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Trajet de réintégration du personnel enseignant de Wallonie-Bruxelles Enseignement

Commentaire de Trib. trav. Liège (division Dinant), 13 octobre 2023, R.G. 21/481/A

Mis en ligne le vendredi 29 mars 2024


Tribunal du travail de Liège (division Dinant), 13 octobre 2023, R.G. 21/481/A

Terra Laboris

Par jugement du 13 octobre 2023, le tribunal du travail de Liège (division Dinant) constate, dans une action mue à l’initiative de l’auditorat du travail la non-conformité au Code du bien-être de la réglementation en matière de trajet de réintégration applicable au personnel enseignant de WBE.

Les faits

Une directrice faisant fonction prestant dans un athénée de la Communauté française (actuellement WBE), nommée à titre définitif, a été déclarée temporairement inapte à sa fonction en 2018. Elle a introduit l’année suivante une demande en vue d’entamer un trajet de réintégration.

Le SEPPT a évalué l’éventuelle réintégration estimant qu’existait une possibilité pour celle-ci de reprendre à terme le travail convenu, le cas échéant avec une adaptation du poste de travail. Il a précisé qu’entre-temps elle était en état d’effectuer un travail adapté ou un autre travail, et ce toujours avec adaptation de ce poste le cas échéant. La décision prise est une aptitude à exercer du conseil et de la coordination pédagogique, à réévaluer fin août 2019.

Un plan de réintégration a dès lors été signé par la ministre sans durée préétablie et il a été exécuté sans difficulté apparente pendant une année scolaire. Une demande de prolongation a été faite pour l’année scolaire suivante (2020 – 2021), les fonctions exercées étant inscrites dans le cadre d’un projet pilote au sein d’un établissement scolaire autre que son établissement d’origine.

L’exécution du plan a été suspendue en septembre 2020 avec effet immédiat, au motif que l’intéressée ne remplissait pas les conditions du congé dit « pour mission » au sens du Décret de la Communauté française du 24 juin 1996 portant réglementation des missions, des congés pour mission et de mise en disponibilité pour mission spéciale, étant qu’elle n’avait pas été déclarée définitivement inapte par le Medex.

Plainte fut déposée auprès du Contrôle du Bien-Être, qui adressa un avertissement à la WBE en vue de la poursuite de l’exécution du plan de réintégration.

Une requête fut parallèlement déposée le 12 mars 2021 en annulation devant le Conseil d’État, requête visant la décision administrative plaçant l’intéressée en disponibilité pour cause de maladie avec un effet rétroactif au 23 octobre 2020.

Le Contrôle du Bien-Être constata alors que la situation vécue par la directrice touche l’ensemble du personnel de la WBE, celle-ci ne respectant pas les dispositions du Code du bien-être au travail en matière de trajet de réintégration.

Un second avertissement fut dès lors adressé concernant le cas de la demanderesse et une demande de solution pérenne pour l’ensemble des travailleurs fut également faite.

Un troisième avertissement s’étant révélé infructueux, le Contrôle du bien-être établit un rapport pénal à l’encontre du WBE et un dossier répressif fut ouvert.

L’auditorat du travail a investigué et en fin de compte il a introduit une action (action civile) devant le tribunal.

La directrice intervient volontairement à la cause (sa situation ayant été réglée provisoirement) de même que d’autres membres du personnel enseignant, étant aussi visés par la problématique.

La décision du tribunal

Le tribunal rappelle en préambule que, le Code du bien-être étant un arrêté d’exécution de la loi du 4 août 1996, sa violation entre dans le champ d’application de l’article 127, 1° du Code pénal social et que la procédure entamée sur pied de l’article 138bis du Code judiciaire n’est pas une procédure pénale, son objet étant l’établissement de l’existence de l’infraction et non l’établissement de la responsabilité pénale de celle-ci.

Il procède ensuite à un examen circonstancié de l’infraction, eu égard aux dispositions du Code pénal social d’abord et à celles du Code du bien-être au travail ensuite.

Il souligne qu’en droit pénal social les infractions qui exigent un élément moral particulier sont relativement rares, la seule transgression de la prescription légale constituant une infraction, abstraction faite de toute intention, mobile ou bonne foi de son auteur.

La responsabilité pénale n’est dès lors subordonnée qu’à deux conditions, étant la transcription matérielle et l’imputabilité, l’auteur de l’infraction sociale pouvant cependant démontrer une cause de justification.

Le tribunal reprend ensuite les dispositions du Code du bien-être au travail relatives au trajet de réintégration, en ce compris les modifications intervenues par l’arrêté royal du 11 septembre 2022 (entré en vigueur le 1er octobre 2022). Il en met en lumière les changements importants, reprenant les étapes de la procédure et les décisions qui peuvent intervenir.

