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Commentaire de Cr.E.D.H. (Grande Chambre), 14 février 2023, Req. n° 21.884/18 (HALET c/ LUXEMBOURG)
Mis en ligne le 15 juin 2023
Commentaire de Trib. trav. fr. Bruxelles, 27 mars 2018, R.G. 18/584/A
Mis en ligne le 16 juillet 2018
Entendant dénoncer des faits de harcèlement moral et sexuel survenus sans témoin, une travailleuse avait envoyé un courriel à un nombre limité de personnes (six dont une seulement était extérieure à l’affaire) afin d’alerter celles-ci sur sa situation et de trouver une solution permettant d’y mettre fin. Non seulement aucune suite utile ne fut réservée à sa démarche mais la personne désignée comme l’agresseur (alors vice-président exécutif de l’employeur) déposa plainte au pénal et elle fut condamnée.
La Cour relève le manque de proportionnalité de la sanction eu égard d’abord au nombre réduit des destinataires du courriel litigieux, de la nature des propos tenus et enfin des effets de ceux-ci sur la réputation de l’intéressé. Sur la nature des propos litigieux la Cour précise que la requérante a agi en sa qualité de victime alléguée des faits qu’elle dénonçait et que les propos contenus dans le courriel étaient des déclarations de fait. Elle rappelle que même les documents privés diffusés à un nombre restreint de personnes doivent avoir une base factuelle et que plus l’allégation est sérieuse plus la base factuelle doit être solide. Elle tient compte de la circonstance que les faits dénoncés ont été commis sans témoin et que l’absence de plainte de l’intéressée relativement à de tels agissements ne saurait conduire à caractériser sa mauvaise foi.
En outre, la condamnation pénale prononcée à sa charge comporte par nature un effet dissuasif susceptible de décourager les intéressés de dénoncer des faits aussi graves que ceux caractérisant à leurs yeux un harcèlement moral ou sexuel.
La Cour retient une violation de l’article 10 de la Convention, concluant à l’absence de rapport raisonnable de proportionnalité entre la restriction au droit de la requérante à la liberté d’expression et le but légitime poursuivi.
(Décision commentée)
La divulgation d’informations confidentielles peut contribuer au débat public, s’agissant en l’espèce de données sur les pratiques fiscales des sociétés multinationales portant sur d’importants enjeux économiques et sociaux.
Pour vérifier si l’ingérence dans le droit à la liberté d’expression de l’avocat que constitue une sanction disciplinaire est disproportionnée - n’étant donc pas nécessaire dans une société démocratique -, il faut avoir égard aux critères suivants : (i) la qualité de l’intéressé et la participation de sa déclaration à la mission de défense de son client, (ii) la contribution à un débat d’intérêt général, (iii) la nature des propos litigieux, (iv) les circonstances particulières de l’espèce et (v) la nature de la sanction infligée (avec renvoi à Cr.E.D.H., 23 avril 2015, Section V, Req n°29.369/10, Morice c/ France).
Liberté d’expression des avocats dans l’exercice de leur profession dans le cadre de la procédure judiciaire : une condamnation prononcée pour délit de calomnie suite à des écrits de procédure est une ingérence dans l’exercice par celui-ci de son droit à la liberté d’expression telle que protégée par l’article 10, § 1er de la Convention. Une telle restriction emporte violation de l’article 10 si elle ne relève pas de l’une des exceptions ménagées par l’article 10 § 2. Se pose dès lors la question de savoir si une telle ingérence était ‘nécessaire dans une société démocratique’. Il faut en conséquence rechercher si au vu des faits de la cause un juste équilibre a été ménagé entre, d’une part, la nécessité de garantir la protection de l’autorité du pouvoir judiciaire et des droits d’autrui et, d’autre part, la protection de la liberté d’expression du requérant en sa qualité d’avocat.
Dès lors que le juge national a procédé à la balance du droit à la liberté d’expression d’une part et de l’autre des effets négatifs d’accusations proférées par un employé communal à l’encontre d’un mandataire public et qu’il a admis que le licenciement intervenu n’est pas déraisonnable – l’autorité pouvant notamment craindre que son comportement ne se reproduise –, le licenciement n’est pas intervenu en violation de l’article 10 C.E.D.H.
La liberté d’expression vaut aussi pour les avocats, qui ont le droit de se prononcer publiquement sur le fonctionnement de la justice, mais dont la critique ne saurait franchir certaines limites.
Les motifs retenus par le juge national n’étant pas suffisants pour justifier que l’ingérence dans le droit à la liberté d’expression (sanctionnée en l’espèce par le licenciement de l’intéressé) était proportionnée au but légitime poursuivi et était, partant, « nécessaire dans une société démocratique », il y a violation de l’article 10 C.E.D.H.
Le droit à la liberté syndicale ne peut pas être dissocié du droit à la liberté d’expression et d’information. La liberté d’expression tout comme la liberté d’expression syndicale ne sont pas illimitées et leur exercice est soumis aux mêmes limitations et restrictions nécessaires dans une société démocratique. En cas de licenciement de salariés (porteurs de mandats syndicaux), intervenu suite à des caricatures et articles mettant en cause leur hiérarchie, il faut, en application de l’article 10 de la Convention, vérifier si la sanction disciplinaire de licenciement pour faute grave répondait à un ‘besoin social impérieux’, était proportionnée au but légitime poursuivi et si les motifs invoqués par les autorités nationales pour la justifier étaient ‘pertinents et suffisants’. Dans les circonstances particulières de l’espèce (atteinte à l’honorabilité des personnes faite par voie d’expression grossières et insultantes dans le milieu professionnel), la sanction n’est pas manifestement disproportionnée ou excessive (opinion dissidente de 5 membres de la Cour).
