Commentaire de Trib. trav. Hainaut (div. La Louvière), 9 septembre 2016, R.G. 15/978/A
Mis en ligne le 13 février 2017
On ne peut soutenir qu’il faudrait considérer qu’une lecture combinée des articles 4 et 10 de la CCT 109 serait contraire aux articles 10 et 11 de la Constitution.
La différence de traitement quant à la charge de la preuve entre le travailleur qui a demandé la communication des motifs de son licenciement dans les deux mois suivant la fin de son contrat de travail et celui qui n’a pas formulé cette demande repose sur un critère objectif – le délai de deux mois – qui est identique pour tous les travailleurs, sans aucune distinction.
Il ressort du préambule de la CCT 109 que les partenaires sociaux n’ont pas voulu donner au travailleur un droit absolu et illimité dans le temps de connaître les motifs de son licenciement. Il s’agit d’un droit conféré « pendant une période donnée après son licenciement ». Les partenaires sociaux voient dans ce droit « un effet préventif à l’égard des procédures de contestation d’un licenciement ». En outre « le droit du travailleur de connaître les motifs concrets qui ont conduit à son licenciement aura également pour conséquence qu’il disposera de davantage d’éléments concrets s’il conteste son licenciement. Cela facilitera ainsi l’accès à la justice en vue de la contestation du licenciement pour le travailleur qui a activé son droit en adressant une demande à l’employeur ».
La distinction poursuit ainsi un but légitime expressément énoncé par les auteurs de la CCT 109. Le délai de deux mois n’apparaît pas « excessivement court » au regard de ce but, de sorte que la différence de traitement, qui repose sur un critère objectif, apparaît proportionnée au but poursuivi.
En l’absence de motif dûment avéré, le licenciement est manifestement déraisonnable au sens de la CCT n° 109 dès lors qu’il doit être admis, dans l’hypothèse d’un motif dont la matérialité-même n’est pas établie, que l’employeur, à qui incombe la charge de la preuve en l’espèce, ne prouve pas que le licenciement serait lié à l’aptitude ou à la conduite du travailleur ou aux nécessités de fonctionnement de l’entreprise, ni qu’il aurait été décidé par un employeur normal et raisonnable.
S’il met à charge du travailleur qui n’a pas demandé à connaître les motifs de son licenciement de prouver les éléments qui indiquent son caractère manifestement déraisonnable, l’article 10 de la CCT n° 109 ne dispense pour autant pas l’employeur d’expliquer les raisons pour lesquelles il a licencié l’intéressé, et ce dans le cadre de son obligation de collaboration à l’administration de la preuve.
L’article 10 de la convention collective n°109, qui manque de clarté, trouve une cohérence lorsqu’il est structuré en fonction de l’envoi, ou non, par le travailleur, d’une demande régulière de communication des motifs du licenciement (une demande régulière est une demande adressée par lettre recommandée à l’employeur dans le délai fixé à l’article 4 de la CCT). Les deux premiers tirets s’appliquent si le travailleur a fait une demande régulière de communication des motifs du licenciement. Le 3° tiret s’applique en l’absence de demande régulière de motivation émanant du travailleur : il appartient alors au travailleur de prouver les éléments qui indiquent le caractère manifestement déraisonnable du licenciement. Il n’exclut pas le cas où l’employeur a motivé le licenciement d’initiative (avec renvoi à C. trav. Bruxelles, 21 avril 2021, R.G. 2018/AB/445).
Obéissant à un régime probatoire spécifique, la reconnaissance de l’existence d’une discrimination n’est pas déterminante pour poser le constat d’un licenciement manifestement déraisonnable au sens de la C.C.T. n° 109.
Dès lors que les relations de travail se sont dégradées pendant la période de préavis, on ne peut tirer aucune conclusion du fait que la travailleuse ait été déclarée définitivement inapte au travail par la médecine du travail plus d’un an après avoir été licenciée. En l’absence de mesures d’instruction complémentaires qui auraient pu démontrer que le motif de licenciement n’était pas celui invoqué par l’employeur, il est également indifférent que l’auditorat ait classé sa plainte pour donner priorité à la voie civile.
Si le travailleur adresse à son employeur une demande afin de connaître les motifs qui ont conduit à son licenciement et que, soit l’employeur répond adéquatement à sa demande, soit il a déjà communiqué d’initiative les motifs au travailleur, l’article 10, 1er tiret organise un partage de la charge de la preuve, chacun devant prouver les faits qu’il allègue.
Si l’employeur n’y répond pas ou ne répond pas de manière adéquate, l’article 10, 2e tiret opère un renversement de la charge de la preuve et il doit prouver la réalité des motifs qu’il invoque, la correspondance avec l’un des trois motifs autorisés et le lien causal entre ces motifs et la décision de licencier et que, sur la base de tels motifs, un employeur normal et raisonnable aurait pris la décision de licencier.
Si le travailleur ne formule aucune demande régulière, que l’employeur ait ou non communiqué les motifs d’initiative, l’article 10, 3e tiret renoue avec le droit commun de la preuve.
