Terralaboris asbl

Nullité du préavis mais validité du congé

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 16 février 2022, R.G. 2019/AB/791

Mis en ligne le lundi 27 juin 2022


Cour du travail de Bruxelles, 16 février 2022, R.G. 2019/AB/791

Terra Laboris

Dans un arrêt du 16 février 2022, la Cour du travail de Bruxelles rappelle la distinction à opérer entre le préavis et le congé ainsi que les effets du préavis irrégulièrement notifié.

Les faits

Un ouvrier boucher a été engagé le 21 avril 1997 dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée. La société a son siège en France et le travailleur, de nationalité française, y réside également.

Il est prévu contractuellement qu’il exercera ses activités pour le compte exclusif des clients de son employeur, le premier lieu de travail étant fixé à Bruxelles. L’ouvrier a marqué accord, par contrat, pour travailler sur d’autres chantiers, qui lui seraient précisés en son temps.

Le lieu de travail est situé à Anderlecht, chez un client de l’employeur, étant lui-même une importante société de boucherie.

L’employeur s’est immatriculé à l’O.N.S.S. à partir du 1er juin 2000 et, à ce moment, un autre contrat à durée indéterminée a été conclu. L’employeur y est ici présenté comme la même société initiale, mais avec une adresse en Belgique, et il est précisé que le contrat est signé à celle-ci. Diverses références sont faites à la loi belge, notamment pour ce qui est des préavis prévus à la loi du 3 juillet 1978.

Le lieu de prestation est resté inchangé et l’employeur fait appel à un secrétariat social.

En janvier 2017, l’ouvrier reçoit notification d’une rupture de contrat de travail moyennant un préavis (dont la durée n’est pas précisée), avec un point de départ.

Ce licenciement est décidé non par le représentant légal de la société en Belgique mais par le siège social à Paris. La rupture est expliquée par la perte du client où l’ouvrier prestait. La société lui fait part de la possibilité de le réaffecter sur un autre site.

Le travailleur se présente pour prester son préavis, ce qu’il fait pendant une semaine. Il envoie alors un courrier recommandé à la société, soulevant la nullité du préavis, celui-ci ne reprenant pas la durée. La nullité du préavis n’affectant pas la validité du congé, il réclame une indemnité de rupture équivalente à 147 jours et 13 semaines ainsi que ses documents sociaux. Il expose s’être renseigné au cours des quelques jours du début du préavis et estime réagir dans les meilleurs délais, n’ayant en aucune manière validé la rupture du contrat.

La société conteste immédiatement, constatant son absence à son poste de travail. Une mise en demeure est adressée au travailleur, lui précisant qu’à défaut de donner toutes explications et justifications utiles, il y aurait faute pouvant entraîner une sanction disciplinaire susceptible de conduire au licenciement. La mise en demeure est renouvelée et le motif grave est notifié par un courrier ultérieur, et ce pour absence injustifiée nonobstant deux lettres recommandées.

Ces absences sont reprises sur le formulaire C4 comme motif du chômage.

Le licenciement pour motif grave est contesté par l’organisation syndicale et l’indemnité de rupture est réclamée pour toute la durée du préavis, hors la première semaine.

Une procédure est introduite devant le Tribunal du travail francophone de Bruxelles, qui, par jugement du 17 juin 2019, fait droit à la demande.

La société interjette appel.

L’arrêt de la cour

La cour procède à un rappel des règles figurant à l’article 37 de la loi du 3 juillet 1978, reprenant notamment la définition du préavis et la distinction à opérer entre celui-ci et le congé. Elle renvoie à divers arrêts de la Cour de cassation ayant confirmé que la nullité du préavis n’affecte pas la validité du congé, ce dernier n’étant soumis à aucune forme déterminée (la cour citant notamment Cass., 4 mars 2019, n° S.18.0045.N, Chron. D. S., 2021, p. 437). Dès que le congé moyennant un préavis nul est notifié, il y a, comme le rappelle la cour, en principe rupture immédiate du contrat de travail, les parties ayant cependant la possibilité de renoncer à se prévaloir du congé immédiat, le contrat subsistant alors jusqu’à ce qu’il y soit mis fin autrement. La renonciation à invoquer le congé immédiat n’implique cependant pas qu’il soit renoncé à la nullité absolue du préavis ou au droit d’invoquer celle-ci.

