Commentaire de Cass., 6 juin 2016, n° S.15.0067.F
Mis en ligne le 14 novembre 2016
Commentaire de C. trav. Bruxelles, 17 janvier 2023, R.G. 2019/AB/723
Mis en ligne le 18 août 2023
Commentaire de C. trav. Bruxelles, 7 octobre 2010, R.G. 2010/AB/725
Mis en ligne le 6 décembre 2010
(Décision commentée)
Sous peine de violer l’article 35, alinéa 2, de la loi du 3 juillet 1978, l’appréciation de la possibilité de poursuivre les relations professionnelles malgré la faute grave commise, qui constitue le critère légal de la notion de motif grave, ne peut être liée au critère, qui lui est étranger, de la disproportion entre cette faute et la perte de son emploi.
En liant l’appréciation de la possibilité de poursuivre les relations professionnelles malgré la faute grave commise par le travailleur, qui constitue le critère légal de la notion de motif grave, au critère, qui lui est étranger, de la disproportion entre cette faute et la perte de son emploi, le juge violerait l’article 35, alinéa 2, de la loi du 3 juillet 1978 (avec renvoi à Cass., 6 juin 2016, n° S.15.0067.F)
(Décision commentée)
Il appartient à un employeur estimant que son travailleur n’a pas à apposer sur son lieu de travail des affiches à caractère humoristique dont le contenu lui paraît offensant ou de nature à décrédibiliser son autorité, dans un premier temps, de faire une mise au point avec lui. Ce n’est que si celle-ci - d’autant plus nécessaire en l’absence de règle précise sur ce plan au sein de l’entreprise - est restée lettre morte qu’une autre mesure aurait, dans un second temps, pu être envisagée.
Le simple constat d’anomalies de pointage opéré après une période de vérification ne justifie pas un licenciement immédiat, mais aurait pu et dû faire l’objet d’une mise au point par la communication d’instructions claires et d’un sérieux avertissement. Fût-elle particulièrement légitime au regard de la fonction du travailleur, la rupture de confiance ne peut, en effet, être considérée comme étant immédiatement et définitivement acquise avant que soient prises, et imposées, toutes les mesures utiles préalables.
Les faits qui fondent le sentiment de rupture de confiance sont des données objectives qui peuvent guider le juge dans son appréciation souveraine de la situation. Il examine la faute à la lumière de toutes les circonstances qui l’accompagnent et qui sont de nature à lui conférer le caractère de motif grave. Il peut avoir égard à des éléments qui concernent tant le travailleur que l’employeur et à des circonstances diverses (ancienneté, type de fonction, temps, lieu, degré de responsabilité, passé professionnel, état physique et mental, nature de l’entreprise et importance du préjudice subi). Ces éléments sont susceptibles d’exercer une influence tantôt sur le degré de gravité de la faute, tantôt sur l’évaluation globale et objective de l’impact de celle-ci sur la possibilité de poursuite de la relation professionnelle. Le juge ne peut cependant lier l’appréciation de la possibilité de poursuivre les relations professionnelles au critère de la disproportion entre cette faute et la perte de l’emploi, celui-ci lui étant étranger.
Avant de prendre une sanction aussi lourde que celle que constitue un licenciement pour motif grave en accusant expressément un de ses travailleurs d’un comportement pénalement punissable sur la seule base du rapport d’un inspecteur de proximité, l’employeur eût dû raisonnablement s’étonner de ce que l’intéressé n’avait pas été inquiété pour corréité ou complicité et, partant, investiguer davantage sur les circonstances des faits qui lui étaient rapportés.
Des dysfonctionnements maintes fois dénoncés, s’ils peuvent conduire au licenciement du travailleur dans le chef de qui ils sont constatés, ne revêtent toutefois pas un caractère de gravité tel qu’ils justifient une rupture sur-le-champ lorsque leur origine est à trouver dans l’organisation interne et une ambiance de travail dont le caractère délétère ne peut être imputé au seul travailleur.
Le motif grave, tel qu’il est défini par l’article 35 de la loi du 3 juillet 1978, comporte trois éléments : l’existence d’une faute, la gravité de cette faute et l’impossibilité immédiate et définitive de poursuivre toute collaboration professionnelle, en raison de cette faute. Ce dernier élément implique que la faute doit être appréciée concrètement, en prenant en considération l’ensemble des éléments de fait et implique également un contrôle de proportionnalité entre la gravité de la faute et la sanction que constitue le licenciement sans indemnité ni préavis. Ainsi, le fait pour une responsable d’un magasin de vêtements d’arriver en retard et d’emporter chez elle un vêtement du magasin sans en demander l’autorisation constitue un motif grave justifiant son licenciement sans préavis ni indemnité.