Il est licite et légitime que les représentants du personnel donnent, en cette qualité, des informations à leurs collègues (conformément au cadre légal) et entretiennent une communication avec ceux-ci à ce sujet sans que l’employeur y ait accès. Cette liberté fait partie de la liberté d’expression et de la liberté syndicale. L’exclusion des membres de la direction ainsi que de l’épouse d’un directeur du groupe des personnes invitées à participer à un blog interne à l’entreprise n’est dès lors pas critiquable (confirmation de Trib. trav. fr. Bruxelles, 27 mars 2018, R.G. 18/584/A).
En droit, la liberté d’expression garantie par l’article 10, C.E.D.H., n’est pas sans limite. Si les travailleurs ne sont pas tenus à des devoirs de réserve ou de loyauté absolus envers leur employeur, ils doivent toutefois faire preuve d’égards lorsqu’ils portent une appréciation ou un jugement sur celui-ci. En d’autres termes, ils bénéficient certainement d’un droit à la critique, mais pas d’un droit à l’insulte ou à la caricature méchante.
La liberté d’expression ne l’emporte pas sur l’obligation de déférence et de respect vis-à-vis de l’employeur. Elle doit s’exprimer de manière raisonnable et pondérée et non de manière injurieuse ou violente. De même, la critique devient fautive si elle est excessive dans sa formulation, c’est-à-dire si elle est offensante ou calomnieuse à l’égard de l’entreprise ou d’un membre de son personnel ou si la publicité qui lui est donnée sape l’autorité de l’employeur.
À souligner à cet égard que les informations publiées sur une page Facebook à laquelle tout internaute a accès, voire même celles dont l’accès est ouvert aux « amis des amis » du titulaire du profil, perdent leur caractère privé. Quant à celles accessibles aux seuls « amis » du travailleur, elles seront considérées comme publiques lorsque leur nombre est important ou lorsque certains d’entre eux font partie du personnel de l’entreprise.
La liberté d’expression garantie par l’article 10 de la C.E.D.H. valant pour toute personne, elle ne s’arrête pas aux portes de l’entreprise et aux travailleurs engagés sous contrat de travail. Ne peut dès lors constituer un élément justifiant son licenciement pour motif grave, le fait qu’un travailleur, invité à participer à un débat, ait, dans son cours et sans manifester aucune opposition aux valeurs de l’institution dans laquelle il travaille, exprimé un avis personnel (sans doute contraire à celui de son employeur) à propos du système législatif en vigueur dans le milieu professionnel qu’il pratique.
Le droit à la liberté d’expression que lui garantit l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme justifie que, malgré le devoir de loyauté qui s’impose à lui, le dirigeant d’un service voulu indépendant par le législateur européen - inquiet de la manière dont son autorité de tutelle envisage cette indépendance (dans les faits et au travers de ses projets d’arrêtés royaux) et qui, constatant qu’en dépit de mises en demeure de la Commission européenne, elle ne transpose pas correctement des directives européennes - fasse légitimement part de ses réserves à des tiers directement intéressés par cette problématique, qu’il s’agisse de membres du Gouvernement ou de la Chambre. Ce fait ne peut donc fonder un licenciement pour motif grave.
Même si le conseil d’administration attendait un appui de sa part, il ne peut être reproché à un directeur de ne pas avoir soutenu, au cours d’une réunion provoquée par les membres de son équipe, une position qu’il désapprouvait. Si le travailleur a l’obligation d’agir conformément aux ordres et instructions qui lui sont donnés (LCT, art. 17, 2°), cette subordination ne s’assimile pas à une soumission aveugle et ne le prive ni de tout droit critique ni des libertés garanties par les articles 10 de la Convention européenne des droits de l’homme et 19 de la Constitution.
Un travailleur dispose, comme toute personne, du droit à la liberté d’expression, lequel ne prend pas fin par son engagement dans les liens d’un contrat de travail, ce qui lui donne un droit de critique, qu’il est tenu d’exercer de manière raisonnable et lui autorise certaines prises de position.
Qu’il ait qualité de représentant du personnel ou non, tout travailleur a le droit de porter à la connaissance de l’administration compétente des informations concernant une demande de chômage temporaire formulée par son employeur et d’accompagner cette communication de documents permettant d’apprécier la véracité des informations communiquées. Il ne dépasse pas, ce faisant, les bornes du droit de critique dont il jouit dans le cadre de sa liberté d’expression en tant que travailleur salarié. Il ne peut davantage être convaincu d’être animé par une intention de nuire à son employeur, alors que sa démarche procède d’une légitime volonté de défendre son droit - et celui de tous les autres travailleurs non-grévistes - à sa/leur rémunération, l’employeur tentant, par tous les moyens, de ne pas payer celle-ci, alors qu’il aurait dû connaître la position, constante, de l’ONEm en cas de grève nationale.
(Décision commentée)
Il convient de rechercher le juste équilibre entre, d’une part, la liberté du travailleur de s’exprimer, garantie en règle par l’article 10 de la C.E.D.H. et par l’article 19 de la Constitution, et, d’autre part, ses obligations à l’égard de l’employeur. La liberté d’expression n’est pas un droit absolu et, dans le cadre d’une relation de travail, il faut respecter cet équilibre, le travailleur ayant un devoir de loyauté vis-à-vis de son employeur.
Si un travailleur occupe des responsabilités particulières dans l’entreprise, il est admis que le droit de critique peut être plus étendu, la subordination ne s’assimilant pas à une soumission aveugle. Il est cependant exigé que la critique émise entre dans les responsabilités du travailleur et qu’elle ne soit pas exprimée de manière disproportionnée.