En l’espèce il incombe, pour le tribunal, à l’auditorat du travail de rapporter la preuve de l’infraction dont il demande la constatation au juge, étant qu’il doit déterminer la norme pénalement sanctionnée dont la transcription est invoquée, établir les éléments matériels de l’infraction ainsi que l’élément moral – celui-ci se résumant à la transgression commise librement et consciemment et, enfin, procéder à l’imputation de l’infraction à un auteur. L’auditorat a également la charge de la preuve de l’absence de cause de justification.

Le tribunal se lance dès lors dans un long examen de la matérialité des faits, qui est acquise mais uniquement à partir de l’année 2020.

Sur leur imputabilité, il se penche sur les causes de justification possibles. WBE invoquant la contrainte/l’état de nécessité (étant l’obligation de respecter les règles décrétales édictées par la Communauté française), le tribunal estime que les conditions de la contrainte ne sont pas rencontrées.

La contrainte est en effet une cause de justification qui suppose que la volonté de l’auteur ait été amoindrie par une force s’exerçant sur lui et que son libre arbitre ait été annihilé ou qu’il n’ait pu sauvegarder autrement, devant un mal grave et imminent, des intérêts qu’il avait le devoir et qu’il était en droit de sauvegarder avant tous autres. Un simple amoindrissement de la liberté d’action ou de décision ne peut pas constituer la contrainte morale exigée. WBE n’était pas dans l’impossibilité de respecter le Code du bien-être ; tout au plus les règles statutaires en avaient-elles rendu l’exercice de son obligation plus difficile.

Il rejette, également, l’état de nécessité.

Dans sa conclusion, le tribunal dit pour droit que WBE ne respecte pas les dispositions prévues par les articles I.4 – 72 et suivants du CBE depuis à tout le moins 2020 et qu’elle s’est rendue coupable à tout le moins à partir de cette période d’une infraction à l’article 127 du Code pénal social.

Il la condamne dès lors à adopter les mesures nécessaires pour permettre la réintégration de l’intéressée dans la fonction préconisée dans le trajet de réintégration et ce pour la rentrée scolaire 2023 – 2024.

Le tribunal condamne également la Communauté française à garantir WBE de toutes les condamnations qui seraient prononcées contre elle dans l’hypothèse où le trajet de réintégration ne pourrait se faire que par l’octroi d’un congé pour mission.

Il examine encore distinctement le cas des deux autres intervenants volontaires.

Une réouverture des débats est ordonnée en ce qui concerne le principe et le montant du préjudice de ces intervenants volontaires en lien causal avec le manquement constaté.

Intérêt de la décision

Ce très intéressant jugement du tribunal du travail de Liège pose la question de l’application du Code du bien-être dans le secteur public.

Il n’est pas contesté que les dispositions relatives au trajet de réintégration sont applicables aux membres du personnel de l’enseignement, le tribunal ayant d’ailleurs à cet égard repris des extraits de l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 30 septembre 2021 (C. Const. 30 septembre 2021, n° 120/2021).

Pour le tribunal, il découle de cet arrêt que les Communautés sont compétentes en vertu de la plénitude de leurs compétences en matière d’enseignement pour élaborer sur le plan du droit du travail et de la sécurité sociale des règles spécifiques qui peuvent être considérées comme un élément du statut du personnel, notamment en ce qui concerne les relations collectives de travail de celui-ci et que par ailleurs l’autorité fédérale l’est pour adopter des règles générales s’appliquant indistinctement à des catégories abstraites de travailleurs et d’employeurs et par conséquent également au personnel de l’enseignement tant que les Communautés n’ont pas elles-mêmes pris de règles spécifiques dans ce domaine. Il renvoie ici à l’avis du Conseil d’État n° 48.114/AV – 48.115/AV.

Il refuse dès lors d’écarter l’application des articles I.4 – 72 à I.4 – 82 du Code du bien-être au travail en application de l’article 159 de la Constitution, comme le demandait la Communauté française. Ces dispositions ne sont, pour le tribunal, pas contraires au principe de répartition des compétences entre l’État fédéral et les Communautés en matière d’enseignement.

Par contre, il estime que les règles statutaires qui n’ont pas été adaptées suite à l’entrée en vigueur de ces articles du CBE (si ce n’est l’article 14bis intégré le 19 juillet 2021 dans le Décret du 24 juin 1996, qui permet aux membres du personnel en disponibilité pour maladie de solliciter un congé pour mission en vue de mettre en œuvre le plan de réintégration) ne peuvent faire obstacle à l’octroi du trajet de réintégration. Il souligne à cet égard que cet article 14bis est entré en vigueur avec effet rétroactif au 1er septembre 2020 et est destiné à permettre aux pouvoirs organisateurs de se conformer aux dispositions du CBE relatives au trajet de réintégration, des situations litigieuses ayant été observées lors de l’année scolaire 2020 – 2021.


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