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Validité d’une condition résolutoire dans un contrat de travail

Commentaire de Trib. trav. Liège (div. Liège), 7 novembre 2023, R.G. 22/3.581/A

Mis en ligne le vendredi 29 mars 2024


Tribunal du travail de Liège (div. Liège), 7 novembre 2023, R.G. 22/3.581/A

Terra Laboris

Validité d’une condition résolutoire dans un contrat de travail

Dans un jugement du 7 novembre 2023, le tribunal du travail de Liège, division Liège, rappelle qu’une condition résolutoire stipulée dans un contrat de travail est valable dès lors qu’elle contient une condition dont la réalisation ne dépend pas de la volonté d’une des parties.

Les faits

Une ASBL constituée par des institutions publiques (dont le FOREm) a pour objet de préserver et promouvoir les compétences liées aux métiers de l’industrie et de la sidérurgie en particulier, et ce dans la région liégeoise. Elle est chargée de promouvoir et soutenir les actions visant à la réinsertion professionnelle des travailleurs de la sidérurgie (reconversion, formation, accompagnement à la recherche d’emploi, …).

Dans le cadre de son objet social, il est prévu dans l’acte constitutif que pour autant qu’elle obtienne une dérogation en vertu de l’article 32 de la loi du 24 juillet 1987 sur le travail temporaire, le travail intérimaire et la mise de travailleurs à la disposition d’utilisateurs, elle peut notamment mettre à disposition de ses membres effectifs et adhérents les travailleurs qu’elle emploie.

Il s’agit d’un groupement d’employeurs qui engage des travailleurs et les met à disposition des entreprises membres dans le cadre du chapitre XI de la loi du 12 août 2000 portant des dispositions sociales, budgétaires et diverses. Elle a un agrément du SPF Emploi, Travail et Concertation sociale.

Un règlement d’ordre intérieur règle les relations avec ses membres. Il concerne notamment les conditions de mise au travail dans une entreprise membre d’un travailleur du groupement et dispose à cet égard que l’entreprise membre qui souhaite mettre un terme à l’occupation d’un de ses travailleurs est soumise aux mêmes conditions, délais et obligations d’information et d’occupation du travailleur que ceux prévus en cas de retrait du groupement lui-même, le préavis et les éventuelles modalités complémentaires de retrait de l’association étant fixés dans les statuts.

Une convention de mise à disposition a ainsi été conclue avec une société le 5 février 2020 concernant un travailleur, et ce pour une durée indéterminée, celle-ci devant débuter le 10 février 2020. L’objet de la mission est un travail d’électromécanicien.

L’intéressé est donc entré au service de l’ASBL dans le cadre d’un contrat de travail d’ouvrier à temps plein et à durée indéterminée, une disposition du contrat prévoyant qu’il acceptait d’être mis à disposition d’une ou de plusieurs entreprises constituant le groupement d’employeurs concerné et qu’il serait soumis aux règles applicables au sein de l’utilisateur, en ce compris les dispositions du règlement de travail en matière d’horaire et de sécurité.

L’article 3 du contrat prévoit que dans l’hypothèse où la mise à disposition de la société utilisatrice cesserait pour une raison indépendante de la volonté de l’employeur, et notamment la constatation par la société utilisatrice de la fin des tâches confiées au travailleur, le contrat de travail prendra fin de plein droit sans aucune formalité particulière et sans préavis ni indemnité compensatoire de préavis au bénéfice du travailleur ou au bénéfice de l’employeur.

Le 9 mars 2022, la société a informé l’ASBL qu’elle mettait fin à la mission de l’intéressé à la date du 11 mars.

L’ASBL adressa alors un courrier à celui-ci, rappelant que le contrat comprenait une clause résolutoire prévoyant sa cessation si l’entreprise dans laquelle il était mis à disposition mettait fin à la mission.

Le travailleur fut ainsi informé de la fin du contrat de travail de plein droit, sans préavis ni indemnité à la date du 11 mars.

Le C4 mentionne comme motif précis du chômage : « application de la clause résolutoire prévue au contrat de travail ».

L’intéressé a introduit un recours devant le Tribunal du travail de Liège, division Liège, le 7 novembre 2022. Il postule la condamnation de l’ASBL à lui payer une indemnité compensatoire de préavis et à transmettre un formulaire C 4 rectifié ainsi qu’une fiche de paie de sortie sous peine d’astreinte de 50€ par jour à compter de la signification du jugement.

La décision du tribunal

Le tribunal reprend la clause contractuelle qui contient la condition résolutoire selon laquelle si l’utilisateur cesse la mise à disposition de l’intéressé, et ce pour une raison indépendante de la volonté de l’employeur - et notamment en cas de constatation par l’utilisateur de la fin des tâches qui lui étaient confiées - il y a extinction du contrat.

Il rappelle l’article 32 de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail. En vertu de cette disposition, les parties sont autorisées à insérer dans le contrat de travail une condition résolutoire pour autant que celle-ci soit conforme aux règles du Code civil. Il se penche dès lors sur la condition résolutoire en droit civil et reprend les articles 5.139 et suivants de celui-ci. Ces dispositions prévoient que l’obligation est conditionnelle lorsque son exigibilité ou son extinction dépend d’un événement futur et incertain. La condition est résolutoire lorsque sa réalisation entraîne l’extinction de l’obligation. Un événement dont dépend la validité du contrat ne peut cependant être érigé en condition par les parties. Ainsi, l’obligation ne peut-elle pas être affectée d’une condition suspensive purement potestative dans le chef du débiteur et ne peut davantage être érigée en condition l’exécution ou l’inexécution d’une autre obligation née du même contrat.