La question de la charge de la preuve peut être synthétisée selon (i) que le travailleur a adressé à son employeur une demande afin de connaître les motifs qui ont conduit à son licenciement et que soit l’employeur a répondu adéquatement à la demande, soit qu’il a déjà communiqué d’initiative les motifs au travailleur (partage de la charge de la preuve, chacun devant prouver les faits qu’il allègue), (ii) que le travailleur a adressé à son employeur une demande régulière afin de connaître les motifs qui ont conduit à son licenciement et que l’employeur n’y a pas répondu ou n’a pas répondu de manière adéquate (renversement de la charge de la preuve au détriment de l’employeur et risque de la preuve pour lui en application de l’article 8.4, alinéa 4, du Code civil), ou (iii) que le travailleur n’a formulé aucune demande régulière et que l’employeur a ou non communiqué les motifs d’initiative (retour au droit commun de la preuve énoncé à l’article 8.4, alinéas 1er et 2, C. civ.).
Rien ne permet de supposer, lorsque la lettre de notification du congé pour motif grave a été envoyée au travailleur à une adresse inexacte, que l’intéressé a pris connaissance de son contenu avant que ce courrier lui soit communiqué dans le cadre de la procédure judiciaire qu’il a intentée pour contester son licenciement. Dans ces circonstances, il y a lieu de considérer que l’employeur n’a pas valablement communiqué d’initiative les motifs concrets de celui-ci. Il lui appartient alors de fournir la preuve des motifs invoqués qu’il n’a pas communiqués à l’intéressé dans le respect de l’article 5 de la C.C.T. n° 109.
Lorsque l’employeur a communiqué les motifs du congé, la charge de la preuve sera partagée de façon égale. L’avantage dont bénéficierait l’employeur consisterait dans le fait qu’il bénéficie quelque-part d’une présomption (simple) de l’absence du caractère manifestement déraisonnable du licenciement lorsqu’il a été en mesure de démontrer la réalité des motifs invoqués à l’appui de sa décision et leur lien de causalité avec le licenciement.
Lorsque les motifs ont été demandés et donnés par l’employeur, l’article 10 de la C.C.T. n° 109 du 12 février 2014 prévoit un partage subtil de la charge de la preuve : l’employeur doit démontrer que les motifs du licenciement sont avérés et que ceux-ci ont bien été à l’origine de la décision de licenciement alors que le travailleur doit établir le caractère manifestement déraisonnable du licenciement fondé sur de tels motifs. Ainsi, ne peut être considéré comme un licenciement manifestement déraisonnable au sens de la CCT n°109 le licenciement fondé sur des motifs liés au comportement du travailleur et dont celui-ci n’établit pas qu’il n’aurait jamais été décidé par un employeur normal et raisonnable.
Il n’est pas requis, au stade de la demande de motivation, que la preuve des motifs invoqués soit apportée par l’employeur sous peine d’anticiper le débat judiciaire.
Il ne suffit pas d’apporter la preuve de l’existence d’un motif qui aurait pu justifier le licenciement. Encore faut-il que le motif démontré soit celui qui a réellement présidé à la décision de l’employeur.
Lorsque l’employeur a communiqué les motifs du licenciement au travailleur, l’on se trouve dans le cadre du principe actori incumbit probatio, soit de l’article 1315, alinéa 1er, du Code civil. Si les motifs n’ont pas été communiqués et qu’ils ont été demandés, l’employeur doit apporter la preuve à la fois du motif et du fait que celui-ci n’est pas manifestement déraisonnable. Il y a un renversement de la charge de la preuve, le licenciement étant présumé non fondé sur un motif valable au sens de la C.C.T. n° 109.
Enfin, si le travailleur n’a pas demandé les motifs et qu’il n’a pas reçu ceux-ci spontanément, il doit établir non seulement les éléments qui indiquent le caractère manifestement déraisonnable du motif, mais, en outre, il doit apporter la preuve du motif du congé lui-même.
(Décision commentée)
Dans le cadre du contrôle du motif du licenciement tel qu’organisé par la C.C.T. n° 109, trois hypothèses peuvent se présenter, ayant une incidence sur les règles en matière de charge de la preuve, étant (i) celle où l’employeur a communiqué les motifs de licenciement, (ii) celle où il ne l’a pas fait alors que le travailleur a demandé cette communication et (iii) celle où le travailleur n’a pas fait la demande.
Dans la première hypothèse, l’employeur doit apporter la preuve du motif avancé et le travailleur peut apporter la preuve que celui-ci ne constitue pas la véritable cause du licenciement. Si par contre les motifs n’ont pas été donnés alors qu’ils ont été demandés, l’employeur devra prouver les motifs et également établir qu’ils ne sont pas manifestement déraisonnables. S’ils n’ont pas été demandés, le travailleur doit prouver le motif du licenciement et établir les éléments qui indiquent que celui-ci est manifestement déraisonnable.
Quant au motif lui-même, est jugée manifestement déraisonnable en l’espèce la rupture qui intervient lorsque le travailleur tente de s’expliquer sur des griefs formulés contre lui.