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Les indemnités de protection contre le licenciement de la femme enceinte ou intervenu pour discrimination sur la base du genre sont-elles cumulatives ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 25 janvier 2022, R.G. 2019/AB/657

Mis en ligne le vendredi 14 octobre 2022


Cour du travail de Bruxelles, 25 janvier 2022, R.G. 2019/AB/657

Terra Laboris

Dans un arrêt du 25 janvier 2022, la Cour du travail de Bruxelles répond à cette question par la négative.

Les faits

Une agence immobilière a engagé une employée responsable de bureau (office manager) en avril 2018. Celle-ci communique, fin mai 2018, une attestation médicale établissant sa grossesse, dont le terme est prévu début décembre 2018. Elle connaît ensuite un jour d’absence, devant donner des soins à un de ses enfants en bas âge. Suite à ceci, elle reçoit un courrier de l’employeur, signalant que « (…) ça fait beaucoup en 2 mois ». Un entretien a lieu avec le responsable de la société et, suite à celui-ci, l’employée fait une mise au point, actant qu’il lui a été demandé de quitter son poste.

Quelques jours plus tard, elle est licenciée avec effet immédiat moyennant paiement d’une indemnité compensatoire de préavis. Le licenciement n’est pas motivé.

L’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes intervient, interpellant la société un mois plus tard et, sans réponse, envoie deux rappels. La société réagit enfin, communiquant un courrier contenant la motivation du licenciement, qui aurait été envoyé par voie recommandée à l’intéressée. Celle-ci conteste cet envoi. Il est essentiellement fait état de difficultés d’ordre économique (retard très important de paiement de TVA, saisies, etc.).

Des précisions sont demandées par l’Institut en ce qui concerne les motifs invoqués. Un courrier est en fin de compte adressé par le conseil de l’intéressée (qui intervient également pour l’Institut), demandant paiement de l’indemnité de protection aux fins d’éviter une procédure judiciaire. Ceci sans résultat.

La procédure est dès lors introduite.

Le jugement du tribunal

Le Tribunal du travail francophone de Bruxelles a rendu son jugement le 18 juin 2019, statuant par défaut. Il a condamné la société au paiement de l’indemnité prévue à l’article 40 de la loi du 16 mars 1971 ainsi qu’à une indemnité du même montant en application de l’article 23 de la loi du 10 mai 2007.

Appel est interjeté par la société.

La décision de la cour

La cour examine en premier lieu le droit pour l’intéressée à une indemnité de protection contre le licenciement fondé sur la loi du 16 mars 1971, en raison de la maternité. Dans son rappel des principes, elle souligne que la jurisprudence est unanime quant à l’exigence du caractère objectif que doivent présenter les motifs invoqués par l’employeur et que le juge doit vérifier l’existence réelle de ceux-ci.

En l’espèce, elle examine l’existence des nécessités économiques vantées, mais doit constater que les pièces soumises ne sont pas de nature à asseoir le motif. Il s’agit notamment d’arriérés de loyer et une partie de ceux-ci était déjà impayée au moment de l’engagement (d’autres paiements étant intervenus ensuite). Par contre, la question de la dette de TVA est postérieure de plusieurs mois au licenciement. Quant aux contraintes d’huissier, il n’y a pas davantage de concomitance avec le licenciement, celles-ci datant de plus d’un an après la rupture.

Elle conclut que, à supposer établies des circonstances financières préexistantes, celles-ci n’ont en rien constitué un obstacle à l’engagement et ne peuvent dès lors avoir contraint la société à rompre le contrat de travail deux mois plus tard. Il n’y a pas de lien de causalité avéré entre les difficultés visées et le licenciement.

La demande d’indemnité de protection est dès lors fondée.

