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Réaction suite à l’annonce d’un licenciement et accident du travail

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 13 décembre 2022, R.G. 2022/AL/122

Mis en ligne le vendredi 25 août 2023


Cour du travail de Liège (division Liège), 13 décembre 2022, R.G. 2022/AL/122

Terra Laboris

Dans un arrêt du 13 décembre 2022, la Cour du travail de Liège (division Liège) reprend la jurisprudence de la Cour de cassation relative à l’existence de l’événement soudain : il faut que puisse être décelé un élément qui a pu produire la lésion, n’étant pas exigé que cet élément se distingue de l’exécution du contrat de travail.

Les faits

Une assistante sociale prestant pour le compte d’un C.P.A.S. rentre une déclaration d’accident du travail, exposant que celui-ci est intervenu le 21 mars 2018. Elle le présente comme un choc émotionnel après que sa responsable l’a informée de l’entame d’une procédure de licenciement. L’intéressée a alors une ancienneté de vingt-trois ans.

La déclaration fait état d’une perte de connaissance, l’intéressée s’étant levée subitement au cours de l’entretien et étant sortie du local. L’exposé des circonstances tel que relaté fait état d’une annonce intervenue « sans détour avec un ton jubilatoire ». Elle dit avoir eu une crise de tétanie et avoir été dans un état second, ne sachant plus qui elle était et ne parvenant plus à parler ni à respirer. Ayant perdu connaissance, elle a fait une chute brutale au sol.

Elle a été emmenée aux urgences, où fut diagnostiquée une crise de tétanie et un trouble anxieux généralisé, l’intéressée étant mise en incapacité de travail pour plusieurs jours. Cette incapacité a été prolongée pendant deux ans et demi, la reprise du travail intervenant alors dans une autre antenne du C.P.A.S.

Elle introduisit une procédure, qui donna lieu à un jugement du Tribunal du travail de Liège (division Liège) du 23 novembre 2021. Elle fut déboutée de sa demande.

Elle interjette dès lors appel.

La décision de la cour

La cour fait un exposé assez complet des principes, les examinant à la lumière des dispositions de la loi du 3 juillet 1967.

Elle s’attache essentiellement à la question de l’événement soudain. Rappelant la doctrine (M. JOURDAN et S. REMOUCHAMPS, L’accident (sur le chemin) du travail : notion et preuve, Kluwer, 2011, p. 40), la cour précise qu’il s’agit d’un élément multiforme et complexe, soudain, qui peut être épinglé, qui ne doit pas nécessairement se distinguer de l’exécution normale de la tâche journalière et qui est susceptible d’avoir engendré la lésion. Il ne s’agit pas de prouver quelque-chose d’anormal et la cour renvoie ici à l’arrêt de la Cour de cassation du 28 mars 2011 (Cass., 28 mars 2011, n° S.10.0067.F) à propos de l’exercice habituel et normal de la tâche journalière. Celui-ci peut constituer l’événement soudain à la condition que, dans cet exercice, puisse être décelé un élément qui a pu produire la lésion. Il n’est pas exigé que cet élément se distingue de l’exécution du contrat de travail.

Elle rappelle ici les circonstances de la cause, s’agissant d’un travailleur victime d’un malaise cardiaque alors qu’il se livrait à un exercice au sein d’une académie de police. La cour du travail y ayant relevé que la victime n’avait été soumise à aucun stress particulier engendré par l’exécution du travail et n’ayant fourni aucun effort particulier de nature professionnelle pouvant constituer le facteur déterminant ou un facteur co-déterminant de la lésion et ayant, en conséquence, rejeté l’événement soudain, la Cour de cassation a censuré cette décision au motif qu’après avoir constaté que l’intéressé avant ressenti un malaise cardiaque après s’être fait intercepter fermement, menotter et mettre à genoux par les élèves de l’académie de police lors d’un exercice d’entraînement, celui-ci ne pouvait refuser d’admettre que cette action pouvait à elle seule constituer l’élément ayant pu produire la lésion.

Renvoyant encore à la doctrine (S. GILSON, F. LAMBINET et S. VINCLAIRE, « L’anormalité de l’événement soudain : un effet ‘’boomerang’’ ? », Recueil de jurisprudence Responsabilité – Assurances – Accidents du travail, Volume IV, Jurisprudence 2014, Anthemis, 2015, p. 258), la cour retient que le geste le plus banal et le plus insignifiant, même s’il est posé dans le cadre de l’exécution la plus normale du contrat de travail et qu’il ne représente aucun caractère de spécificité, à tel point qu’il aurait pu être posé n’importe où et n’importe quand, peut constituer cet événement soudain : « il suffit qu’il se soit passé quelque-chose ».

La cour rejette la jurisprudence avancée par le C.P.A.S., qui a réinstauré le critère d’anormalité (jurisprudence non produite), insistant sur la circonstance que, depuis de nombreuses années, ce critère est battu en brèche par la Cour de cassation et la grande majorité des juridictions de fond.

Il faut que puisse être épinglé un événement soudain, même s’il s’agit d’un geste banal, et ce même si le travailleur ne faisait qu’exercer ses fonctions habituelles et normales et même si, également, l’employeur n’a commis aucune faute de quelque nature que ce soit.

