Commentaire de C. trav. Bruxelles, 27 juin 2017, R.G. 2015/AB/406
Mis en ligne le 25 janvier 2018
Le fait que, alors qu’elle se trouvait sur son lieu de travail, la gérante d’une boutique a été conviée à se présenter au siège de l’entreprise sans avoir reçu d’explication quant à la nature de cette convocation n’est pas de nature à vicier le consentement de l’intéressée dès lors que, à son arrivée à la centrale, la raison de sa convocation lui a été expliquée, qu’elle était assistée d’une déléguée syndicale et qu’elle a eu le temps de réflexion après cet entretien.
Ne sont pas non plus de nature à vicier son consentement le fait que la déléguée syndicale qui l’assistait relève d’une autre région que celle du lieu de travail de la travailleuse ou celui qu’elle représente les « travailleurs juniors » alors que l’intéressée relève de la catégorie « seniors ». Cette considération est, en effet, étrangère à sa capacité d’informer et de défendre la personne assistée et ne l’empêche nullement de remplir correctement son rôle de déléguée syndicale, ce qu’elle a fait en indiquant à la travailleuse les tenants et aboutissants de son choix entre la rupture de son contrat de travail pour motif grave et sa propre démission.
En règle soumettre le salarié au choix entre une démission et une rupture d’un commun accord d’une part et un licenciement pour motif grave d’autre part ne revient pas à exercer une menace injuste mais constitue l’exercice légitime du droit de l’employeur. Les juridictions de fond ne font exception à ce principe que lorsque les faits allégués à l’appui de la menace de licenciement pour motif grave sont anodins, manifestement sans fondement ou factices. Dans ce cas, la violence est établie. Une menace n’est pas injuste lorsque l’employeur peut raisonnablement considérer que les faits sur lesquels repose la menace constituent véritablement un motif grave de licenciement, indépendamment de la justesse de cette appréciation. C’est pour cette raison que, sous réserve du caractère anodin, non fondé ou factice des faits, le juge du vice de consentement n’est pas saisi du contrôle du motif grave invoqué à titre de menace par l’employeur. Il n’exerce en effet sur le motif grave concerné qu’un contrôle ‘marginal’ dans le cadre de l’appréciation du caractère éventuellement injuste ou illicite de la violence alléguée.
Le simple fait pour l’employeur de laisser le choix entre une démission ou un licenciement pour faute grave à un travailleur ayant commis des faits qui ne sont ni anodins ni factices ne constitue pas un acte de violence illicite, susceptible de vicier le consentement de ce dernier. Il n’y a là aucune contrainte illégitime, mais simple menace par l’employeur d’un exercice légitime de ses droits, non susceptible d’influencer un travailleur expérimenté, âgé de plus de quarante ans et rompu tant aux techniques de gestion d’équipe qu’aux processus de négociation, ce qui le rendait tout à fait à même d’évaluer les avantages et inconvénients de la proposition formulée par son employeur.
(Décision commentée)
La violence visée à l’article 1112 C.C. consiste dans le fait d’inspirer à une personne la crainte d’un mal considérable, en vue de la déterminer à poser un acte juridique. Dans l’acte posé, et ce par l’effet de la crainte, la volonté n’est pas libre et le consentement est considéré comme n’ayant jamais été donné. La violence peut être physique ou morale. La menace peut viser l’intégrité corporelle, la vie, la santé, mais également la liberté, l’honneur, la réputation ou le patrimoine.
Dans l’hypothèse d’un choix fait à un travailleur entre le licenciement pour motif grave ou la démission volontaire, la seule menace de licenciement pour motif grave n’est pas, en soi, constitutive de telle violence, sauf si les faits reprochés sont réellement anodins ou factices. (avec renvoi à Cass., 7 novembre 1977, Pas., 1978, I, p. 275).
Se rend coupable de manœuvres dolosives l’employeur qui, étant parvenu à créer un climat d’urgence oppressante et de nature à déstabiliser le travailleur dans le contexte de choc psychologique, d’effet de surprise et d’angoisse propre à l’annonce de la perte de son emploi, fait usage de ce climat dans l’intention de tromper l’intéressé et de l’amener à signer très vite une convention préparée par ses soins et prévoyant, en particulier, que les montants payés en vertu de celle-ci comprennent toutes sommes auxquelles ce dernier pourrait prétendre du chef, notamment, de la rupture de son contrat, qu’il renonce expressément à prétendre à tout autre droit, à se prévaloir de toute erreur ou omission relative à l’existence et/ou l’étendue de ses droits et à saisir les juridictions du travail.
Un travailleur confronté à plusieurs responsables hiérarchiques lui reprochant des faits graves et lui laissant une alternative entre démissionner ou être licencié pour motif grave est nécessairement stressé. Le fait qu’une telle réunion soit difficile ne peut suffire à démontrer un vice de consentement. Un certificat médical établi quelques heures plus tard non plus.
