir du 1er avril 2022 uniquement.

Par jugement du 21 janvier 2022, le tribunal du travail rejette le recours et le père interjette appel, la période litigieuse allant du 20 juin 2017 pour le premier enfant et du 1er septembre 2018 pour le second, jusqu’au 31 mars 2022.

Position des parties devant la cour

A titre principal, l’appelant sollicite le paiement des allocations familiales pour la période litigieuse et, subsidiairement, il demande que soit posée une question à la Cour constitutionnelle.

Quant à la caisse, elle sollicite purement et simplement la confirmation du jugement.

La décision de la cour

La cour fait une remarque préalable au sujet du droit applicable, rappelant que, depuis la sixième réforme de l’Etat, la compétence en matière d’allocations familiales a été transférée aux Communautés et à la COCOM et que, par décret spécial du 3 avril 2014, la Communauté française a transféré cette compétence à la Région wallonne pour la Région de langue française. Est actuellement en vigueur, au titre de réglementation applicable en Région wallonne, le décret du 8 février 2018 relatif à la gestion et au paiement des prestations familiales.

La cour relève que les questions relatives à l’application de ce décret dans le temps sont délicates et qu’elles ont été très peu commentées. Cependant, vu la similitude des textes applicables dans l’ancien et le nouveau régime (article 69, § 1er, alinéa 3, de la loi générale aux allocations familiales et article 22, § 1er, alinéa 5, du décret), elle estime ne pas devoir procéder à l’examen du droit applicable.

Elle passe dès lors aux principes relatifs au droit pour le père au paiement des allocations familiales.

La mère perçoit généralement celles-ci lorsque les deux parents de sexe différent ne cohabitent pas mais exercent conjointement l’autorité parentale. Cette règle connaît des exceptions, si l’enfant est élevé exclusivement ou principalement par un autre allocataire (qui ne peut pas être son père) ou si l’enfant et le père ont le même domicile légal au sens du lieu d’inscription à titre principal dans les registres de la population. Dans cette seconde hypothèse, les allocations sont dues à dater de la demande faite par le père.

La cour précise encore que le tribunal de la famille peut être saisi par un des parents qui contesterait l’opportunité du paiement des allocations familiales conformément aux règles ci-dessus, et ce aux fins d’obtenir sa désignation en qualité d’allocataire. Une telle décision produit ses effets le premier jour du mois qui suit celui au cours duquel la notification à la caisse est intervenue.

Sur ces questions, existe une abondante jurisprudence, à laquelle la cour renvoie. Elle clôture ce rappel en ajoutant qu’en règle, seule l’inscription officielle de l’enfant à la même adresse que le père peut justifier le paiement des allocations familiales à celui-ci, aucun autre moyen de preuve de la résidence n’étant accepté, renvoyant ici notamment à la doctrine de S. DELOOZ (S. DELOOZ, « L’évolution légale et jurisprudentielle du régime des prestations familiales », Actualités de la sécurité sociale, C.U.P., Larcier, 2004, p. 673), ainsi qu’à un arrêt de la Cour du travail de Mons (C. trav. Mons, 7 janvier 2009, R.G. 20.507).

En l’espèce, le père n’a pas été désigné en qualité d’allocataire dans l’intérêt des enfants, de telle sorte que, pendant la période où ceux-ci sont restés domiciliés avec leur mère en Allemagne, il ne répondait pas aux conditions pour obtenir le paiement des allocations familiales.

A titre subsidiaire, celui-ci a demandé que soit posée une question à la Cour constitutionnelle, eu égard à une possible discrimination. La violation est prise des articles 10 et 11 de la Constitution, 1er du Premier Protocole additionnel C.E.D.H. et 14 de la Convention, en ce qu’ils créeraient une discrimination entre le père et la mère dès lors que celui-ci doit justifier d’un domicile commun, tandis que la mère peut, le cas échéant, obtenir le paiement sans même disposer de celui-ci.

La cour examine, en conséquence, les règles contestées, rappelant que le législateur a eu à cœur de rechercher un équilibre entre les droits du père, dans l’intérêt de l’enfant, et la rationalisation du travail de l’administration. L’article 69, § 1er, L.G.A.F. a dès lors été modifié par la loi du 25 janvier 1999, aux fins d’éviter, et ce à la demande du Comité de gestion de l’O.N.A.F.T.S., aux gestionnaires des dossiers d’allocations familiales, de devoir trancher la question de fait en cas de contestation entre les deux parents.

La cour rappelle également que la Cour constitutionnelle a été saisie et qu’elle a rendu (s’agissant d’une mouture précédente de l’article 69, 1er, alinéa 3, L.G.A.F.) un arrêt le 15 juillet 1999 (n° 87/99), soulignant que les droits du père ont été renforcés par la loi du 25 janvier 1999, puisqu’il peut demander que les allocations familiales lui soient intégralement payées si l’enfant est domicilié chez lui. En outre, la modification législative de 2014 facilite encore l’exercice pour le père de son droit de demander à être désigné allocataire dans l’intérêt de l’enfant, la demande pouvant être formulée conjointement (devant le tribunal de la famille) avec une demande de mesures réputées urgentes dans le cadre de l’article 1253ter/4 du Code judiciaire.

Il n’y a dès lors pas de violation de la Constitution et la cour écarte la demande formulée d’interroger la Cour constitutionnelle.

Intérêt de la décision

L’exigence d’une condition de résidence effective et d’inscription dans les registres de la population en cas de demande de paiement introduite par le père est une règle incontournable, la Cour du travail de Liège la rappelant dans cet arrêt du 21 octobre 2022, notamment.

L’on peut renvoyer, sur la même question, à la jurisprudence de la Cour du travail de Bruxelles (C. trav. Bruxelles, 26 juin 2014, R.G. 2013/AB/1.031 – précédemment commenté), dans une hypothèse de convention de divorce par consentement mutuel, prévoyant le sort des allocations familiales, convention dont il fut envisagé ultérieurement, et ce d’un commun accord, de les modifier.

La question de la prise d’effet de la décision judiciaire a fait l’objet d’un arrêt de la Cour constitutionnelle en date du 3 février 2022 (n° 13/2022). Elle y a considéré que l’article 69, § 1er, alinéa 5, de la loi générale relative aux allocations familiales, qui prévoit que la décision judiciaire de modification de l’allocataire produit ses effets à dater de la notification du jugement, tend à éviter que les caisses d’allocations familiales doivent poursuivre elles-mêmes le remboursement des allocations versées à celui qui, au moment du versement, avait bien la qualité d’allocataire, en vue de verser ce montant à celui qui, de manière rétroactive, acquerrait cette qualité. Cette disposition tend ainsi à éviter des difficultés administratives et financières disproportionnées pour les caisses d’allocations familiales, en raison d’un changement rétroactif de l’allocataire, c’est-à-dire de la personne à laquelle les allocations familiales sont versées. Cette disposition concerne dès lors uniquement la portée temporelle de la modification judiciaire de l’allocataire pour le versement des allocations familiales par les caisses d’allocations familiales.


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