Terralaboris asbl

Rupture d’un commun accord : violence et/ou erreur

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 19 juin 2023, R.G. 2020/AB/125

Mis en ligne le jeudi 11 janvier 2024


C. trav. Bruxelles, 19 juin 2023, R.G. 2020/AB/125

Dans un arrêt du 19 juin 2023, la Cour du travail de Bruxelles, examinant la régularité d’une rupture de contrat d’un commun accord, rejette qu’une violence ait été exercée sur le travailleur mais retient l’erreur de celui-ci, qui entraîne sa nullité.

Les faits

Un travailleur est engagé en 2012 au service d’une société exploitant plusieurs centres d’appel (‘call center’) en qualité de collaborateur commercial. Son contrat de travail est à durée indéterminée et couvre un temps plein. Il est essentiellement chargé de prestations d’encodage et d’enquêtes téléphoniques.

Il fait l’objet en octobre 2017 d’un courrier dans lequel son attention est attirée sur des problèmes de ponctualité.

Par la suite, il bénéficie à partir de juin 2018 d’un congé parental (réduction de prestations à raison d’un cinquième temps).

Pendant celui-ci, il est appelé par la directrice RH en vue d’un entretien. Celui-ci se déroule avec son superviseur, également présent.

À l’issue de l’entretien, l’intéressé signe une convention de rupture du contrat de travail d’un commun accord, convention très succincte.

Par la suite il expliquera qu’il lui a été exposé lors de la discussion qu’il pouvait être licencié pour « faute grave », divers griefs étant évoqués (prétendues fausses ventes, login tardif, pauses excessives et prestations de travail personnelles). Il a répondu notamment que, s’il occupait l’ordinateur aux fins d’étudier, ceci se faisait pendant ses pauses. Deux documents étaient préparés sur le bureau, l’un étant supposé être la lettre de licenciement pour motif grave – lettre qu’il n’a pu lire malgré son souhait et dont il n’a ainsi pas pu prendre connaissance - et l’autre étant une rupture d’un commun accord (convention) qu’il lui a été demandé de signer aux fins d’éviter le licenciement pour motif grave. Il précise que, afin de le convaincre, sa supérieure a fait référence à sa situation familiale (trois enfants à charge) et a insisté sur les conséquences néfastes d’un licenciement pour motif grave (perte des allocations de chômage), au contraire d’une rupture conventionnelle. La supérieure lui aurait également assuré qu’il maintenait dans ce cas son droit aux allocations de chômage, le motif indiqué sur le formulaire C4 étant « neutre ». Cette même supérieure, afin de le convaincre complètement, l’aurait également assuré de son aide dans la recherche de formations et de démarches en vue de trouver un nouvel emploi. Ébranlé vu le risque de péril financier qui toucherait toute sa famille, l’intéressé a signé la convention en cause.

La responsable a donné quant à elle sa version des faits, faisant état d’une fraude de l’intéressé, d’un manque d’éthique au travail et d’un déficit de productivité. Elle a exposé avoir laissé le temps à celui-ci pour « digérer » les faits auxquels elle l’avait confronté et avoir – ensuite – soumis deux documents préparés à son intention. Elle précise dans ses explications qu’elle lui avait signalé que les conséquences possibles d’un licenciement pour motif grave au niveau des indemnités de chômage étaient plus lourdes. Elle confirme qu’un accord serait intervenu « après quelques instants » pour signer une convention de rupture d’un commun accord et qu’elle avait confirmé au demandeur qu’elle pensait « qu’il avait pris une bonne décision en tout cas ».

Lorsqu’il s’inscrivit au chômage, l’intéressé rencontra des difficultés et reprit contact avec la société, exposant que l’ONEM considérait qu’il y avait en réalité une démission de sa part et que ses droits sociaux étaient mis en péril.

La représentante de la société confirma en réponse que « vu la motivation neutre, tu ne seras pas exclu des indemnités pour une longue durée ». Elle maintenait l’alternative donnée, étant le licenciement pour motif grave, qui aurait impliqué une exclusion des indemnités « sévère » et le licenciement « en commun accord », qui avait été décidé vu les pénalités moins lourdes au niveau des allocations de chômage.

