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Frais d’assistance personnelle à la personne handicapée : examen de la condition de surcoût

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 12 avril 2023, R.G. 2022/AL/393

Mis en ligne le vendredi 28 juillet 2023


Cour du travail de Liège (division Liège), 12 avril 2023, R.G. 2022/AL/393

Terra Laboris

Dans un arrêt du 12 avril 2023, la Cour du travail de Liège (division Liège) rappelle les conditions d’intervention de l’AViQ dans le remboursement de frais d’assistance personnelle exposés par une personne souffrant d’un handicap, s’agissant de comparer ceux-ci avec ceux qu’exposerait une personne valide.

Les faits

La demanderesse, née en 1970, présente depuis 2010 une invalidité causée par une paraplégie spastique héréditaire. En juillet 2020, le Département d’Aptitude à la Conduite (D.A.C.) reconnut que le véhicule de celle-ci devait disposer d’un boîte de vitesses automatique, ce qui fut confirmé sur le plan médical. Une demande fut dès introduite auprès de l’AViQ pour trois postes.

Par décision du 13 octobre 2020, l’AViQ accepta la prise en charge de deux de ces postes (système mécanique d’accélération et de freinage au volant ainsi qu’adaptation des pédales) mais refusa celui relatif à l’aide individuelle pour la boîte de vitesses automatique sur un véhicule hybride. L’administration considérait que l’intéressée bénéficiait déjà d’une boîte automatique (véhicule de série).

Cette décision a été contestée devant le Tribunal du travail de Liège (division Liège). Par jugement du 27 juin 2022, celui-ci y fit droit, condamnant l’AViQ à intervenir dans les frais d’achat de cette boîte de vitesses à raison d’un montant maximum donné.

Appel est interjeté par l’administration.

La position des parties devant la cour

L’AViQ plaide l’absence de surcoût par rapport à une personne valide faisant l’acquisition d’un véhicule de la même catégorie disponible uniquement en version automatique, la réglementation (annexe 82 du Code réglementaire wallon de l’action sociale et de la santé) visant une intervention pour une « adaptation », ce qui n’est pas le cas lorsque le véhicule est exclusivement disponible avec une boîte automatique. En outre, le choix d’un véhicule hybride, s’il est légitime, ne peut être pris en charge par la collectivité. L’Agence fait également grief au jugement de ne pas avoir distingué les deux conditions d’intervention que sont le critère de nécessité et celui du surcoût.

L’intimée plaide pour sa part qu’il y a un surcoût par rapport à l’usage généralement admis et systématiquement moins cher d’un véhicule muni d’une boîte de vitesses manuelle.

La décision de la cour

La cour reprend longuement la réglementation (partie décrétale du Code wallon de l’action sociale et de la santé du 29 septembre 2011). Pour ce qui est des interventions financières, des critères sont établis par l’article 278 de ce texte, qui mentionne que doivent être pris en compte divers points, dont (i) la nature de l’aide, (ii) le degré de nécessité des prestations sollicitées, (iii) le coût normal de celles-ci et le coût supplémentaire à celui qu’une personne non handicapée encourt dans des situations identiques et (iv) les autres interventions légales et réglementaires possibles ainsi que l’importance des ressources du demandeur.

Pour ce qui est du surcoût, la cour renvoie à l’arrêt du 16 mars 2015 de la Cour de cassation (Cass., 16 mars 2015, n° S.14.0049.F), selon lequel il s’impose de comparer les frais sollicités avec ceux qu’exposerait une personne valide. Elle reprend les conclusions de M. l’Avocat général GENICOT, pour qui il s’agit d’empêcher que le handicap ne fasse supporter à la collectivité des aménagements que toute personne non handicapée devrait ou pourrait en tout état de cause envisager selon les usages généralement admis ou les normes imposées dans des circonstances identiques.

La cour reprend encore d’autres dispositions pertinentes du Code, étant ses articles 784, 785, 786 et 796/6.

Elle vient alors à l’annexe 82, qui traite des produits d’assistance à la mobilité personnelle, et spécifiquement des adaptations pour voiture. L’ensemble des conditions sont reprises ainsi que le montant de l’intervention. Il s’agit donc d’apprécier, sur la base de ces dispositions, la nécessité de celle-ci pour les activités de la personne handicapée et sa participation à la vie en société, ainsi que de vérifier si cette aide individuelle entraîne des frais supplémentaires à ceux qu’encourrait une personne valide dans des circonstances identiques.