Pour ce qui est de l’indemnité de protection sur la loi anti-discrimination, la cour, qui fait également un rappel des principes, vérifie si la travailleuse établit des faits permettant de présumer que son licenciement a été décidé en raison de sa grossesse, son accouchement ou sa maternité et que, si tel est le cas, la société doit prouver le contraire. La cour examine dès lors la chronologie des faits, reprenant la date à laquelle l’attestation médicale a été communiquée, celle-ci étant suivie de la réaction de l’employeur et de l’entretien en cause, entretien qui a précédé le licenciement de cinq jours.

Les faits forment un faisceau d’indices convergents permettant de présumer que le motif pour lequel la rupture est intervenue est la grossesse. La cour constate que la société ne prouve pas le contraire et que la demanderesse est en principe en droit de réclamer la réparation de son préjudice.

La question se pose cependant du cumul des deux indemnités, l’employée considérant que les deux indemnités ont une nature différente, vu les finalités légales visées : l’une se fonde sur les objectifs poursuivis par la Directive n° 92/85/CEE relative à la protection des travailleuses enceintes et des mères de jeunes enfants, la seconde sur la Directive n° 2006/54/CEE relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité des chances et de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d’emploi et de travail.

L’employée soutenant avoir subi deux dommages distincts, la cour pose la question de savoir quel est le dommage supplémentaire que celle-ci entend voir réparé par rapport à celui qui est couvert par l’indemnité accordée sur pied de l’article 40 de la loi du 16 mars 1971. Elle considère que le dommage exposé (stress d’une part et sentiment d’injustice de l’autre) est couvert par l’indemnité accordée sur pied de l’article 40 de la loi du 16 mars 1971, dont l’objet est de protéger les femmes enceintes contre les conséquences dommageables pour leur santé physique et psychique d’un licenciement.

Intérêt de la décision

La question du cumul entre les deux indemnités est examinée dans cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles à partir de l’identification d’un préjudice distinct, la cour considérant que la travailleuse, pour laquelle le droit à l’indemnité de protection prévu à l’article 40 de la loi du 16 mars 1971 est reconnu, doit établir l’existence d’un préjudice supplémentaire.

Soulignons que la question avait déjà été examinée par la Cour du travail de Bruxelles (autrement composée) dans un arrêt du 3 septembre 2014 (C. trav. Bruxelles, 3 septembre 2014, R.G. 2013/AB/370 et 2013/AB/378 – précédemment commenté). La cour avait constaté en l’espèce que les motifs invoqués étaient de deux ordres : capacité et performance professionnelle d’une part et motif d’ordre économique de l’autre.

Comme l’a constaté la cour du travail dans l’arrêt annoté du 25 janvier 2022, n’étaient pas davantage produits dans cette espèce des faits objectifs établissant la réalité des raisons économiques invoquées et, surtout, la nécessité de licencier l’employée, la cour du travail ayant conclu à l’absence de lien de causalité et ayant retenu par ailleurs la concomitance entre l’annonce de l’état de grossesse et la décision de licencier.

En ce qui concerne le droit à l’indemnité prévu par les articles 4, §§ 1er et suivants, de la loi du 20 mai 2007 (l’indemnisation elle-même étant visée à l’article 23 de la loi), la cour avait souligné que la protection de la maternité telle qu’elle est prévue par l’article 40 de la loi du 16 mars 1971 assure déjà une protection identique à celle qui découle de la loi anti-discrimination. Elle avait également conclu à l’absence de cumul, l’objet de la protection étant identique.

Soulignons également que, dans un arrêt du 15 mai 2012 (C. trav. Bruxelles, 15 mai 2012, R.G. 2010/AB/1.189 – également précédemment commenté), la Cour du travail de Bruxelles avait également conclu au non-cumul de l’indemnité de protection pour discrimination et de celle prévue à l’article 32tredecies de la loi du 4 août 1996. Pour la cour, la finalité des textes est la même, s’agissant de dissuader l’employeur de licenciement par mesure de représailles dès lors qu’une plainte a été introduite dans l’un ou l’autre cadre.


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