Les échanges se poursuivirent, via l’organisation syndicale d’abord et le conseil de l’intéressé ensuite. Celui-ci contesta la rupture d’un commun accord en relevant par ailleurs que le procédé utilisé n’était pas isolé. Il réclama le paiement d’une indemnité compensatoire de préavis vu le vice de consentement, ainsi qu’une indemnité de protection contre le licenciement. Il dénonçait également le caractère abusif du procédé employé.

Vu l’inertie de la société, une procédure fut introduite devant le tribunal du travail francophone de Bruxelles. Celui-ci fit entièrement droit à la demande dans un jugement rendu le 17 décembre 2019 par défaut contre la société.

Celle-ci interjette appel.

La décision de la cour

La cour reprend de manière circonstanciée la question des vices de consentement, dont le cadre légal réside dans l’ancien Code civil et se penche plus particulièrement sur la question de la violence, rappelant que certaines formes de celle-ci peuvent se révéler insuffisantes pour justifier la nullité de la convention, ainsi, la crainte éprouvée en face d’une personne disposant d’une autorité légitime (un employeur, un parent) ou celle qui se marque par la peur suscitée par la menace de l’exercice d’un droit (ainsi celui de déposer plainte ou d’agir en justice).

Elle souligne également que la position de dépendance économique du salarié à l’égard de l’employeur est en soi insuffisante pour considérer que le consentement est vicié.

Des développements importants sont consacrés à la violence, notamment motivée par l’exercice normal d’un droit et la cour souligne encore à cet égard l’article 1115 de l’ancien Code civil, qui empêche qu’un contrat puisse être attaqué pour cause de violence si, depuis que la violence a cessé, ce contrat a été approuvé, soit expressément, soit tacitement, soit en laissant passer le temps de la restitution fixé par la loi.

La cour se penche également sur le critère de l’erreur, rappelant que l’erreur sur la substance de la chose n’entraîne la nullité de la convention que si le cocontractant avait connaissance de cet élément déterminant ou qu’il aurait raisonnablement dû en tenir compte. L’erreur suppose qu’une partie contractante ait une représentation erronée, en soi excusable, d’un élément qui l’a déterminée à conclure le contrat et que le cocontractant aurait dû avoir connaissance de ce caractère déterminant. La cour renvoie ici à un arrêt de la Cour de cassation du 29 avril 2019 (Cass., 29 avril 2019, C.18.0439.N).

Elle fait ensuite la distinction entre l’erreur inexcusable, qui n’est pas un vice de consentement au sens des articles 1109 et 1110 anc. C.civ., au contraire de l’erreur excusable, qui vicie le consentement, étant celle dont, dans son appréciation en fait, le juge constate qu’elle aurait pu être commise par une personne raisonnable. Cette erreur peut aussi bien être une erreur de fait qu’une erreur de droit.

La cour applique ces principes aux éléments de l’espèce.

Elle conclut de son examen des faits que le travailleur a approuvé tacitement la convention litigieuse par le comportement affiché dans les jours qui ont suivi sa signature. Il n’est dès lors plus admis aujourd’hui à en contester la validité pour cause de violence en application de l’article 1115 de l’ancien Code civil.

Cependant, la cour estime que c’est à bon droit que l’intéressé demande, à titre subsidiaire, de constater que son consentement a été vicié par une erreur excusable. L’information donnée concernant son droit aux allocations de chômage est considérée par la cour comme l’élément décisif de son consentement, sans lequel la convention n’aurait pas été signée, ce que la société ne pouvait pas sérieusement ignorer.

Vu l’existence d’un vice de consentement, l’intéressé a droit au paiement d’une indemnité compensatoire de préavis, égale à trois mois et 18 semaines. Une contestation survient ici quant à la rémunération de base et la cour statue sur l’évaluation des éléments rémunératoires (chèques repas et mise à disposition d’un GSM).

Elle en vient ensuite à l’examen du droit de l’intéressé à une indemnité vu la protection contre le licenciement dont il ne bénéficiait eu égard au congé parental. Elle reprend à cet égard le texte de l’article 101 de la loi de redressement du 22 janvier 1985 contenant des dispositions sociales. Elle mentionne également l’article 15 de la CCT n° 64, qui reprend en termes similaires le dispositif de protection de la loi.