En l’espèce, l’événement soudain peut être établi (épinglé) : c’est l’annonce à l’intéressée par sa supérieure hiérarchique du fait qu’une procédure de licenciement était introduite à son encontre. Ce fait n’est pas contesté et la cour conclut que la preuve en est dès lors rapportée. Cette annonce ne doit pas présenter une condition d’anormalité, devant être retenue dans la mesure où elle peut être circonscrite dans le temps et dans l’espace.

La cour en vient aux autres éléments de la définition, la lésion n’étant pas contestée et le lien causal ne pouvant être rejeté. C’est à l’employeur d’établir que celui-ci n’existe pas, étant que la lésion est exclusivement attribuable à une autre cause que l’accident. Même si elle est imputable à plusieurs causes, elle n’est pas renversée. Ceci vaut également en cas d’état antérieur ou de prédispositions pathologiques.

Les conditions de la reconnaissance de l’accident sont dès lors réunies, la cour rappelant que la présomption de causalité peut encore être renversée par la C.P.A.S. dans le cours de l’expertise.

Un expert est dès lors désigné avec une mission complète.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Liège confirme une jurisprudence constante de la Cour de cassation sur la notion d’événement soudain.

Une tendance minoritaire de jurisprudence (actuellement abandonnée) avait persisté à maintenir une exigence d’anormalité, dans les hypothèses de choc psychologique, estimant qu’en fonction de la profession exercée (pompier, policier, travailleur social, etc.), le travailleur devait être « aguerri » et être en mesure de faire face à des agressions, tensions, etc. Cette manière de voir heurte frontalement la jurisprudence constante de la Cour de cassation et la Cour du travail de Liège rappelle ici à très juste titre qu’il suffit, au stade de la définition de l’accident, d’identifier un fait susceptible d’être épinglé, pour constituer l’événement soudain requis par la loi. Cette jurisprudence est constante.

Ainsi, dans un arrêt du 25 avril 2022 (C. trav. Bruxelles, 25 avril 2022, R.G. 2020/AB/183), la Cour du travail de Bruxelles a retenu que, dans le cas d’un commissaire divisionnaire de la Police fédérale, victime d’un tel choc psychologique après avoir été suspendu de ses fonctions d’une manière considérée par lui injuste, l’événement soudain résultait d’un complexe factuel ayant énervé à répétition et dans un laps de temps serré l’état émotionnel de l’intéressé, déclenché par l’annonce d’une suspension de fonctions et renforcé ensuite par le remplacement de cette suspension par la proposition d’une sanction de blâme ainsi que le relèvement de 70% de ses fonctions, outre un retrait d’arme.

De même, dans un arrêt du 21 mai 2021 (C. trav. Bruxelles, 21 mai 2021, R.G. 2019/AB/322 – précédemment commenté), elle a retenu qu’un choc psychologique subi par un fonctionnaire de police lors de la prise de connaissance d’une proposition de réaffectation pour mesure d’ordre peut être un événement soudain au sens légal.

De même encore, dans un arrêt du 11 février 2019 (C. trav. Bruxelles, 11 février 2019, R.G. 2016/AB/1.132 – également précédemment commenté), elle a retenue que la prise de connaissance par une fonctionnaire, au bureau de sa résidence administrative, d’un courrier émanant de sa hiérarchie, mettant en cause la réalité des prestations effectuées et induisant une réelle suspicion de mensonge ainsi qu’une remise en cause de son intégrité remplit les conditions de l’événement soudain dès lors qu’elle a entraîné un choc psychologique avéré.

Enfin, dans un arrêt du 16 novembre 2016 (C. trav. Bruxelles, 16 novembre 2016, R.G. 2014/AB/1.007), elle a retenu qu’est identifiable dans le temps et dans l’espace et produit dans un laps de temps restreint le fait pour une enseignante, rentrant dans sa classe, de poser les yeux sur un encadrement colorié aux pastels gras pendant son absence alors qu’elle avait dit à ses élèves qu’il fallait faire attention à cet objet, élément auquel s’ajoutent des circonstances particulièrement éprouvantes.

Pour ce qui est de la Cour du travail de Liège, l’on peut encore renvoyer à un arrêt du 10 mars 2022 (C. trav. Liège, div. Namur, 10 mars 2022, R.G. 2021/AN/88), dans lequel celle-ci a retenu que le fait pour un travailleur d’être avisé de la mise en place d’une procédure disciplinaire en vue d’une sanction importante mettant en cause sa conduite et ses compétences professionnelles constitue un événement particulier, suffisamment déterminé dans le temps et dans l’espace, pouvant engendrer une modification de son état psychologique et un malaise.

De même, dans un arrêt du 11 mai 2021 (C. trav. Liège, div. Namur, 11 mai 2021, R.G. 2020/AN/96), elle a jugé qu’est constitutive de l’événement soudain une entrevue qui s’est déroulée de manière imprévue avec quatre supérieurs et au cours de laquelle ceux-ci ont adressé à l’agent un certain nombre de reproches quant à son comportement ou à son attitude au travail.

En ce qui concerne la jurisprudence de la Cour du travail de Mons, celle-ci va dans le même sens (voir C. trav. Mons, 15 mai 2018, R.G. 2016/AM/29 – également précédemment commenté).


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