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Droit du représentant de commerce aux commissions en cas de fournitures échelonnées

Commentaire de Trib. trav. Liège (div. Liège), 13 novembre 2023, R.G. 22/3.854/A

Mis en ligne le vendredi 26 avril 2024


Trib. trav. Liège (div. Liège), 13 novembre 2023, R.G. 22/3.854/A

Un jugement du tribunal du travail de Liège, division Liège, rappelle ce qu’il faut entendre par fournitures échelonnées eu égard au droit du représentant de commerce aux commissions pour les offres passées avant son licenciement.

Les faits

Un employé est engagé par une société en date du 23 septembre 2021. Il exerce la fonction de délégué commercial et est chargé de visiter ainsi que de prospecter la clientèle pour les produits vendus par celle-ci, étant du gaz propane, butane en bonbonne et en vrac, du LPG et des gaz industriels, combustibles, ...

Après une année d’occupation, les relations entre les parties se dégradent petit à petit.

Le conseil de l’employé intervient par courrier du 27 septembre 2022 sur divers aspects de la relation contractuelle, dont un retard dans le paiement des commissions.

Les parties se réunissent début octobre et des écrits sont échangés.

En novembre 2022, le délégué est informé par le directeur des ressources humaines d’une modification dans sa clientèle, étant que les foires et marchés sont attribués à un collègue, ce qui vaut à la société de recevoir un nouveau courrier de l’avocat du délégué.

Les parties se retrouvent rapidement dans une dynamique de pré rupture.

Une requête est déposée par l’employé le 25 novembre devant le tribunal du travail afin d’obtenir la résolution judiciaire du contrat en application des articles 32 de la loi du 3 juillet 1978 et 1134 du code civil.

Malgré l’introduction de la procédure, les relations se poursuivent pendant quelque temps. Après quelques semaines, la société mettra fin au contrat moyennant paiement d’une indemnité compensatoire de préavis de 8 semaines en date du 20 décembre 2022.

Elle mentionne sur le C 4 que le motif précis du chômage est que l’intéressé ne répond pas aux attentes de la fonction.

Interpellée par ce dernier dans le cadre de la motivation du licenciement au sens de la CCT n° 109, la société répond, renvoyant à des résultats insuffisants, des modifications unilatérales et non validées des contrats commerciaux conclus avec les clients, une mauvaise volonté, etc.

Une nouvelle requête est déposée devant le tribunal du travail en paiement d’arriérés de rémunération et de commissions, ainsi que d’une indemnité d’éviction et d’indemnités pour licenciement abusif ainsi que pour licenciement manifestement déraisonnable. L’employé sollicite en outre d’ordonner la production de divers documents aux fins de pouvoir mieux chiffrer sa demande.

La décision du Tribunal

Si l’examen des arriérés de rémunération est une question purement factuelle, celui des commissions permet au tribunal de rappeler les principes en la matière.

L’ordre est la commande du client, le tribunal précisant que la commission rémunère le représentant lorsque l’affaire qu’il était chargé de négocier a donné lieu à une commande que l’employeur n’a plus qu’à accepter ou exécuter, sauf si celui-ci a émis des réserves ou un refus dans le délai conventionnel ou légal. La ratio legis est d’éviter que la rémunération du représentant dépende des risques commerciaux et des aléas de l’entreprise, ceux-ci devant rester à charge de l’employeur. Il s’agit d’une disposition impérative et les droits du travailleur ou ses obligations ne peuvent être modifiées conventionnellement, toute clause en ce sens devant être considérée comme nulle.

La suspension du contrat ne prive pas le représentant de son droit à la commission. De même, il y a droit pendant une période de 3 mois suivant la cessation du contrat. Il doit dans ces hypothèses prouver qu’au cours de l’exécution du contrat, il a établi avec le client un contact direct suivi par des faits ayant conduit à l’acceptation desdits ordres. Une double preuve est dès lors exigée, étant d’une part l’existence d’un contact direct et d’autre part le fait que ce contact a été suivi d’un début de réalisation de l’affaire. Le droit à la commission est subordonné à cette double preuve.

