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Présomption d’existence d’une U.T.E.

Compte tenu de la grande diversité des décisions et cas d’espèce, les commentaires sous les décisions visent à mettre en exergue les spécificités des décisions. Les principes « généraux » qui sont repris de manière identique dans les jugements d’une même juridiction ne sont cités qu’une seule fois.


Documents joints :

Trib. trav.


  • Demande de groupement, sur pied de la présomption d’existence d’une seule UTE, de deux entités : une société de droit belge et la succursale d’une société de droit étranger. Le jugement se prononce sur la notion d’« entité juridique » dont question aux articles 14, § 2, b), de la loi du 20 septembre 1948 et 50, § 3, de la loi du 4 août 1996. Il retient qu’elle ne se confond pas avec la personnalité juridique et est rencontrée pour la succursale, qui a une existence, même si elle n’a pas de personnalité juridique propre. Le jugement retient également que les lois précitées s’appliquent au personnel occupé en Belgique par la succursale, de sorte que leurs dispositions légales (dont celles mettant en place la présomption) s’appliquent. Le Tribunal examine ensuite les critères d’activation de la présomption. Il rappelle à cette occasion que certains critères de nature économique ont des conséquences importantes sur la cohésion sociale et doivent être pris en compte au titre des indices de cohésion sociale. Le Tribunal retient, en autres éléments indiquant la cohésion sociale, les mentions des travailleurs sur leur profil LinkedIn. Il retient également, et le met en avant comme un des éléments clés de l’analyse, la gestion commune des « intercontrats » (période de non-occupation auprès des clients des consultants destinés à prester en clientèle – consultant « on the bench » selon l’appellation souvent utilisée).

  • Méthode d’examen dans le cas d’une demande de regroupement de 3 entités juridiques à l’unité technique d’exploitation fixée (« de base ») composée de 3 entités juridiques : examen séparé des critères économiques et sociaux pour chacune des entités juridiques dont la demande postule le groupement avec l’unité technique d’exploitation « de base ». La cohésion/autonomie est donc appréciée individuellement, entre chaque entité séparément d’une part, et, d’autre part, l’unité technique d’exploitation de base.
    Sur les critères économiques : i) la notion de groupe économique doit être entendue de manière large (de sorte que l’appartenance à un réseau d’entrepreneurs, ici dit « Océan bleu », est suffisante), ii) l’existence de contrats de prestations de service d’une entité vis-à-vis d’une autre constitue un indice de cohésion économique, dans la mesure où ils portent sur des activités centrales (en l’espèce, la gestion des ressources humaines et l’informatique), iv) le fait que l’unité de base soit le seul client de l’entité juridique visée par le regroupement, v) la présentation de l’entité comme appartenant au groupe duquel relève l’unité technique d’exploitation « de base » constitue un indice économique, vi) il en va de même du caractère lié des activités, même si elles peuvent aussi se concevoir de manière non liée, vii) le caractère lié des activités résulte de la reprise par l’entité de l’activité externalisée de l’autre (outsourcing).
    Sur les critères sociaux : i) l’influence du rapprochement économique sur la cohésion sociale doit être décrite au travers d’éléments concrets et précis, indicatifs de la cohésion, ii) la coexistence d’un même bâtiment pour une seule localisation, alors qu’il y a dispersion géographique importante au sein de l’unité de base ne constitue pas un critère de cohésion, iii) la seule affiliation à un même secrétariat social n’est pas un indice (vu le faible nombre d’acteurs sur le marché, iv) le fait que le personnel de l’entité soit composé de celui de l’entité de base, récemment transféré (de sorte que la cohésion avec les anciens collègues reste) est un critère « fort et probant » de cohésion (qui est retenu comme prédominant sur les critères d’autonomie avancés par l’employeur dans l’examen du renversement de la présomption – le caractère récent permet de retenir l’absence d’acquisition d’un « esprit d’entreprise » distinct ou d’une autonomie/indépendance sociale propre).