Dès lors qu’est retenue une faute grave (insubordination caractérisée en l’espèce) créant une impossibilité immédiate et définitive de poursuivre la collaboration professionnelle, il n’y a pas lieu d’invoquer le principe de proportionnalité afin de remettre en cause le licenciement pour motif grave dont les éléments légaux constitutifs ont été constatés. Toute autre interprétation reviendrait à méconnaître l’article 35, alinéa 2, de la loi du 3 juillet 1978 (avec renvoi à Cass., 6 juin 2016, n° S.15.0067.F).
Toute faute grave n’est pas constitutive de motif grave, ce par application du principe de proportionnalité, lequel n’ajoute pas aux principes inhérents à ce type de rupture lorsque le juge saisi, après avoir reconnu que les faits sont exacts et précisé qu’ils sont suffisamment graves, vérifie si leur gravité empêche réellement et immédiatement la poursuite de la relation de travail, ce à l’effet de régler la situation avec juste mesure, adéquation et modération et d’atteindre ainsi l’objectif requis, sans ajouter au critère légal de l’appréciation de poursuivre les relations de travail.
Dans l’appréciation du caractère de gravité requis, le principe de proportionnalité ne peut, à peine d’induire un facteur d’insécurité juridique, ajouter des conditions aux critères légaux de la rupture pour motif grave, le contrôle judiciaire étant de vérifier, sans considérations indifférentes à la perte de confiance qu’ils doivent induire, si la gravité des faits empêche réellement et immédiatement la poursuite des relations de travail. Ce principe doit donc se raisonner comme un critère affectant l’objet de la règle qui l’exige. Il n’a aucune autonomie.
Son application commande de régler la situation avec juste mesure et modération pour atteindre l’objectif requis d’une adéquation entre la faute et la sanction, ce qui peut s’énoncer aussi en matière de droit disciplinaire. Il faut cependant bien distinguer le contexte : la définition de la faute sanctionnée par une mesure disciplinaire ne se confond pas avec celle qui constitue un motif grave au sens de l’article 35 LCT. La distinction résulte des faits fautifs : la faute grave constitutive de motif grave est celle qui rend immédiatement et définitivement impossible la poursuite du contrat ; la faute disciplinaire est celle qui doit être sanctionnée d’une punition prévue, sans que la poursuite des relations de travail devienne impossible.
Une fois constatée la réunion de tous les éléments constitutifs du motif grave au sens de l’article 35 LCT, donc une fois pesé notamment le rapport entre la faute et la sanction, le juge ne doit et ne peut décider, sur la base d’éléments extrinsèques (tels que la grande ancienneté du travailleur, sa situation financière ou familiale ou autre), que le motif grave ne sera pas reconnu comme tel en raison des conséquences d’un licenciement sans préavis ni indemnité.
Une insatisfaction par rapport aux prestations d’un travailleur pouvant se prévaloir d’une ancienneté importante (29 ans) et, jusqu’alors, sans reproche justifie que, avant de recourir à la sanction suprême que constitue le licenciement pour motif grave, l’employeur envisage une mise au point des manquements ─ réels ou supposés ─ par le biais d’une discussion avec l’intéressé, voire d’une mise en demeure ou d’un avertissement.
Le principe de proportionnalité exprime les limites du comportement raisonnable et légitime – une adéquation est exigée entre la faute et la sanction
Contrôle faute-sanction
(Décision commentée)
Contrôle de proportionnalité
Fonctionnaire dirigeant critiquant une décision gouvernementale dans la presse sans faire clairement apparaître qu’il s’exprime à titre privé - manquement professionnel sanctionné par un licenciement immédiat - caractère disproportionné de la mesure qui pèche par manque d’objectivité
Contrôle de proportionnalité- non prise en compte de conséquences trop lourdes pour le travailleur
Exigence de proportionnalité entre la gravité du manquement et la sanction
Appréciation du motif grave in concreto - principe de proportionnalité - L’employeur doit agir avec modération ou pondération, sans précipitation ou réaction excessive
Appréciation du motif grave in concreto - principe de proportionnalité.
