Commentaire de Cr.E.D.H. (1re Section), 26 avril 2018, Req. n° 48.921 (ČAKAREVIĆ c/ CROATIA)
Mis en ligne le 31 août 2018
L’obligation de souscrire une assurance maladie constitue une ingérence dans l’exercice par une personne du droit au respect de ses biens. Cependant, l’obligation en l’espèce est prévue par la loi et poursuit les buts légitimes qui découlent de l’article 8. Compte tenu du principe de solidarité, du coût de la prime de l’assurance maladie en question, de la possibilité de souscrire une assurance complémentaire (couvrant l’homéopathie) et vu l’existence d’une aide financière pouvant être sollicitée par les personnes à revenus modestes, cette ingérence est proportionnée au but légitime poursuivi. Par conséquent, il n’y a pas violation de l’article 1er du Protocole n° 1 à la C.E.D.H.
Suite à une erreur de l’administration (INPS italienne en l’espèce), une enseignante en invalidité se voit réclamer le remboursement d’une allocation compensatrice allouée (à tort) pendant plusieurs années dans le cadre de la garantie salariale liée à la mobilité des enseignants. La Cour estime que la mesure litigieuse a constitué une ingérence dans le droit de la requérante au respect de ses biens. Celle-ci doit remplir trois conditions : avoir été effectuée « dans les conditions prévues par la loi », « pour cause d’utilité publique » et dans le respect d’un juste équilibre entre les droits de la requérante et les intérêts de la communauté. Si les deux premières conditions sont remplies, la troisième ne l’est pas. La décision de procéder au versement de l’allocation compensatrice provient d’un employeur public à l’issue d’un processus administratif. Cela signifie que, du point de vue de la requérante, l’application des dispositions pertinentes en la matière pouvait être raisonnablement perçue comme exacte et fondée sur des actes administratifs. Si une décision administrative peut faire l’objet d’une révocation pour l’avenir (ex nunc), l’expectative qu’elle ne soit pas remise en cause rétroactivement (ex tunc) doit généralement être reconnue comme légitime, à moins qu’il n’existe de sérieuses raisons contraires fondées sur l’intérêt général ou de tiers. Au vu des circonstances particulières de l’espèce, l’ingérence subie par la requérante a été disproportionnée dès lors que, seule, celle-ci a dû supporter la charge de l’erreur commise par l’administration. Partant, il y a eu violation de l’article 1 du Protocole n° 1 à la Convention, la Cour décidant d’une satisfaction équitable (dommage matériel et moral).
Dans la mesure où le droit à une pension d’invalidité était acquis selon le droit national (l’intéressé en bénéficiant depuis 1994), que son inaptitude au travail a persisté (ce qui n’est pas contesté) et que le paiement en a été suspendu (pendant 21 mois en l’espèce) suite à une (mauvaise) appréciation par le service médical du Fonds débiteur, l’absence de réparation constitue un manquement à l’article 1er du Protocole n° 1 à la Convention.
En effet, sur l’appréciation d’une ingérence illégale et disproportionnée, une charge excessive a été imposée à l’intéressé, vu que la mauvaise appréciation de son état par les médecins attachés au Fonds (débiteur) l’ont privé de sa pension alors qu’il était incapable de travailler.
Lorsqu’il s’agit de propriété privée, le principe de bonne gouvernance est de première importance. Les autorités publiques doivent agir avec la plus grande cohérence, particulièrement lorsqu’il s’agit des droits des personnes physiques, tels que les avantages sociaux (sécurité sociale et aide sociale) et autres droits de propriété.
En l’espèce, les autorités nationales, en ce compris les juridictions saisies dans le cadre des procédures d’indemnisation, ont manqué à leur obligation d’agir en temps opportun, de manière appropriée et avec la plus grande cohérence, n’ayant pas réparé l’erreur du Fonds.
L’ingérence dans les droits de propriété du requérant est dès lors disproportionnée (violation de l’article 1er du Protocole n° 1 à la Convention) et ouvre le droit à réparation.
(Décision commentée)
Un citoyen doit en principe pouvoir présumer de la validité d’une décision administrative prise en sa faveur. Alors que celle-ci peut faire l’objet d’un retrait pour l’avenir (ex nunc), il est légitime d’admettre que la remise en cause de celle-ci avec effet rétroactif (ex tunc) ne peut intervenir, du moins sauf si existent des raisons sérieuses que celle-ci intervient dans l’intérêt général ou dans l’intérêt des tiers.
Vu l’ensemble des éléments de fait retenus (l’intéressée n’ayant pas trompé les autorités sur sa situation et n’ayant pas été informée quant à la période légale maximale pour laquelle elle pouvait prétendre à des indemnités de chômage, la poursuite – par erreur – des paiements étant le seul fait de l’Office de l’Emploi), exiger qu’elle rembourse le montant des allocations de chômage payées à la suite de cette erreur de l’autorité entraîne pour elle une charge individuelle excessive (considérant n° 90), qui constitue une violation de l’article 1er du premier Protocole additionnel à la Convention.
Art. 1er du Protocole n° 1 et art. 14 de la Convention : détention - travail en prison - absence de rémunération suffisante pour permettre de cotiser au régime des pensions de retraite - marge des Etats quant à la couverture sociale des détenus - absence de violation en l’espèce
Art. 1er du Protocole n° 1 et art. 14 de la Convention : revalorisation d’une pension de retraite (inflation) - personne vivant en Afrique du Sud - lieu de résidence : motif de discrimination prohibé par l’article 14 - absence de situation comparable à celle des pensionnés résidant sur le territoire britannique (ou dans un pays signataire d’un accord de réciprocité)
Art. 1er du Protocole n° 1 et art. 14 de la Convention : privation d’une prestation (pension d’Etat) pour un motif discriminatoire visé à l’article 14 (nationalité)
Art. 1er du Protocole n° 1 et art. 14 de la Convention : indemnité de décès alloué à un veuf
Art. 1er du Protocole n° 1 et art. 14 de la Convention : marge d’appréciation des Etats pour corriger des « inégalités factuelles » entre des groupes de personnes - variation de cette marge d’appréciation - ample latitude laissée aux Etats pour prendre des mesures d’ordre général en matière économique et sociale - prestation de sécurité sociale - âge de la pension distinct pour les femmes et les hommes
Dans la jurisprudence de la Cr.E.D.H., la notion de « biens » peut recouvrir tant des biens actuels que des valeurs patrimoniales, y compris des créances en vertu desquelles le requérant peut prétendre avoir au moins une espérance légitime d’obtenir la jouissance effective d’un droit de propriété. Dans l’espèce qui lui est soumise, la cour du travail considère que l’on ne peut exclure qu’une créance sur une rémunération future fixée par un contrat de travail constitue, aussi longtemps que ce contrat est en cours, une créance en vertu de laquelle le travailleur peut prétendre avoir au moins une espérance légitime d’obtenir la jouissance effective de son salaire. Dans la mesure où il pourrait (la cour précisant « sans certitude ») s’agir d’un bien au sens de cette disposition, elle interroge la Cour constitutionnelle à propos du décret de la Région wallonne du 29 mars 2018 (visant à renforcer la gouvernance et l’éthique au sein des organismes wallons), s’agissant de savoir s’il heurte les garanties consacrées par l’article 1er du Premier Protocole et par l’article 16 de la Constitution en ce qu’il prévoit la privation à hauteur de 40% d’un bien (rémunération) sans juste et préalable indemnité.