Terralaboris asbl

Reprise d’actif après faillite et droit à l’indemnité de transition

Commentaire de Trib. trav. Liège (div. Liège), 10 octobre 2022, R.G. 21/885/A

Mis en ligne le mardi 25 juillet 2023


Tribunal du travail de Liège (division Liège), 10 octobre 2022, R.G. 21/885/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 10 octobre 2022, le Tribunal du travail de Liège (division Liège) rappelle les conditions d’octroi de l’indemnité de transition à charge du Fonds de Fermeture des Entreprises en cas de reprise d’actif après faillite, cette reprise existant dès lors qu’il y a poursuite de l’activité principale de l’entreprise ou d’une division de celle-ci.

Les faits

Une coiffeuse salariée constitue en 2019 une société avec son époux, ayant notamment pour objet l’exploitation de salons de coiffure. La société qui l’employait est rapidement, après la constitution de celle-ci, déclarée en faillite. Une autre coiffeuse également au service de cette société est réengagée par la société nouvellement constituée. Le contrat de travail est à durée déterminée. Il a une durée de trois mois et il est suivi d’un contrat de travail à durée indéterminée.

L’intéressée introduit une déclaration de créance à la faillite de la société qui l’employait. Celle-ci est acceptée par le curateur, qui, cependant, l’invite à l’introduire auprès du Fonds de Fermeture, en l’absence d’actif suffisant.

Le formulaire F1 est dès lors rentré auprès du Fonds en vue d’obtenir son intervention. Il s’agit d’une indemnité de rupture ainsi que d’un jour férié. Le Fonds accepte l’intervention du jour férié mais non l’indemnité de rupture, considérant que la société a fait l’objet d’une reprise d’actif après faillite.

Des échanges épistolaires interviennent mais n’aboutissent pas.

La procédure est introduite en mars 2021.

Il est un peu plus tard mis fin au contrat de travail de la demanderesse pour force majeure médicale.

Position des parties devant le tribunal

Sont à la cause la travailleuse, le Fonds de Fermeture, ainsi que la S.R.L. qui a repris la travailleuse après la faillite de son employeur précédent.

La demanderesse considère qu’il n’y a pas de reprise après faillite. Subsidiairement, elle estime qu’elle ne peut être considérée comme une travailleuse reprise, ayant été engagée dans le cadre d’un contrat à durée déterminée. Elle invoque pour ce la théorie des contrats restrictifs (avec renvoi à Cass., 5 mai 1997, n° S.96.0086.F). Plus subsidiairement encore, elle plaide que, s’il y a lieu de la considérer comme travailleuse reprise dans le cadre d’une reprise d’actif après faillite, elle doit bénéficier de son ancienneté (près de neuf ans au moment des faits). Vu la rupture du contrat de travail pour force majeure médicale, cette thèse ne sera pas poursuivie.

Pour la société, il n’y a pas de transfert au sens de la C.C.T. n° 32bis, vu l’absence de transfert de clientèle, de démarchage, de publicité ciblée, non plus que de poursuite de l’identité. Il n’y a aucun lien fonctionnel entre les personnes et aucun accord entre les sociétés pour un transfert d’activité. Elle estime dès lors que la demande doit être déclarée non fondée en tant qu’elle est dirigée contre elle.

Enfin, le Fonds de Fermeture demande que soit retenue l’application des articles 7, 1°, de la loi du 26 juin 2002 relative aux fermetures d’entreprise et 2, 5°, de la C.C.T. n° 32bis. La travailleuse a été reprise, même s’il s’est agi d’un contrat à durée déterminée dans un premier temps, dans la mesure où, à l’expiration de celui-ci, elle a poursuivi ses prestations dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée, et ce dans les mêmes conditions, ce contrat ayant été signé dans le délai de quatre mois suivant la reprise d’actif. Il sollicite dès lors que la demanderesse soit déboutée de son action en ce qui le concerne.

L’avis de l’auditeur du travail

L’auditeur du travail conclut pour sa part à la reprise d’actif et à la qualité dans le chef de la demanderesse de travailleuse reprise, dans la mesure où elle a signé un contrat à durée indéterminée dans les quatre mois de celle-ci. Sa conclusion est que les droits de l’intéressée portent sur le maintien de l’ancienneté depuis son engagement par la société faillie.

La décision du tribunal

Le tribunal reprend les règles, telles que combinées par le chapitre 3 de la C.C.T. n° 32bis et la loi du 26 juin 2002. Le droit à une indemnité de transition des travailleurs réengagés par un repreneur est fixé par les articles 41 et 42 de la loi du 26 juin 2002 dans certaines conditions, droit couvrant la période d’interruption d’activité. Cette indemnité est payée par le Fonds de Fermeture.

Les travailleurs n’étant pas automatiquement transférés au repreneur (contrairement à l’hypothèse du transfert conventionnel d’entreprise), le repreneur n’est pas tenu de reprendre tous les travailleurs ni de maintenir les conditions individuelles de travail. Il doit cependant maintenir les conditions de travail conclues ou appliquées collectivement chez l’ancien employeur (article 13). De même, il devra tenir compte de l’ancienneté acquise par le travailleur chez celui-ci (article 14).

Le tribunal rappelle encore que, si le travailleur peut bénéficier de l’indemnité de transition, il n’a pas droit à l’indemnité de préavis. Le système veut en effet que le travailleur repris bénéficie du maintien de son ancienneté pour le calcul du préavis. Il n’a dès lors pas droit à l’indemnité due par l’employeur en défaut.