1. Vol d’un billet de 20 € (motif grave) 2. Etendue du contrôle de proportionnalité
En adressant à une jeune fille âgée de vingt ans prestant comme étudiante, des photos qui, sans pouvoir être qualifiées de pornographiques, restent néanmoins suggestives et provocantes, ce dans un contexte sociétal tendant vers une conscientisation collective des nombreux abus sexuels dont les femmes sont victimes ainsi que vers une libération de la parole à ce sujet, un travailleur commet une erreur inexcusable, mais qui, dans son chef, relève d’un manque d’intelligence sociale ou encore d’un manque d’éducation. En l’absence de plainte de l’intéressée, qui ne s’est confiée à ce propos que pour protéger d’autres étudiantes de ce type de comportement, et compte tenu du fait qu’aucun autre incident comportemental ne peut être reproché à l’auteur de cet envoi, lui offrir la possibilité de s’expliquer et, dans le meilleur des cas, de s’excuser eût été une solution plus raisonnable qu’un licenciement immédiat.
Dès lors que la tenue de propos déplacés n’est manifestement pas inhabituelle dans l’entreprise, tant dans le chef de l’employeur, lorsqu’il s’adresse à son personnel, que dans celui des travailleurs, lorsqu’ils parlent entre eux, un licenciement pour motif grave paraît disproportionné pour sanctionner la faute consistant, pour un candidat aux élections sociales, à utiliser, sur le ton de la plaisanterie et dans le cadre de conversations privées entre collègues, des termes inappropriés pour parler d’un supérieur hiérarchique.
Quelles que soient ses intentions, un travailleur social ne peut ignorer qu’il est tenu d’adopter un comportement exemplaire quant au respect de la législation dont il est, en définitive, le garant de « première ligne ». Ainsi, commet assurément une faute l’éducateur qui fait réaliser des travaux de peinture dans un immeuble lui appartenant par le fils d’une bénéficiaire du centre qui l’occupe contre rémunération non déclarée. En l’absence d’incident antérieur, d’avertissement préalable ou de reproche jusqu’au comportement incriminé, ce fait isolé, dont l’intéressé n’a, dans le contexte d’urgence dans lequel il se trouvait pour faire réaliser ces travaux, réalisé le caractère inapproprié qu’a posteriori, ne rend pas impossible la poursuite de sa collaboration avec son employeur, lequel a choisi d’infliger une sanction disproportionnée.
Vol d’un billet de 20 € - contrôle de la proportionnalité (disproportion entre le fait et la sanction) - décision réformée par C. trav. Bruxelles, 27 décembre 2007, R.G. 50.400
Ayant à statuer à propos d’un cas de violence verbale dans un cadre privé (visite médicale chez le médecin du travail à un moment où le contrat de travail est suspendu pour cause de maladie), la Cour estime qu’il y va d’une faute intrinsèquement grave en cela qu’il est porté atteinte à l’intégralité morale d’une personne, que cette personne travaille en collaboration étroite avec l’employeur et que le comportement incriminé traduit un manque de maîtrise de soi incompatible avec la fonction exercée (agent de gardiennage). Dans le contexte privé particulier où l’altercation a eu lieu, elle juge néanmoins que la gravité de la faute n’était pas telle qu’elle aurait rendu immédiatement et définitivement impossible la poursuite de la relation contractuelle. Le travailleur n’en ayant jamais fait l’objet auparavant, un avertissement en bonne et due forme aurait constitué un rappel à l’ordre bien utile et aurait pu suffire. De manière plus constructive encore, avant de couper irrémédiablement les ponts, il aurait été parfaitement envisageable de l’inviter à suivre une formation sur la communication non violente. De surcroît, la Cour perçoit difficilement la répercussion concrète que ce fait isolé, tel que circonscrit, intervenu hors de l’exécution du contrat, pouvait avoir sur la bonne suite des prestations. L’employeur pouvait certes se montrer surpris et même déçu du comportement adopté par son travailleur, s’interroger sur l’aptitude de l’intéressé à garder son sang-froid en toute circonstance, projeter aussi ses craintes sur la qualité future des prestations de celui-ci, mais tout cela ne pouvait toutefois pas déboucher sur une rupture totale de confiance rendant immédiatement et définitivement impossible la poursuite de la relation contractuelle.