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Etendue du contrôle judiciaire des motifs de licenciement

Commentaire de Trib. trav. Liège (div. Verviers), 8 février 2023, R.G. 22/30/A

Mis en ligne le vendredi 14 juillet 2023


Tribunal du travail de Liège (division Verviers), 8 février 2023, R.G. 22/30/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 8 février 2023, le Tribunal du travail du Liège (division Verviers) procède à l’examen du bien-fondé d’une mesure de licenciement d’un cadre supérieur, rappelant que la non-prise en compte par l’employeur de propositions que celui-ci a faites en cours de contrat en vue de contribuer à solutionner d’importants problèmes de fonctionnement et la décision de licenciement au motif de ceux-ci ne sont pas des décisions qu’aurait prises un employeur normal et raisonnable dans la même situation.

Les faits

Un employé, engagé en qualité de directeur technique d’une société de logement de service public, est licencié moyennant paiement d’une indemnité compensatoire de préavis après sept années et demie de prestations.

Les motifs du licenciement ayant été demandés et exposés par la société, une contestation survient, suite à laquelle l’employé introduit une procédure devant le tribunal. Il y sollicite le paiement d’un complément d’indemnité compensatoire de préavis, une indemnité pour licenciement manifestement déraisonnable et des dommages et intérêts pour licenciement abusif du fait des circonstances de la rupture.

Un paiement sera effectué par la société en ce qui concerne un reliquat de l’indemnité compensatoire.

Le jugement du tribunal

Restent plusieurs postes en litige, que le tribunal examine successivement.

Le premier est relatif à une demande d’intérêt moratoire sur l’indemnité compensatoire de préavis, question sur laquelle il rappelle l’article 11 de la loi du 12 avril 1965 concernant la protection de la rémunération des travailleurs. Cette disposition, qui prévoit que la rémunération restant due doit être payée sans délai et au plus tard à la première paie qui suit la date de la fin de l’engagement, n’est pas applicable aux indemnités de préavis (renvoi étant fait à Cass., 25 janvier 1988, n° 5.922). La date d’exigibilité de cette indemnité figure dans l’article 39 de la loi du 3 juillet 1978, qui, s’il ne contient aucun délai de paiement, ne dispose cependant que celui qui résilie irrégulièrement le contrat est tenu de payer une indemnité de congé. Cette indemnité est donc exigible immédiatement, soit au moment de la résiliation.

Le tribunal renvoie à la doctrine de W. VAN EECKHOUTTE et V. NEUPREZ (W. VAN EECKHOUTTE et V. NEUPREZ, Compendium social – Droit du travail – 2020-2021, contenant des annotations fiscales, Tome 1, Généralités, Règles du droit du travail, Promotion de l’emploi, Formation du contrat de travail, Droits et obligations, version SocialEye, n° C.0597359, 15/05/2022) et à la jurisprudence de la Cour de cassation citée par ceux-ci (dont Cass., 30 novembre 1992, n° 8.038). L’intérêt moratoire est dès lors dû sur l’indemnité non payée à la date de la rupture.

Vient ensuite, à propos de l’indemnité compensatoire de préavis complémentaire postulée par le demandeur, l’examen de l’imputation sur celle-ci du montant lié au reclassement professionnel, étant en discussion le plafonnement de cette indemnité.

Le tribunal rappelle le mécanisme légal issu de la loi du 5 septembre 2001 visant à améliorer le taux d’emploi des travailleurs. Le demandeur demande en effet la limitation du plafonnement du montant imputé sur l’indemnité de rupture à 5.500 euros, et ce s’appuyant sur une doctrine (M.-L. WANTIEZ, « Le coût de l’outplacement », J.T.T., 2019, p. 325), qui considère que le travailleur dont la rémunération mensuelle dépasse 5.500 euros et qui subit une retenue supérieure à ce montant serait en droit de contester cette imputation pour la partie de l’indemnité qui dépasse cette somme.

Le tribunal ne suit pas cette manière de voir, qui repose sur l’exigence d’une lecture conjointe des deux alinéas du premier paragraphe de la disposition. Pour lui, à aucun moment le législateur n’a fait le lien entre ceux-ci pour retenir la limitation de l’imputation à 5.500 euros. Il considère que le choix du législateur est clair et qu’il y a lieu de retenir les quatre semaines de rémunération telles que fixé par la loi.

Après avoir déterminé le montant de la rémunération de référence, en donnant l’évaluation de certains avantages de toute nature, le tribunal examine la question du licenciement manifestement déraisonnable.

En l’espèce, les motifs ont été demandés et la société les a donnés. Pour le tribunal, chacune des parties doit dès lors démontrer les éléments qu’elle allègue, s’agissant pour l’employeur de prouver l’exactitude des motifs et le lien causal avec le licenciement, le travailleur devant pour sa part établir le caractère manifestement déraisonnable de celui-ci. Il examine dès lors en premier lieu la réalité du motif et vérifie si celui-ci en est la cause réelle.