  • Sur l’appréciation des indices de cohésion sociale : i) un règlement de travail commun dont l’essentiel des dispositions sont applicables à tout le personnel et reprenant la plupart des distinctions liées à l’appartenance à des commissions paritaires distinctes et des pouvoirs subsidiants différents (différences s’expliquant par des facteurs externes aux entités juridiques et qui ne remettent pas en cause la cohésion sociale issue du caractère commun du règlement), ii) une C.C.T. commune, conclue après la réorganisation présentée comme marquant l’origine de la distanciation entre les entités, iii) un même interlocuteur pour le (même) secrétariat social, un même responsable des ressources humaines, une même personne de confiance et un même service externe de prévention, iv) ainsi que (issu du critère économique) des activités liées entre elles, conduisant le personnel des entités à collaborer sur des projets concrets.
    Sur le renversement de la présomption, les éléments fondés sur l’appartenance à des commissions paritaires différentes ne suffisent pas.

  • Principe : pour l’application de la présomption, il suffit de prouver au moins un critère économique repris dans la loi et plusieurs éléments indiquant une cohésion sociale. Il peut s’agir des éléments de cohésion visés par la loi ou d’autres indices de cohésion sociale. Une fois la présomption activée, les entités juridiques visées sont considérées comme une seule unité technique d’exploitation. Le renversement suppose la preuve que la gestion et la politique du personnel ne font pas apparaître des critères sociaux caractérisant l’existence d’une unité technique d’exploitation. Ce qui la caractérise est l’autonomie (cohésion) sociale. La gestion et la politique du personnel menées dans chaque entité juridique doivent être à ce point différenciées qu’on ne peut conclure qu’à des milieux sociaux hétérogènes, régis par des règles propres et suffisamment distinctes.
    En l’espèce, la présomption est activée. Les indices sociaux avancés suffisent, quoique considérés comme relatifs, faibles ou devant être nuancés : exercice de certaines missions RH sans pouvoirs décisionnels dans le chef de la responsable du personnel de l’autre entité, un travailleur (au service de l’entité A) ayant continué à bénéficier de l’assurance groupe de l’entité B malgré la rupture du contrat de travail, une liste de téléphone officieuse reprenant le personnel des deux entités, l’existence de règles sommaires de communication externes communes, communication sur la fête de Saint Eloy – par ailleurs organisée de manière distincte – par la responsable RH de l’autre entité, adresse de messagerie utilisant le même nom de domaine).
    La présomption est renversée sur la base des éléments suivants : bâtiments éloignés, contrôle et badge d’accès différents, C.C.T. sectorielles différentes, C.C.T. d’entreprise dans une entité et non dans l’autre, règlements de travail très différents, de même qu’avantages extra-légaux, horaires de travail, système d’enregistrement du temps de travail, agences d’intérim distinctes, ainsi encore que le service externe de prévention, les systèmes informatiques et comptables et enfin l’absence de transfert de personnel et l’absence de concertation sociale commune et de connaissance du personnel.

  • Sur les critères économiques : la notion de « même groupe économique » doit recevoir une interprétation large pour cerner au mieux la réalité actuelle de la vie économique. En l’espèce, la notion est rencontrée du fait de l’appartenance à un groupe (français), dans lequel la société mère a, d’une manière ou d’une autre, un intérêt, dirige, pilote ou recherche des convergences à travers toutes les sociétés concernées par la demande de regroupement.

  • La demande de regroupement porte sur 3 sociétés, faisant partie du même groupe, et dont certaines exploitent des magasins de la même enseigne commerciale.
    Les indices de cohésion sociale retenus sont notamment : 1) similitude des contrats de travail (dont certaines clauses, non standardisées, laissant apparaître des éléments du fonctionnement quotidien et la ‘culture d’entreprise’), 2) contrats signés par la même personne (incidence d’une gestion commune du personnel), 3) avantages communs (pouvant induire un sentiment de communauté par un traitement similaire), 4) recours aux mêmes « tiers-prestataires » (indice d’une politique centralisée – la situation inverse constitue un indice très faible d’autonomie), 5) règlements de travail communs, communiqués par une note commune, 6) notes de services communes, celles relatives aux ventes (comparant les résultats) « créent nécessairement un sentiment d’appartenance, par-delà les personnes morales respectives, à un ensemble structuré en vue de l’accomplissement d’un objectif commun », 7) unicité d’activité et de fonctionnement, qui est de nature à faire naître un sentiment d’appartenance.
    Sur le plan du renversement de la présomption, les indices avancés doivent être suffisants pour convaincre de l’absence de cohésion sociale, un renversement trop aisé de la présomption heurtant l’objectif de la loi. L’absence de cohérence interne des critères invoqués par les défenderesses plaide pour une unité technique d’exploitation tantôt limitée aux points de vente, tantôt à la société qui les exploite.


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