Pour ce qui est des dispositions de la loi du 3 juillet 1978 sur la clause résolutoire, le tribunal reprend son article 36, qui prévoit la nullité de certaines clauses (mariage, maternité ou le fait d’avoir atteint l’âge de la pension légale ou conventionnelle). De même, son article 36 bis, en vertu duquel des clauses qui autorisent l’employeur à résilier le contrat sans préavis ou avant l’expiration du terme lorsque la rémunération fait l’objet d’une saisie à la suite de contrats de crédit sont nulles. Et encore son article 25, qui dispose que toute clause par laquelle l’employeur se réserve le droit de modifier unilatéralement les conditions du contrat est également nulle.

Il résume les conditions de validité d’une condition résolutoire stipulée dans le contrat de travail comme suit :  survenance d’un événement futur mais incertain dont les parties font dépendre l’extinction d’une obligation, exigence que la condition ne porte pas sur un événement impossible ou prohibé, qu’elle ne contrevienne pas à une norme impérative ou d’ordre public, qu’elle ne soit pas contractée sous une condition purement potestative de la part de celui qui s’oblige (une condition simplement potestative est par contre valable), que sa réalisation ne soit pas provoquée par la faute de celui qui s’oblige et qu’elle soit rédigée dans des termes clairs et non équivoques.

Il conclut dès lors à la licéité de la clause d’un contrat de travail suivant laquelle celui-ci prendra fin lorsque l’employeur notifie au travailleur que la mission commerciale à laquelle il est affecté se termine.

En l’espèce, le demandeur fait valoir que la clause serait purement potestative, sa réalisation dépendant exclusivement de la volonté de l’employeur dans la mesure où la société pour laquelle il est mis à disposition fait partie du groupement d’employeurs constituant précisément l’ASBL.

Le tribunal ne suit pas cette thèse pour plusieurs motifs, étant essentiellement que la condition résolutoire s’est réalisée à l’initiative de la société et non de l’ASBL et que celle-ci ne peut pas être considérée comme l’employeur, constatant d’ailleurs que le demandeur rejoint implicitement ce constat dans la mesure où il a dirigé son action uniquement contre l’ASBL employeur.

Le tribunal conclut à la validité de la condition et déboute le demandeur de son action.

Intérêt de la décision

Un premier aspect qui mérite l’attention dans l’affaire tranchée par le Tribunal du travail de Liège est la possibilité pour le groupement d’employeurs de mettre à disposition de ses membres effectifs et adhérents les travailleurs qu’ils emploient. Ceci à la condition d’avoir obtenu une dérogation en vertu de l’article 32 de la loi du 24 juillet 1987 sur le travail temporaire, le travail intérimaire et la mise de travailleurs à disposition d’utilisateurs. En l’espèce, l’autorisation du SPF Emploi, Travail et Concertation sociale a été donnée, l’ASBL ayant été agréée le 1er octobre 2014.

Le fond du litige porte par ailleurs sur la validité de la condition résolutoire figurant dans le contrat de travail, condition que le demandeur a qualifiée de purement potestative - ce que n’a pas retenu le tribunal, qui a conclu à l’existence d’une condition simplement potestative.

Celle-ci est admise dans la jurisprudence de la Cour de cassation, le tribunal renvoyant pour ce à son arrêt du 18 janvier 1993 (Cass., 18 janvier 1993, n° 2089). Dans celui-ci, la Cour de cassation a considéré qu’en vertu de l’article 32 de la loi du 3 juillet 1978, les modes généraux d’extinction des obligations sont aussi applicables à l’extinction du contrat de travail et que de la seule circonstance qu’une condition résolutoire stipulée dans un contrat de travail constitue une condition potestative ne peut se déduire que la clause est nulle. Une condition résolutoire stipulée dans un contrat de travail est, pour la Cour, nulle lorsqu’elle a pour effet que le contrat peut prendre fin uniquement par la volonté d’une des parties sans respect des règles impératives régissant le licenciement prescrites par le droit des contrats de travail.

En l’espèce, la cour du travail n’avait pas constaté que la réalisation de la condition stipulée dépendait uniquement de la volonté de l’employeur, mais avait considéré que la réalisation de la condition, à savoir le fait pour le travailleur de ne pas réussir un concours d’instructeur, dépendait en grande partie aussi de celui-ci. En conséquence, pour la Cour suprême, la cour du travail ne justifiait pas légalement sa décision suivant laquelle la clause résolutoire stipulée dans le contrat de travail entre lesdites parties constituait une condition purement potestative et qu’elle était dès lors nulle.

La Cour de cassation a conclu à la violation des articles 32 de la loi du 3 juillet 1978 et 1174 de l’ancien Code civil en tant que l’arrêt de fond avait décidé que toute condition potestative stipulée dans un contrat devait être considérée comme nulle et qu’en droit du travail les conditions purement potestatives et les conditions potestatives mixtes entraînaient la nullité.


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