La cour renvoie également à l’arrêt de la Cour de cassation du 14 décembre 1992 (Cass., 14 décembre 1992, n° 8.077), qui a rappelé que, dès lors que le travailleur est licencié, un accord peut être conclu sur les modalités du congé, les parties pouvant notamment convenir que le contrat continuera à être exécuté jusqu’à une date déterminée.

La cour se penche également sur les règles relatives à l’ancienneté à prendre en compte.

En l’espèce, la cour considère qu’ayant soulevé la nullité du préavis par lettre recommandée du 24 janvier, alors qu’il avait été licencié par courrier recommandé du 12 janvier, l’ouvrier a réagi dans un délai rapide et raisonnable et que le fait qu’il ait continué à travailler jusqu’à cette date ne permet pas de considérer qu’il ait couvert la nullité.

La rupture pour motif grave ne peut donc être prise en compte, puisqu’à ce moment le contrat de travail avait déjà pris fin.

Le droit à l’indemnité compensatoire de préavis est reconnu.

Se pose cependant la question de savoir si doit être prise en compte la période d’exécution du premier contrat, signé en avril 1997. La cour constate qu’il n’a pas été mis fin à celui-ci mais que ce contrat a été remplacé par le contrat signé le 5 juin 2000. N’étant pas établi que le premier contrat a été rompu avant l’entrée en service du second, la cour examine encore les fiches de paie. Elle relève qu’il y aurait une interruption de quelques jours (entre le 1er juin et 4 juin 2000) mais qu’un flou subsiste à cet égard à propos de jours de congé repris dans la fiche de paie correspondante.

La cour souligne également que ces documents ont été établis par un secrétariat social sur la base des informations transmises par l’employeur et qu’elles ne peuvent à elles seules faire la preuve d’une réalité juridique contraire à celle découlant de l’absence de rupture du contrat de travail.

Enfin, elle retient encore l’absence de modification de la fonction et du lieu de travail.

Sur le plan des prestations, seule peut être admise une absence d’un jour (week-end de l’Ascension, absence de prestations les samedi et dimanche), étant le vendredi du « pont ». Pour la cour, ce jour ne peut être considéré comme prouvant une interruption de service au sens de l’article 37/4 de la loi du 3 juillet 1978.

Intérêt de la décision

La cour revient ici sur un grand « classique » de la rupture, étant la distinction entre le préavis et le congé. Le préavis est l’acte par lequel une partie communique de manière préalable à l’autre la date à laquelle le contrat doit prendre fin, tandis que le congé est la manifestation de la volonté de rompre le contrat. C’est la jurisprudence de la Cour de cassation et la cour du travail a ici rappelé son arrêt du 23 mars 1981 (Cass., 23 mars 1981, n° 5.837).

La question de savoir dans quel délai la rupture immédiate du contrat doit être dénoncée est délicate. Il est en effet admis qu’il faut examiner l’attitude de l’employeur et du travailleur postérieurement à la notification du préavis irrégulier.

Dans un arrêt du 28 janvier 2008 (Cass., 28 janvier 2008, n° S.07.0097.N), la Cour suprême a en effet posé le principe selon lequel l’attitude adoptée par l’employeur et le travailleur postérieurement à la notification d’un préavis irrégulier en vertu de l’article 37, § 1er, alinéa 4, de la loi du 3 juillet 1978 (par laquelle le premier donne à penser que le congé n’est pas immédiat) permet au juge de considérer, après un délai raisonnable, qu’ils ont renoncé à leur droit de se prévaloir du congé immédiat et l’exécution du contrat de travail est alors poursuivie jusqu’à ce qu’il y soit mis fin autrement.

Il appartient à la partie à laquelle un congé immédiat a été donné par un préavis nul d’invoquer ou non la résiliation ou non immédiate du contrat, la Cour de cassation ajoutant que la renonciation à invoquer le congé immédiat n’implique pas qu’il soit renoncé à la nullité absolue du préavis prévue à l’article 37, § 1er, alinéa 4, ou au droit d’invoquer celle-ci.

En constatant la volonté des parties de poursuivre l’exécution du contrat de travail, le juge du fond n’a pas, ce faisant, admis la renonciation à la nullité absolue du préavis. Dans cette hypothèse, il faut conclure qu’à défaut d’avoir invoqué le congé immédiat, les parties ont poursuivi l’exécution du contrat de travail.


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be