Un tribunal en vient ensuite à la question des fournitures échelonnées, précisant ici que le représentant y a droit en cas de cessation du contrat pour celles effectuées pendant une période de 6 mois suivant cette cessation. Par fournitures échelonnées, il faut entendre celles prévues dans des conventions dont l’exécution n’est pas arrêtée de manière définitive et certaine, c’est-à-dire des conventions qui fixent au préalable les conditions des fournitures à effectuer pendant une certaine période, et ce selon les indications éventuelles du client. Le tribunal rappelle ici l’arrêt de la Cour de cassation du 4 juin 1970 (Cass., 4 juin 1970, F-19700604- 5). La notion suppose que le nombre exact des biens ou services ne soit pas fixé d’avance, c’est-à-dire que son exécution n’ait pas fait l’objet d’un seul ordre définitif, la bonne exécution du contrat dépendant de la seule volonté du client telle que manifestée dans le cadre d’un accord-cadre de fournir des biens selon les nécessités de son activité, à des conditions prédéterminées.

Le tribunal procède ainsi à l’analyse des dispositions contractuelles. Il constate en premier lieu qu’une de celles-ci, qui prévoit que la commission n’est due qu’après le paiement par le client, est contraire à la loi. Cette disposition est en effet nulle à défaut de clause de ducroire. Renvoyant à un arrêt de la Cour du travail de Liège, section Liège (C. trav. Liège, sect. Liège, 27 avril 2012, R.G. 2011/AL/476), il rappelle qu’à défaut d’une telle clause, l’employeur n’a pas le droit de retenir la commission sur un ordre accepté mais non payé.

En outre, une autre clause contractuelle pose question, celle-ci prévoyant que la commission n’est due que pour les contrats signés avec un nouveau client. Cette question n’ayant pas été débattue, le tribunal ordonne une réouverture des débats – souhaitant être davantage éclairé sur celle-ci.

L’examen des pièces du dossier révèle que les contrats signés par le délégué constituent bien des ordres au sens légal. Une fois les commandes effectuées, l’employeur n’a plus qu’à les exécuter en livrant les bonbonnes de gaz aux clients. Il s’agit de fournitures échelonnées au sens de l’article 94 de la loi. Celles-ci ouvrent le droit en cas de cessation du contrat aux commissions sur les fournitures effectuées pendant une période de 6 mois après cette cessation. Le tribunal constate en l’espèce que les montants ne peuvent être fixés, le demandeur ayant procédé par estimation.

Les développements faits par le tribunal concernant l’indemnité d’éviction reprennent notamment les conditions requises pour avoir droit à celle-ci, étant (i) l’exercice de la fonction de représentant de commerce, (ii) l’imputabilité de la rupture à l’employeur, (iii) l’exigence d’une occupation pendant une année et (iv) l’obligation pour le représentant d’établir qu’il a apporté une clientèle.

Une fois ces conditions réunies, le droit à l’indemnité d’éviction est acquis sauf pour l’employeur à prouver l’absence de préjudice dans le chef du représentant. Sur ce dernier point, le tribunal souligne qu’un tel préjudice existe certainement dès lors que le représentant ne retrouve pas de travail ou si après le licenciement il retrouve une occupation mais n’exerce plus une activité de représentation commerciale.

Ces conditions sont réunies en l’espèce, le représentant, ayant signé des dizaines de contrats d’approvisionnement portant sur des tonnages importants auprès de différents prospects/clients. L’apport est qualifié de significatif et l’employeur n’établit pas l’absence de préjudice, le tribunal relevant également que l’intéressé a été inscrit au chômage après son licenciement.