Les motifs donnés sont au nombre de quatre, s’agissant (i) d’une absence de coordination avec le personnel et d’une mauvaise répartition du travail, (ii) de manquements dans l’efficacité recherchée malgré plusieurs avertissements, (iii) de plusieurs problèmes vis-à-vis de certains locataires et (iv) d’une attitude déplacée, qualifiée également de « mensongère » et de « manipulatrice », vis-à-vis de la hiérarchie et des collègues, ainsi que d’un refus de transparence. Il s’agit dès lors de motifs liés à l’aptitude ou à la conduite.

Le tribunal les passe successivement en revue, faisant un examen approfondi des pièces (documents divers, procès-verbaux de réunions, attestations, etc.). Il relève immédiatement que chacune des parties dépose des attestations contradictoires et qu’il y a lieu d’écarter certaines émanant de l’employeur (s’agissant d’administrateurs, dont le président du C.A., ainsi que d’attestations d’un membre occupant un poste de direction).

Chaque catégorie de grief est examinée, étant successivement la désorganisation du service, les problèmes vis-à-vis de certains locataires, le non-respect de lignes budgétaires, etc.

Sur le motif central, qui est libellé comme étant l’évolution défavorable de la remise en location des logements passés par le service dirigé par le demandeur, le tribunal constate également des visions totalement différentes et entreprend ici également un examen très circonstancié des rapports, chiffres, procès-verbaux, etc. Il ressort des réunions du C.A. qu’entre 2015 et 2019, la qualité du travail de l’intéressé et de son service a été reconnue à plusieurs reprises. Pour ce qui est de 2020, le tribunal retient que des éléments ont ralenti l’avancée des travaux, étant d’une part la crise sanitaire liée au COVID-19 et d’autre part un blocage de la tutelle. Il constate que les difficultés pointées par la société ont été accrues par des problèmes liés à la rénovation de logements inoccupés, bloquée pendant de nombreux mois à la tutelle, et que c’est poussée par des questions financières que la société a fait des questions de rénovation de logements vétustes une priorité à la fin de cette année.

Le tribunal relève que, dans cette problématique complexe, l’intéressé a émis des propositions pour remédier à la situation. L’absence de faute dans son chef est également relevée par l’autorité de tutelle, de telle sorte que le tribunal ne peut que conclure que les motifs invoqués ne sont pas réels et que, a fortiori, le lien causal avec le licenciement n’est pas avéré.

En ne tenant pas compte des propositions concrètes qui ont été faites par le demandeur aux fins de remédier aux importants problèmes constatés et en prenant la décision de le licencier, la société ne s’est pas comportée comme un employeur normal et raisonnable dans la même situation.

Pour ce qui est du quantum de l’indemnité, le tribunal se fonde sur l’absence de preuve des motifs allégués et sur l’ancienneté du demandeur, fixant l’indemnité à huit semaines de rémunération, montant à augmenter de l’intérêt légal à dater de la rupture.

Enfin, le tribunal examine la demande de dommages et intérêts pour abus de droit, étant notamment reprochée par le demandeur l’absence d’audition. Pour ce, le tribunal vérifie si la société, qui est une société de logement de service public, est une autorité administrative tenue par le principe « audi alteram partem » pour ce qui est du licenciement d’un membre du personnel engagé sous contrat de travail. Elle retient que la loi du 3 juillet 1978 est applicable à ces sociétés, de même que celle du 5 décembre 1968 sur les conventions collectives de travail et les commissions paritaires, et que celles-ci relèvent elles-mêmes d’une commission paritaire (n° 339).

Il rappelle que, si les sociétés de logement social étaient précédemment considérées comme des autorités administratives, la Cour de cassation a rendu le 10 juin 2005 un arrêt en chambres réunies (Cass., 10 juin 2005, n° C.04.0278.N), concluant que tel n’est pas le cas, et ce sur la base du critère selon lequel l’autorité administrative doit pouvoir prendre des décisions obligatoires à l’égard des tiers, ce qui n’est pas le cas pour les sociétés de logement social.

Il n’y avait dès lors, en l’espèce, pas d’obligation d’audition préalable au licenciement et ce chef de demande est rejeté.

Intérêt de la décision

Ce jugement du Tribunal du travail de Liège (division Verviers) est très exemplatif de l’étendue du contrôle judiciaire organisé par la C.C.T. n° 109.

Outre le débat relatif au mécanisme probatoire, le tribunal est amené, dans cette espèce où sont en cause, au titre de motif du licenciement, des griefs liés à la mauvaise exécution de tâches de direction d’un service (comportant, outre une large marge de manœuvre, une autonomie importante dans la gestion du personnel et dans les orientations de la politique de l’entreprise), à effectuer le contrôle du motif très en profondeur. Il s’attache en effet à l’examen de l’évolution de la politique de l’employeur pendant plusieurs années et à l’exécution par le directeur des instructions émanant du C.A. L’on notera que c’est sur la base d’éléments établis in tempore non suspecto (procès-verbaux, rapports, autres éléments objectivables) qu’il s’est fondé, et non sur des attestations de tiers, dont il n’a pu que constater qu’elles aboutissaient à s’annuler, vu leur caractère contradictoire, certaines étant par ailleurs rejetées, émanant d’organes de l’employeur.


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