La cour constate que n’existe pas un motif suffisant au sens de la réglementation, la société restant en défaut d’établir les griefs vantés à l’encontre du travailleur (fraude au pointage systématique et quotidienne).

Le conseil de la société ayant, sur interpellation expresse de la cour, énuméré à l’audience la liste des motifs à la base du licenciement, tous liés à la manière dont l’intéressé s’acquittait des tâches confiées, la cour examine si ceux-ci sont suffisamment étayés, à partir des pièces du dossier.

L’examen de l’ensemble lui permet de conclure que la société n’apporte pas la preuve requise par l’article 101 de la loi du 22 janvier 1985 et l’indemnité est due.

Enfin, le travailleur ayant introduit une demande d’abus de droit, la cour relève que la société a effectivement abusé de son droit de licencier en forçant la main à l’employé pour qu’il accepte de signer une convention de rupture d’un commun accord. Son entreprise de persuasion « se nappait d’intentions nobles » à l’égard de celui-ci alors que la technique employée s’est révélée in fine d’une nature totalement déloyale, puisqu’il est aujourd’hui établi que la menace d’un licenciement pour motif grave n’était qu’un leurre et n’était soutenue par aucun dossier consistant pouvant sérieusement permettre de croire que les conditions du licenciement pour motif grave étaient réunies (23e feuillet). La cour alloue sur ce chef de demande 1 €.

Intérêt de la décision

Un vice de consentement peut intervenir lors de la rupture, dès lors que le travailleur aurait été sollicité par son employeur en vue de démissionner ou de signer une convention de rupture d’un commun accord. Le vice le plus fréquent est la violence morale. La jurisprudence sur la question est fréquente. Beaucoup plus rares sont les décisions statuant dans le cadre d’une erreur sur la substance. Pour être constitutive d’un vice au sens légal, entraînant la nullité de la convention, l’erreur doit être substantielle, c’est-à-dire déterminante dans le choix posé, par le travailleur en l’occurrence. C’est ce qui a été retenu par la cour du travail de Bruxelles dans l’arrêt commenté.
En ce qui concerne la violence (hypothèse beaucoup plus fréquente), sa définition est régulièrement rappelée. Ainsi, dans un arrêt du 27 juin 2017 (C. trav. Bruxelles, 27 juin 2017, R.G. 2015/AB/406), la Cour du travail de Bruxelles a synthétisé le concept comme suit : la violence visée à l’article 1112 C.C. consiste dans le fait d’inspirer à une personne la crainte d’un mal considérable, en vue de la déterminer à poser un acte juridique. Dans l’acte posé, et ce par l’effet de la crainte, la volonté n’est pas libre et le consentement est considéré comme n’ayant jamais été donné. La violence peut être physique ou morale. La menace peut viser l’intégrité corporelle, la vie, la santé, mais également la liberté, l’honneur, la réputation ou le patrimoine. Dans l’hypothèse d’un choix donné à un travailleur entre le licenciement pour motif grave ou la démission volontaire, la seule menace de licenciement pour motif grave n’est pas, en soi, constitutive de telle violence, sauf si les faits reprochés sont réellement anodins ou factices (avec renvoi à Cass., 7 novembre 1977, Pas., 1978, I, p. 275). De même, pour la Cour du travail de Liège (C. trav. Liège (div. Liège), 2 août 2022, R.G. 2021/AL/561 ), en règle soumettre le salarié au choix entre une démission et une rupture d’un commun accord d’une part et un licenciement pour motif grave d’autre part ne revient pas à exercer une menace injuste mais constitue l’exercice légitime du droit de l’employeur. Les juridictions de fond ne font exception à ce principe que lorsque les faits allégués à l’appui de la menace de licenciement pour motif grave sont anodins, manifestement sans fondement ou factices. Sous réserve du caractère anodin, non fondé ou factice des faits, le juge du vice de consentement n’est pas saisi du contrôle du motif grave invoqué à titre de menace par l’employeur. Il n’exerce en effet sur le motif grave concerné qu’un contrôle ‘marginal’ dans le cadre de l’appréciation du caractère éventuellement injuste ou illicite de la violence alléguée.


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be