Passant à l’examen de l’indemnité postulée du chef de licenciement manifestement déraisonnable, le tribunal réserve quelques développements à la question des principes et examine les motifs invoqués, étant essentiellement de la mauvaise volonté, de la mauvaise foi, des résultats insuffisants et également l’exercice par le représentant d’une activité accessoire dans un secteur connexe.

Pour l’employeur, cette activité n’a pas été portée à sa connaissance et est en contradiction avec les termes du contrat de travail. Le travailleur plaide pour sa part que son employeur avait bien été informé avant l’engagement. La société invoque le devoir de loyauté, qui oblige le travailleur salarié à exécuter son travail avec soin, probité et conscience, au temps, au lieu et dans les conditions convenus, ainsi que de s’abstenir de se livrer ou de coopérer à tout acte de concurrence déloyale.

Ceci permet au tribunal de reprendre la doctrine sur la validité des clauses d’exclusivité. Renvoyant à A. CAPORALI et Q. SYLVESTRE (A. CAPORALI et Q. SYLVESTRE, Les clauses de non-concurrence en droit du travail et en droit économique, Larcier, 2020, p.17), il rappelle que l’employeur a le droit d’attendre du travailleur qu’il ne pose pas d’acte qui serait susceptible de nuire à ses intérêts et par conséquent que tout acte de concurrence, même loyale, posé avant la dissolution du contrat, est considéré par essence déloyal. Il rappelle encore qu’un acte de concurrence est admis en jurisprudence comme constitutif d’une faute grave.

En l’espèce, l’intéressé travaillait notamment pour une société proposant des solutions à des clients dans les domaines de la télécommunication et de l’énergie (notamment fourniture d’électricité verte et/ou gaz naturel). Il s’agit d’un secteur concurrentiel à l’employeur. Le délégué ne prouve pas avoir informé son employeur et le tribunal relève que, une clause d’exclusivité contractuelle existant, celle-ci peut être admise dès lors que les représentants de commerce ne sont pas soumis aux sections 2, 5 et 6 du chapitre III de la loi du 16 mars 1971 sur le travail (durée du travail, respect des horaires et respect des intervalles de repos). L’employeur est moins en mesure de contrôler l’activité accessoire du travailleur ainsi que la place prise par l’activité accessoire du travailleur par rapport au temps et au lieu de travail convenus, l’obligation de loyauté devant, par conséquence, s’analyser d’autant plus strictement.

La société a dès lors légitimement pu craindre une mauvaise exécution du contrat de travail, et ce d’autant que des éléments sont produits, qui tendent à démontrer (même s’ils sont contestés) l’existence de faits de concurrence. Le motif invoqué est dès lors admis.

Intérêt de la décision

L’intérêt de ce jugement rendu par le Tribunal du travail de Liège, division Liège, le 13 novembre 2023 est de repréciser les conditions particulières de rémunération (ainsi que le droit à l’indemnité d’éviction), dans le chef des représentants de commerce.

Le tribunal a abordé la question spécifique du droit au commissions en cas de fournitures échelonnées, en rappelant la définition telle que reprise par la Cour de cassation dans son arrêt du 4 juin 1970. La Cour statuait dans le cadre de la loi du 30 juillet 1963. Elle y a spécifiquement défini les fournitures échelonnées comme celles qui sont prévues par des contrats dont l’exécution n’est pas arrêtée de manière définitive et certaine, c’est-à-dire qui établissent à l’avance les conditions des fournitures à effectuer pendant une certaine période sur les instructions éventuelles du client. Celles-ci sont relatives à ses besoins et ainsi aux nécessités de son activité.

Comme l’a rappelé le tribunal, la quantité de biens ou de services que le client achètera en fin de compte n’est pas fixée à l’avance. Malgré cette inconnue, le droit à la commission du représentant est fixé par la loi. En cas de cessation du contrat, il en bénéficiera encore pour les fournitures effectuées pendant une période de 6 mois après la rupture (art. 94 LCT).


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