Terralaboris asbl

Elections sociales : protection du candidat non élu

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 21 décembre 2022, R.G. 2017/AB/477

Mis en ligne le lundi 26 juin 2023


Cour du travail de Bruxelles, 21 décembre 2022, R.G. 2017/AB/477

Terra Laboris

Dans un arrêt du 21 décembre 2022, la Cour du travail de Bruxelles rappelle les travaux préparatoires de la loi du 19 mars 1991 ainsi que l’enseignement de la Cour constitutionnelle quant à la protection du candidat aux élections sociales non élu.

Les faits

Un travailleur prestant dans un établissement du secteur Horeca s’est porté candidat aux élections sociales de 2012. Il n’a pas été élu.

Il s’est vu notifier (verbalement) la rupture de son contrat de travail pour motif grave le 4 novembre 2015. Deux jours plus tard, la société lui a écrit, lui confirmant « le licenciement donné le 4 novembre 2015 pour les motifs graves » et a encore adressé un courrier le 12 novembre 2015, précisant à ce dernier qu’elle lui notifiait « ce licenciement pour motif grave ».

Le même jour, le conseil de la société a adressé à l’organisation syndicale ayant présenté la candidature de l’intéressé la copie d’une requête à destination de la Présidente du Tribunal du travail francophone de Bruxelles, requête qui fut envoyée par courrier recommandé le lendemain, 13 novembre.

La phase de conciliation n’a pas abouti et, parallèlement, la réintégration du travailleur n’a pas été demandée.

Quinze jours plus tard, celui-ci a déposé une requête devant le tribunal du travail en vue d’obtenir l’indemnité de protection.

La procédure en demande d’autorisation de licencier s’est poursuivie et une citation comme en référé a été signifiée le 30 novembre (soit quasi-concomitamment), l’affaire se clôturant par un jugement du tribunal du 18 février 2016 déclarant la demande irrecevable à défaut d’objet. Le tribunal relève que la société avait déjà rompu le contrat avant d’introduire la procédure et que, par ailleurs, celle-ci est nulle vu le non-respect des modalités prévues à l’article 4 (§§ 1er et 3) de la loi du 19 mars 1991.

Un appel a été formé contre ce jugement et celui-ci a également été jugé irrecevable par arrêt de la cour du travail du 12 juillet 2016 (R.G. 2016/AB/268 – inédit). La cour a également accordé au travailleur 1.000 euros de dommages et intérêts pour appel abusif.

La décision de la cour du 21 décembre 2022

La cour répond essentiellement à une demande de la société appelante de poser des questions préjudicielles à la Cour constitutionnelle d’une part et à la Cour de Justice de l’Union européenne de l’autre.

Elle renvoie à l’article 26 de la loi spéciale sur la Cour constitutionnelle du 6 janvier 1989 (compétence de la Cour pour statuer à titre préjudiciel).

Elle reprend ensuite l’article 267 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, soulignant qu’elle n’a pas l’obligation de poser une question, dans la mesure où sa décision est de nature à faire l’objet d’un pourvoi en cassation et que, même si une juridiction est tenue de le faire, il y a trois cas de dispense, étant que (i) il n’existe aucun doute raisonnable quant à l’interprétation ou la validité des dispositions de droit communautaire à appliquer, (ii) la question soulevée n’est pas pertinente pour la solution du litige et (iii) une question identique a déjà donné lieu à un arrêt de la Cour de Justice.

En l’espèce, la cour relève que la société a déjà, dans une autre affaire, demandé que les questions soient posées et qu’il n’y a pas été fait droit par la cour du travail (autrement composée) dans un arrêt du 3 juin 2020 (R.G. 2017/AB/474), s’agissant de la protection des candidats non élus.

Dans l’arrêt commenté, la cour du travail constate que, par arrêt du 10 octobre 2012 (C. const., 10 octobre 2012, n° 115/2012), la Cour constitutionnelle a déjà statué sur cette protection. Elle reprend de larges extraits des considérants de l’arrêt (B.4., B.8.1., B.8.2., B.8.3., B.9.1. et B.9.2.).

