Commentaire de C. trav. Bruxelles, 22 mai 2020, R.G. 2018/AB/424
Mis en ligne le 13 novembre 2020
Commentaire de Trib. trav. Liège (div. Namur), 14 mars 2023, R.G. 21/984/A
Mis en ligne le 27 octobre 2023
Les articles 3, 5 et 6 de la Directive n° 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail, lus à la lumière de l’article 31, § 2, de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ainsi que de l’article 4, § 1er, de l’article 11, § 3, et de l’article 16, § 3, de la Directive n° 89/391/CEE du Conseil, du 12 juin 1989, concernant la mise en œuvre de mesures visant à promouvoir l’amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation d’un État membre qui, selon l’interprétation qui en est donnée par la jurisprudence nationale, n’impose pas aux employeurs l’obligation d’établir un système permettant de mesurer la durée du temps de travail journalier effectué par chaque travailleur. (Dispositif)
La preuve du respect des seuils et plafonds prévus par le droit de l’Union européenne et des durées maximales de travail fixées par le droit interne incombe à l’employeur. Il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice qu’afin d’assurer l’effet utile des droits prévus par la directive 2003/88/CE et du droit fondamental consacré à l’article 31, paragraphe 2, de la Charte, les États membres doivent imposer aux employeurs l’obligation de mettre en place un système objectif, fiable et accessible permettant de mesurer la durée du temps de travail journalier effectué par chaque travailleur (C.J.U.E., 14 mai 2019, C–55/18, point 60). L’instauration d’un tel système relève de l’obligation générale, pour les États membres et les employeurs, prévue à l’article 4, paragraphe 1, et à l’article 6, paragraphe 1, de la directive 89/391, de mettre en place une organisation et les moyens nécessaires pour protéger la sécurité et la santé des travailleurs et pour permettre aux représentants des travailleurs ayant une fonction spécifique en matière de protection de la sécurité et de la santé des travailleurs d’exercer leur droit prévu à l’article 11, paragraphe 3, de cette dernière directive (C.J.U.E., 14 mai 2019, point 62).
Le « badgeage » par carte à l’entrée et à la sortie d’un parking ne concerne que les moments d’entrée et de sortie du parking, mais non le début et la fin des prestations de travail (qui se déroulent, en principe, en dehors de celui-ci) et ne peut dès lors être considéré comme un instrument d’enregistrement du temps de travail, ce d’autant moins lorsque l’entreprise s’est engagée à ce qu’il ne soit pas utilisé comme tel.
Pour se conformer au devoir d’interprétation conforme au droit de l’Union et afin d’assurer l’effet utile des droits prévus par la Directive n° 2003/88/CE ainsi que le droit fondamental consacré à l’article 31.2 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union, il y a lieu d’interpréter l’article 6, § 1er, 2°, de la loi du 8 avril 1965 comme contenant l’obligation pour l’employeur de disposer d’un système objectif, fiable et accessible de mesure du temps de travail, avec indication du mode utilisé à cet effet dans le règlement de travail.
Il ne peut, en aucun cas, être inféré de l’arrêt C-55/18 ci-dessus que le droit belge de la preuve devrait être interprété de façon telle à être conforme à la Directive du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail, laquelle ne comporte du reste aucune disposition en matière de preuve et ne fait pas directement obligation aux employeurs de mettre en place un système d’enregistrement du temps de travail.
L’arrêt n° C-55/18 de la C.J.U.E. ci-dessus n’emporte pas, en l’absence d’un système d’enregistrement du temps de travail, un renversement de la charge de la preuve des heures supplémentaires. En effet, la Directive n° 89/391/CEE en cause, étant consacrée au bien-être, n’a pas d’effet horizontal direct dans les rapports entre particuliers (travailleurs et employeurs), avec pour conséquence qu’un tel renversement de la charge de la preuve doit être prévu par la loi. Tel n’est pas le cas en l’état actuel du droit belge de la preuve.
En l’état actuel du droit belge, l’arrêt C-55/18 ci-dessus n’a pas pour portée de rendre un employeur occupant des travailleurs en Belgique, qui n’aurait pas mis en place un système permettant de mesurer la durée du temps de travail journalier effectué par chaque travailleur et qui ne parviendrait pas à établir le nombre précis d’heures accomplies par son travailleur, redevable du paiement de toute heure supplémentaire réclamée par ce dernier, ce malgré que celui-ci ne soit pas en mesure de démontrer la prestation de ces heures.
On peut, à la lumière de l’arrêt n° C-55/18 de la Cour de Justice, conclure à l’obligation faite à l’employeur de mettre en place un système d’enregistrement du temps de travail journalier de chaque travailleur qui soit objectif, fiable et accessible, faute duquel il lui appartient de démontrer quelles heures de travail ont, ou non, été prestées, avec à la clé, s’il n’y parvient pas, condamnation au paiement des heures supplémentaires réclamées mais non prouvées.
(Décision commentée)
L’employeur est tenu de mettre sur pied dans l’entreprise un système objectif, fiable et accessible permettant de mesurer le temps de travail de chaque travailleur. Cette obligation découle de la Directive n° 2003/88/CE et de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. A défaut, l’employeur est tenu d’établir les heures qui ont été effectivement prestées et, dès lors que le demandeur avance un nombre d’heures déterminé, de prouver que celles-ci n’ont pas été travaillées.
Le tribunal reprend les obligations mises à charge des États membres dans la Directive n° 2003/88/CE du 4 novembre 2003 (avec renvoi à C.J.U.E., 14 mai 2019, Aff. n° C-55/18). Si ceux-ci adoptent une réglementation qui n’impose pas à l’employeur de mesurer la durée du temps de travail effectué, ceci est susceptible de vider de leur substance les droits consacrés aux dispositions pertinentes de la Directive sur le temps de travail, en n’assurant pas au travailleur le respect effectif du droit à une limitation de la durée maximale du travail et à des périodes minimales de repos et n’est pas conforme à l’objectif poursuivi par la Directive, qui considère ces prescriptions minimales comme indispensables à la protection de la sécurité et de la santé des travailleurs.
S’il n’y a pas en droit interne d’obligation générale pour les employeurs d’établir un tel système, les difficultés particulières inhérentes au fonctionnement des titres-services a impliqué une prise en compte des spécificités du contrôle de la durée des prestations de travail.