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Cohabitation avec un travailleur indépendant et taux des allocations de chômage

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 8e chbre, 12 octobre 2023, R.G. 2020/AB/661

Mis en ligne le vendredi 26 avril 2024


C. trav. Bruxelles, 8e chbre, 12 octobre 2023, R.G. 2020/AB/661

La cour du travail confirme sa jurisprudence selon laquelle le chômeur qui cohabite avec un travailleur indépendant ne peut se prévaloir de l’article 60, alinéa 2 de l’arrêté ministériel du 26 novembre 1991 (relatif à l’immunisation des revenus du conjoint).

Faits de la cause

Mme B. a, à partir du 1er janvier 2015, bénéficié des allocations de chômage au taux de travailleur ayant charge de famille sur la base de sa déclaration qu’elle vivait avec son époux ne disposant pas de revenus professionnels ou de remplacement et leurs trois enfants mineurs à charge. Elle a confirmé cette déclaration par des C1 des 28 août 2014, 15 janvier 2015, 28 octobre 2015 et 28 décembre 2015.

Lors d’une enquête de juillet 2019, l’ONEm a constaté que son époux était indépendant à titre principal depuis le 14 juillet 2011 et que le beau-frère de Mme B. et le fils de celui-ci, qui cohabitaient avec elle, avaient eu des périodes de travail.

Lors de son audition, Mme B. a déclaré que son époux travaillait dans le secteur de la seconde main, qu’il n’avait quasiment pas travaillé en 2011 et 2012 et qu’en 2015 et 2016 il avait eu de faibles revenus, ce qui explique qu’il ait été dispensé de certaines cotisations patronales (cfr attestation Partena).

Elle a invoqué sa bonne foi, croyant que l’information de cette activité était automatiquement transmise par les organismes concernés.

Par une décision du 8 octobre 2019, l’ONEm l’a exclue du bénéfice des allocations comme travailleur ayant charge de famille, a décidé de récupérer les allocations indûment perçues et a prononcé une sanction administrative de 8 semaines à partir du 14 octobre 2019.

Le même jour, le C31 a fixé le montant de la récupération à 25.248,22€ pour la période du 1er septembre 2016 au 31 août 2018.

Mme B. a introduit contre cette décision un recours recevable devant le tribunal du travail du Brabant Wallon, division Nivelles.

Par un jugement du 13 octobre 2020, celui-ci a confirmé la décision de l’ONEm et accueilli la demande reconventionnelle, condamnant la chômeuse au remboursement de l’indu tel que fixé par le C31.

L’arrêt commenté

Pour déterminer si Mme B. pouvait prétendre aux allocations au taux chef de famille, l’arrêt examine si son mari remplissait la condition de ne disposer ni de revenus professionnels ni de revenus de remplacement. Dans ce cas en effet, l’existence de revenus dans le chef d’autres personnes cohabitant avec elle est sans incidence.

L’arrêt examine alors si l’article 60 al.2 de l’arrêté ministériel du 26 novembre 1991 portant les modalités d’application de la réglementation du chômage, qui permet dans les conditions qu’il détermine d’immuniser les revenus du conjoint, est applicable et conclut par la négative.

Cette disposition ne vise que les revenus d’un travail salarié. « Par conséquent, en cas de cohabitation avec un travailleur indépendant, le chômeur ne peut bénéficier du taux ayant charge de famille, quels que soient les revenus de la personne avec laquelle il cohabite. Le fait que l’activité indépendante est, par nature, susceptible de procurer des revenus suffit ». L’arrêt cite une décision de la Cour du travail de Bruxelles du 17 mai 2018 (8e chbre, R.G. 2016/AB/1190) www.terralaboris.be.

Se référant à un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 28 février 2008 (R.G. 19.161), disponible sur www.terralaboris.be, l’arrêt analysé décide que cette distinction n’est pas discriminatoire, les salariés et les indépendants constituant « deux catégories différentes de travailleurs disposant de statuts sociaux différents et dont les revenus sont calculés de manière différente ».

La cour se réfère également à un arrêt de la 13e chambre de la Cour du travail de Liège du 1er avril 2003 (R.G.6898/2001), cité par M. SIMON et F. LAMBRECHT (« Montant des allocations », in Chômage, 2021, Larcier, p.342), selon lequel la différence de traitement se justifie, d’une part, par la circonstance que l’activité indépendante est toujours susceptible de procurer des revenus et, d’autre part, par celle que les revenus tirés de l’activité indépendante ne peuvent être connus qu’après le calcul établi par l’administration fiscale.

L’arrêt relève que pour obtenir le taux chef de famille la seule possibilité pour le chômeur qui cohabite avec un indépendant est d’apporter la preuve que celui-ci n’exerce pas ou plus d’activité indépendante, l’arrêt citant la contribution précitée de M. SIMON et F. LAMBRECHT.

En l’espèce, cette preuve n’est pas apportée.

L’arrêt confirme donc l’octroi du taux cohabitant.

Sur la récupération, l’ONEm ayant fait application de la prescription de trois ans, elle est limitée à la période prenant cours le 1er septembre 2016.

La cour du travail rejette la prétention de la chômeuse à la limitation aux 150 derniers jours d’indemnisation. Celle-ci a en effet fait à 5 reprises une déclaration erronée et les éléments qu’elle invoque ne sont pas susceptibles de l’expliquer.

La bonne foi de la chômeuse n’étant pas établie, la cour du travail confirme également la sanction administrative.

Intérêt de la décision commentée

Bien qu’en l’espèce la première condition prévue par l’article 60 al.2, à savoir que le chômeur ait déclaré les revenus de son conjoint lors de sa demande d’allocations ou au début de l’activité professionnelle, n’était, d’après ses motifs, pas réunie, la cour du travail a néanmoins procédé à un examen doctrinal et jurisprudentiel sur une éventuelle discrimination entre les chômeurs selon qu’ils cohabitent avec un travailleur indépendant ou un travailleur salarié.


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