Dans ces développements, la Cour constitutionnelle a rappelé les travaux préparatoires de la loi du 19 mars 1991, le but du législateur étant non d’infliger des sanctions mais d’empêcher que des sanctions doivent être infligées et de prévenir les licenciements injustifiés. Ces travaux préparatoires soulignent la nécessité de protéger également les candidats non élus, nécessité apparue dès les toutes premières élections sociales en 1950. Elle a également examiné la différence de traitement entre le candidat non élu et une autre catégorie de travailleurs (étant le conseiller en prévention), concluant que la distinction n’était pas dépourvue de justification raisonnable, la protection plus étendue se justifiant eu égard aux différences entre les fonctions exercées par chacune de ces catégories de travailleurs. Sur l’équivalence de la protection dont disposent les candidats élus et non élus, la Cour constitutionnelle a également appuyé le fait que ces derniers n’exercent pas une fonction au sein des organes et que les travaux préparatoires ont considéré justifié que la suspension par l’employeur du candidat-délégué du personnel ne doit pas faire l’objet d’une autorisation judiciaire vu qu’elle n’engendre aucun risque de démantèlement immédiat du système de participation des travailleurs.

Dans son arrêt du 21 décembre 2022, la cour du travail rejoint la position de la même cour (autrement composée) dans l’arrêt précité du 3 juin 2020. Elle conclut qu’il n’y a pas lieu de poser les questions préjudicielles, non plus que deux autres questions ajoutées par la société à son argumentation, et ce par voie de conclusions.

Sur celles à destination de la Cour de Justice (dont la cour du travail retient que les trois premières sont identiques à celles ayant fait l’objet de l’arrêt de la cour du travail du 3 juin 2020 dans la cause 2017/AB/474), la cour du travail reprend les articles 15, 16 et 21 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ainsi que 49 et 50 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.

Les questions posées ont en effet trait à l’incidence de l’équivalence de la protection des candidats non élus et des candidats élus sur le droit de travailler et la liberté d’exercer une profession librement choisie ou acceptée, ainsi encore qu’à la liberté d’entreprise consacrée par la Charte dans ses dispositions ci-dessus.

La cour écarte ces arguments, estimant qu’il n’y a pas, du fait de cette identité de protection, d’entrave à la liberté d’établissement et, dès lors, méconnaissance du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.

Elle rejette dès lors les demandes introduites.

Par ailleurs, elle constate qu’il n’y a pas d’autres éléments avancés dans la demande au fond et rejette l’appel.

Le travailleur ayant formé une demande de dommages et intérêts pour appel téméraire et vexatoire ainsi que d’une amende sur la base de l’article 780bis du Code judiciaire, la cour reprend, dans la définition donnée par la Cour de cassation dans sa jurisprudence, la notion de « procédure téméraire et/ou vexatoire ». Elle donne également le texte de l’article 780bis du Code judiciaire relatif à l’amende civile due pour abus de procédure – dont elle rappelle qu’elle est cumulable avec des dommages et intérêts.

Examinant en l’espèce la position de la société, la cour constate que celle-ci repose essentiellement sur une volonté de contester le principe même de la protection assurée par la loi du 19 mars 1991 et renvoie aux décisions ci-dessus. Vu l’attitude de la société dans sa défense, la cour conclut que l’appel a été interjeté d’une manière qui excède manifestement les limites de l’exercice normal de ce droit par une personne prudente et diligente. Elle alloue 1.000 euros au titre de dommages et intérêts pour appel téméraire et vexatoire.

Intérêt de la décision

La question de la protection du candidat non élu avait déjà été soumise (par la même société) à la Cour du travail de Bruxelles, qui, par arrêt du 3 juin 2020, a conclu que la protection accordée aux candidats non élus, dont la Cour constitutionnelle a confirmé qu’elle n’est pas contraire aux articles 10 et 11 de la Constitution (C. const., 10 octobre 2012, n° 115/12), ne contrevient par ailleurs pas aux articles 15 (liberté professionnelle et droit de travailler), 16 (liberté d’entreprise) et 21 (discriminations) de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Il en est de même en ce qui concerne les articles 49 et 50 (droit d’établissement et restrictions à la liberté d’établissement) du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.

Sur la protection elle-même, rappelons que, par arrêt du 24 avril 2019, la Cour du travail de Liège (division Neufchâteau) (R.G. 2018/AU/13) a rappelé que le candidat non élu ne jouit pas d’une protection uniquement lors de sa première candidature, mais bien d’une protection identique à celle du délégué lors de celle-ci et d’une protection réduite à deux ans lorsqu’il n’a pas été élu à l’occasion des élections précédentes. Il apparaît en effet du texte de la loi du 19 mars 1991 que le critère pour distinguer la durée de la protection des candidats n’est pas fonction du fait qu’il s’agit d’une première candidature ou d’une candidature subséquente en tant que telle et quel qu’en soit le résultat, mais bien du fait d’avoir déjà été candidat et de ne pas avoir été élu lors des élections précédentes.


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be