Enfin, pour ce qui est du rappel des règles de principe, le tribunal reprend les trois conditions pour que le travailleur puisse bénéficier de l’indemnité de transition : il faut que (i) la reprise d’actif ait lieu dans un délai de deux mois après la faillie (sauf exception), (ii) le travailleur ait été lié par contrat à la date de la faillite (ou qu’il ait été licencié au cours du mois précédent et qu’il ait droit à une indemnité de rupture non payée) et (iii) il ait conclu un contrat après la faillite avec l’employeur qui a effectué la reprise de l’actif, soit avant que celle-ci n’ait lieu, soit au moment où elle est intervenue, ou encore dans un délai de quatre mois.

Il faut dès lors vérifier la première des questions posées, étant de savoir s’il y a eu une reprise d’actif après faillite. Le tribunal répond par l’affirmative à cette question, rappelant que celle-ci requiert uniquement qu’il y ait poursuite de l’activité principale de l’entreprise ou d’une division de celle-ci, et ce qu’une convention ait été conclue ou non entre la société faillie et le repreneur.

Le tribunal considère, sur la notion de poursuite de l’activité principale, que celle-ci est présente eu égard aux éléments de fait (identité d’activité, reprise de trois travailleurs qui ont apporté leur technique professionnelle acquise auprès de la société faillie, ce qui constitue un actif immatériel, proximité de la création de la nouvelle société avec la faillite de la précédente, localisation, enseigne commerciale, etc.).

Il souligne que, l’annonce de la faillite étant imminente, la nouvelle société a pu être constituée rapidement et que la clientèle a automatiquement suivi, rendant inutile le démarchage.

Il en vient, ensuite, au droit de l’intéressée à une indemnité. Dans la mesure où elle a été reprise par la nouvelle société, la demanderesse avait effectivement droit à une indemnité de transition, les conditions légales ci-dessus étant remplies.

Si, dans son arrêt du 5 mai 1997, la Cour de cassation a confirmé que le travailleur ne peut être privé de l’indemnité de rupture due par son ancien employeur que s’il a la chance de pouvoir faire valoir son ancienneté dans le cadre de son occupation pour le nouveau (condition qui n’est pas assurée en cas d’engagement pour une durée déterminée), le tribunal souligne que le raisonnement de la Cour de cassation ne doit pas permettre de contourner les règles, étant qu’il s’agirait d’engager le travailleur dans le cadre d’un contrat à durée déterminée dans le but d’échapper à la reprise d’ancienneté.

En l’espèce, ce contrat (de trois mois) a été immédiatement suivi d’un contrat à durée indéterminée intervenant aux mêmes conditions et le tribunal souligne la continuité des trois contrats (le premier auprès de la société faillie et les deux suivants auprès du nouvel employeur). Les conditions de travail sont identiques (horaire, temps partiel et salaire horaire). Il relève encore que le contrat à durée indéterminée a été signé dans les quatre mois de la reprise de l’actif et que, du fait de la signature de ce dernier, l’ancienneté de la travailleuse lui était acquise. Elle n’a dès lors pas droit à l’indemnité de rupture à charge du Fonds de Fermeture.

Intérêt de la décision

L’affaire tranchée par le Tribunal du travail de Liège dans ce jugement du 10 octobre 2022 est intéressante, celui-ci mettant d’une part l’accent sur les conditions de la reprise d’actif après faillite et, d’autre part, sur les conditions d’octroi de l’indemnité de transition.

Pour qu’il y ait reprise d’actif, il faut et il suffit que l’activité principale de l’entreprise soit poursuivie.

Dans un jugement du 13 février 2019 (Trib. trav. Hainaut, div. Mons, 13 février 2019, R.G. 16/1.096/A), le Tribunal du travail du Hainaut a rappelé que cette poursuite peut s’accompagner d’une reprise d’éléments d’actifs de l’entreprise en faillite mais pas nécessairement. Dans les entreprises où l‘activité repose essentiellement sur le facteur humain, la poursuite de l’activité peut être déduite de l’engagement de ce même personnel appelé à effectuer des prestations identiques auprès du nouvel employeur.

Par ailleurs, dans un arrêt du 31 janvier 2022 (C. trav. Liège, div. Liège, 31 janvier 2022, R.G. 2020/AL/530 – précédemment commenté), la Cour du travail de Liège a rappelé que, lorsqu’il s’agit d’appliquer la section 4 de la loi du 26 juin 2002 relative aux fermetures d’entreprises (qui a trait à l’indemnité de transition), le Fonds de Fermeture est tenu, à l’égard des travailleurs qui ont droit à l’indemnité de transition, d’accorder son intervention (rémunération ainsi qu’indemnités et avantages), à l’exception de l’indemnité de rupture. L’indemnité de rupture à charge du Fonds de Fermeture et l’indemnité de transition sont alternatives et non cumulatives. Le travailleur bénéficiera à charge du Fonds soit de l’une, soit de l’autre, soit encore d’un panachage des deux dans le temps. Il ne percevra jamais les deux pour la même période.

Etait en cause dans l’affaire tranchée par le Tribunal du travail de Liège le 10 octobre 2022 le droit à l’indemnité de rupture réclamée par la demanderesse. Le tribunal a admis le droit à une indemnité de transition, la travailleuse devant être considérée comme reprise au sens des articles 41 et 42 de la loi du 26 juin 2002.


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be