La menace de dépôt de plainte au pénal ne peut, quant à elle, suffire à faire la preuve d’une violence injuste ou illicite.
En revanche, le fait, pour l’employeur, de bluffer en prétendant disposer de suffisamment de preuves des faits allégués ainsi que celui de mettre, sur table, plusieurs dossiers tout en refusant d’y donner accès, constitue une mise en scène destinée à tromper le travailleur - et le délégué qui l’assiste - pour obtenir cette démission. Il y va de manœuvres dolosives ayant en l’espèce déterminé le consentement du travailleur.
La situation « économiquement faible » du salarié à l’égard de son employeur est en soi insuffisante pour considérer que son consentement est vicié. Lorsqu’un travailleur invoque la nullité de sa démission donnée sous la menace d’un licenciement pour motif grave, il doit établir (i) soit que l’employeur a fait un usage abusif ou illicite de son droit d’invoquer un motif grave justifiant la rupture immédiate ─ ce qui ne peut se déduire de la seule existence de cette menace ni de la circonstance que les faits reprochés seraient a posteriori considérés comme insuffisamment graves ─, (ii) soit que l’employeur a usé de manœuvres de nature à tromper une personne normalement attentive, qui l’ont déterminée à remettre sa démission.
Le juge saisi d’un litige relatif à une démission sous la menace d’un licenciement pour motif grave doit se garder de le traiter comme s’il s’agissait d’un contentieux concernant directement pareil licenciement. Il n’exerce en effet, sur le motif grave concerné, qu’un contrôle « marginal » dans le cadre de l’appréciation du caractère éventuellement injuste ou illicite de la violence alléguée.
Ce qui importe ce sont les circonstances de fait dans lesquelles la démission a été remise ou la convention conclue : indépendamment de l’examen des faits reprochés au travailleur, le juge doit apprécier si l’employeur a exercé une violence dont le caractère injuste ou illicite procède des conditions dans lesquelles il a soumis la transaction litigieuse à la signature du travailleur.
Choix dans le chef du travailleur : démission ou licenciement pour motif grave – validité dès lors que la manière de procéder de l’employeur (convocation largement antérieure, audition en présence d’une personne de référence, délai de réflexion, signature de l’acte de démission en présence d’un délégué syndical) respecte les droits de la défense, qui n’a fait l’objet d’aucune menace ni sur sa personne, ni sur sa famille
Violence - conditions du caractère injuste ou illicite
Une conjonction et une coïncidence de présomptions établissent un consentement donné suite à une violence morale - menace de licenciement pour motif grave
Licite - tentative de vol de marchandises (personnel de grande surface)
La circonstance qu’un travailleur se trouve en état de choc après son audition ne démontre nullement qu’il a subi de la violence morale, du chantage ou des pressions injustifiables, mais peut parfaitement s’expliquer par le fait qu’il venait de réaliser que ses comportements avaient été découverts et étaient loin d’être considérés comme anodins par son employeur. Celle que, ayant conclu au caractère inéluctable de sa démission au vu des reproches lui adressés, l’intéressé se soit vu dicter les termes de sa lettre de démission, ne fait pas la preuve de son absence de facultés mentales ni ne démontre l’existence de pressions subies. Il n’est, en effet, pas anormal pour un non-juriste de demander au service RH de l’entreprise ce qu’il devait écrire pour formaliser cette démission. Du reste, il s’est approprié le contenu de cette lettre qui lui aurait été dictée en la rédigeant de sa main et en la signant.
Un universitaire occupant une fonction à responsabilité qui, à son retour de vacances, adresse, de manière spontanée, sa démission alors que des négociations étaient toujours en cours relativement à son contrat de travail, ne peut se prévaloir d’aucune violence morale, d’autant lorsque celle-ci n’a pas été dénoncée immédiatement, mais seulement dans ses premières conclusions, déposées plus d’un an après que la prétendue violence a eu lieu.
Le fait d’avoir suivi le mauvais conseil d’un gestionnaire de dossier au service de la société faisant office de conseiller externe en prévention en recopiant mot pour mot le projet de lettre de démission transmis par ce dernier ne peut être considéré comme une erreur emportant un vice de consentement, ce d’autant que le travailleur ne démontre pas qu’il ne possédait pas les facultés mentales et psychologiques nécessaires au moment de la rédaction de ce courrier, l’empêchant de réaliser toute la dimension de sa décision et le privant ainsi de tout consentement utile.
Reprocher à un travailleur des faits anodins ou factices pour le menacer de licenciement pour motif grave avant de lui proposer de remettre sa démission peut constituer une forme de violence morale. De même, les circonstances dans lesquelles la démission est proposée peuvent être révélatrices d’une violence entachant la régularité de celle-ci.
Tel est le cas lorsqu’il apparaît que la démission a été arrachée sous la menace d’un licenciement pour motif grave et d’une plainte au pénal et que l’employeur ne dépose pas la moindre pièce qui attesterait d’une faute grave.