Est en cause en l’espèce la seule condition du surcoût. Pour ce qui est de l’achat du véhicule (véhicule hybride muni d’office d’une telle boîte de vitesses), la cour considère que, si l’achat d’un véhicule peut être envisagé par n’importe quelle personne (valide ou non), l’usage de l’équipement en cause n’est pas une norme habituelle dans le cas d’une personne valide. Dès lors qu’il est nécessaire d’acheter un véhicule « spécial » (terminologie de l’arrêt), la condition est remplie.

La cour fait grief à l’AViQ de fonder son refus sur la seule considération que l’intéressée a fait un choix écologique et en prévision de mesures gouvernementales ultérieures. Ce faisant, l’Agence va au-delà de la comparaison à opérer dans des circonstances identiques. Elle souligne que les conséquences d’un tel achat sont maîtrisées par l’application du forfait de l’intervention de l’AViQ. Pour la cour, ce qu’il faut comparer est la situation de l’intéressée par rapport à celle d’une personne valide, face à la nécessité d’acheter un véhicule motorisé. Elle constate que, sous cet angle, l’AViQ ne conteste pas que, lorsqu’un véhicule est disponible dans les deux versions, il y a adaptation de la boîte de vitesses par le fait de l’achat d’un véhicule muni d’une boîte automatique.

La cour développe encore sa motivation en décelant l’existence d’une discrimination éventuelle dans la comparaison à faire avec une personne valide, étant que, face à la possibilité d’acheter un véhicule hybride dans une optique écologique, la personne handicapée ne pourrait faire ce choix, au contraire de la personne valide, si elle veut sauvegarder son droit à une aide individuelle.

Elle poursuit en comparant la situation d’une personne handicapée qui achèterait un véhicule existant dans les deux versions – achat pour lequel il y aurait une intervention de l’AViQ – et d’un autre véhicule, équipé d’office d’une boîte de vitesses automatique, dont elle a besoin – situation où elle ne pourrait bénéficier de l’aide individuelle à l’intégration.

En l’espèce, elle constate encore que le forfait applicable pour l’adaptation de la boîte de vitesses est inférieur à la différence de coût entre le véhicule non hybride équipé de l’une ou de l’autre et que l’on retrouve ainsi dans l’achat du véhicule hybride le coût de « l’adaptation » de la boîte de vitesses nonobstant le fait qu’il est exclusivement disponible avec une boîte automatique.

L’appel est non fondé.

Intérêt de la décision

La cour du travail rappelle dans cet arrêt que l’intervention de l’AViQ est en règle liée à deux conditions, étant le surcoût et la nécessité des dispositifs d’assistance. Elle reprend l’arrêt de la Cour de cassation du 16 mars 2015 (Cass., 16 mars 2015, n° S.14.0049.F – précédemment commenté), rendu à propos de travaux d’aménagement du domicile de la personne handicapée. La cour suprême y a repris, à partir de l’article 4, alinéas 1er et 2, de l’arrêté du Gouvernement wallon du 14 mai 2009, la méthode à suivre afin de déterminer la possibilité de prise en charge : l’intervention de l’AViQ sera obtenue si les frais à exposer excèdent ceux que devrait, dans les mêmes circonstances, exposer une personne valide.

L’on ne peut – comme dans l’espèce soumise à la censure de la Cour de cassation – motiver l’obligation de prise en charge par la circonstance que la personne handicapée se mettrait en danger, eu égard à l’infrastructure existante, et que la demande porterait sur des frais de remplacement de ces installations par d’autres plus sûres. La Cour de cassation a censuré l’arrêt de la cour du travail, qui avait considéré qu’il ne s’agissait pas de remplacer du vieux par du neuf, mais de sécuriser les lieux – travaux rendus nécessaires par le handicap.

Dans la présente espèce, la méthode préconisée est suivie, s’agissant de vérifier s’il y a un surcoût par rapport aux frais que devrait normalement exposer une personne valide. Vu la circonstance que le véhicule en cause n’existe que dans une seule version, la condition « d’adaptation » n’est pas remplie au sens strict, mais est d’une part compensée par la différence de coût et le forfait du remboursement et d’autre part jugée susceptible, si elle est interprétée de manière stricte, d’induire une discrimination injustifiée.


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