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Perte d’une chance : indemnisation en contrat de travail

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 21 septembre 2017, R.G. 2016/AL/498

Mis en ligne le mardi 13 février 2018


Cour du travail de Liège, division de Liège, 21 septembre 2017, R.G. 2016/AL/498

Terra Laboris

Par arrêt du 21 septembre 2017, la Cour du travail de Liège (division Liège) reprend les principes relatifs à l’indemnisation de la perte d’une chance en cas de non-respect par l’employeur d’engagements contractuels.

Les faits

Peu de temps après les négociations sur les conditions de son engagement, un employé reçoit confirmation écrite des avantages contractuels convenus, parmi lesquels sont prévues une assurance hospitalisation souscrite par la société ainsi qu’une assurance de groupe « dès sa mise en œuvre » au sein de la société.

Le contrat de travail qui sera signé ne contient, cependant, pas la référence à une éventuelle assurance de groupe. La société en contractera une pour son personnel environ 3 ans plus tard (avec effet rétroactif). Entre-temps, l’intéressé a démissionné et est libéré de prestations après quelques jours de préavis.

Un contact est pris, après la rupture, avec la société par le conseil de l’employé, à propos de bonus qui étaient restés impayés ainsi que de dommages et intérêts pour non-paiement de l’assurance de groupe.

Le litige ne se règle pas et une procédure est introduite pour ces deux chefs de demande devant le Tribunal du travail de Liège. La demande a été considérée partiellement fondée, étant que les montants ont été revus, les chefs de demande étant cependant accordés.

La société interjette appel.

Position des parties devant la cour

En ce qui concerne le chef de demande concernant les bonus, la société fait valoir des arguments relatifs aux objectifs. Pour l’assurance de groupe, elle estime que l’intéressé n’y avait pas droit, eu égard à la chronologie et au fait que l’affilié n’a droit aux réserves acquises qu’après un mois d’affiliation. Elle considère qu’elle n’a commis aucune faute et, par ailleurs, qu’aucun dommage n’est avéré. Elle plaide subsidiairement que, s’il fallait retenir qu’un espoir ne s’est pas concrétisé, ceci ne signifie pas que l’intéressé aurait droit aux 100% de ce qu’elle aurait payé au titre de prime d’assurance.

Quant à l’intimé, il demande confirmation du jugement, qui avait retenu le montant des bonus pour les années 2013 et 2014 et avait par ailleurs fixé à 7.850 euros nets les dommages et intérêts pour non-paiement de l’assurance de groupe, faisant valoir sur ce deuxième poste son attente légitime. Il considère que l’engagement de l’employeur est un acte juridique unilatéral générateur d’obligations dans son chef.

La décision de la cour

La cour examine les conditions d’octroi du bonus eu égard aux objectifs poursuivis et réserve à cette question des développements factuels. Elle relève cependant que, pour l’année de départ, l’employé a également visé la perte d’une chance, outre la responsabilité civile de la société. Elle retient ce deuxième fondement, l’employeur ayant commis une faute (absence de fixation des objectifs, d’évaluations, blocage de la procédure habituelle, etc.).

Elle aborde également la théorie de la perte d’une chance, et ce aux fins d’évaluer le dommage, renvoyant aux conclusions de l’Avocat général WERQUIN avant l’arrêt de la Cour de cassation du 6 décembre 2013 (Cass., 6 décembre 2013, n° C.12.0245.F), où ce dernier a précisé que la perte d’une chance est un dommage spécifique qui se distingue de l’avantage qui a été perdu. C’est la perte certaine d’un avantage probable. Celui qui perd un avantage certain subit un préjudice différent de la perte d’une chance. Chaque perte de chance ne peut, cependant, selon l’Avocat général, conduire à un dédommagement. Il faut que deux conditions soient remplies, étant d’une part que la perte de la chance soit établie et, d’autre part, que la chance soit sérieuse ou réelle.

Tel est le cas en l’espèce : il y a perte certaine d’un avantage probable, étant le bonus. Si l’employé n’avait qu’une chance de le percevoir et non une certitude, la perte de la chance est indiscutable et la chance de l’obtenir était réelle et sérieuse. La cour fixe dès lors le dommage, constatant l’existence du lien causal requis.

Pour ce qui est de l’assurance groupe, elle examine si la société a commis une faute et estime que l’assurance groupe aurait dû être opérationnelle et permettre à l’intéressé d’en bénéficier dans des délais normaux (près de 3 ans s’étant écoulés entre l’engagement et l’entrée en vigueur de cette assurance). Sur le dommage, elle rejette ici que l’on puisse appliquer la théorie de la perte d’une chance. Le dommage peut être fixé. Il s’agit de la perte du bénéfice des primes afférentes à une assurance de groupe depuis l’engagement jusqu’à la rupture, soit, en gros, 24 mois.

Le dommage est dès lors celui-là et le montant correspondant est alloué au titre de dommages et intérêts.

Intérêt de la décision

Les deux chefs de demande examinés par la cour du travail requièrent l’examen de la théorie de la perte d’une chance, s’agissant, pour le premier, de fixer le dommage du travailleur lorsque l’employeur a omis de fixer des objectifs qui auraient permis d’évaluer un bonus ou, pour le second, lorsqu’il ne respecte pas un engagement contractuel dont le dommage peut être évalué.

C’est à partir de la doctrine de l’Avocat général WERQUIN précédant l’arrêt de cassation cité que la cour puise les éléments d’évaluation. Elle rappelle avec ce dernier la spécificité de la théorie de la perte d’une chance, étant que celle-ci ne s’identifie pas avec l’avantage lui-même, mais qu’elle signifie la perte certaine d’un avantage probable. Des précisions ont également été rappelées par ce dernier dans les mêmes conclusions, étant que toute perte de chance ne sera pas indemnisée mais qu’elle doit, pour faire l’objet d’une réparation, d’une part être établie et d’autre part viser une chance sérieuse ou réelle.


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