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Dérogation temporaire aux conditions posée par l’article 48 de l’arrêté royal chômage due à la crise du COVID-19

Mis en ligne le mercredi 14 février 2024


C. trav. Liège (div. Liège), 29 juin 2023, Chbre 2 – D, R.G. 2022/AL/522

Dans un arrêt du 29 juin 2023, confirmant ici la jurisprudence récente unanime sur la question, la Cour du travail de Liège a précisé les conditions d’exercice d’une activité accessoire à l’époque de la crise du COVID-19, vu les mesures dérogatoires adoptées par le Roi dans ce cadre.

Les faits

Une travailleuse salariée a perçu du chômage temporaire force majeure Corona du 25 mars au 30 avril 2020. Elle a repris ensuite son travail.

Elle a entamé une activité d’indépendante à titre complémentaire à partir du 1er octobre 2020, s’affiliant au statut social à titre complémentaire.

Entre le 23 novembre et le 18 décembre 2020, elle a de nouveau perçu des allocations de chômage Corona, suite à quoi elle a de nouveau repris son activité salariée.

Elle a mis fin à son activité complémentaire à la fin de l’année 2020.

Elle a perçu une nouvelle fois des allocations de chômage Corona en mars et avril 2021.

L’ONEm l’a invitée à donner ses explications relatives à l’exercice de l’activité complémentaire.

Elle a exposé ne pas avoir perçu d’allocations de chômage pour le mois d’octobre, date à laquelle elle avait commencé cette activité et souligné d’une part n’avoir retiré aucun bénéfice de celle-ci – qui avait été arrêtée rapidement - et de l’autre que le temps y consacré avait été tout à fait minime (une heure par jour maximum).

Le 8 juin 2021, l’ONEm a décidé de l’exclure des allocations à partir du 1er octobre sur pied des articles 44, 45, et 48, de l’arrêté royal, ainsi que de récupérer les allocations et de lui refuser l’octroi de celles-ci à partir du 1er juin 2021.

La motivation de la décision est que l’activité a démarré en cours de chômage et que l’intéressée ne répondait dès lors pas aux conditions pour pouvoir bénéficier du chômage temporaire pour force majeure Corona. Vu les explications données par celle-ci quant à l’absence d’activité en 2021, la période litigieuse est limitée, celle-ci s’arrêtant au 31 décembre 2020.

En cours de procédure – l’intéressée ayant introduit un recours devant le tribunal du travail le 8 juillet 2021 –, l’ONEm corrigea sa décision originaire, par une nouvelle, datée du 27 juillet 2022, ajoutant la référence à l’article 1er de l’arrêté royal du 22 juin 2020 concernant diverses mesures temporaires dans la réglementation du chômage en raison du virus COVID-19. Il faisait état, dans ce corrigendum, de l’introduction par cette disposition d’une dérogation temporaire aux conditions posée par l’article 48 de l’arrêté royal organique permettant de cumuler une activité avec des allocations de chômage. Il précisait que celle-ci devait se comprendre comme devant avoir été exercée dans le courant des trois mois, calculés de date à date, qui précèdent le premier jour où le travailleur a été mis en chômage temporaire.

En l’espèce, il était constaté que l’intéressée avait perçu des allocations Corona depuis le 25 mars 2020 et que l’activité avait été entreprise à partir du 1er octobre 2020. Celle-ci avait ainsi démarré en cours de chômage temporaire et, pour l’ONEm, l’intéressée ne pouvait bénéficier de la dérogation introduite par l’arrêté royal du 22 juin 2020.

Dans le cours de la procédure, l’ONEm introduisit une demande reconventionnelle visant la condamnation de l’intéressée au remboursement des allocations indûment perçues.

Le jugement du tribunal du travail

Par jugement du 25 octobre 2022, le tribunal du travail a accueilli le recours, annulant la décision de l’ONEm prise le 8 juin 2021, et ce pour défaut de motivation. Il a par ailleurs mis à néant la seconde décision, du 27 juillet 2022, au motif que l’intéressée était dans les conditions pour bénéficier des allocations de chômage pour la période litigieuse, et ce sur pied des articles 44, 45, et 48, de l’arrêté royal organique lus en combinaison avec l’article 1er de l’arrêté royal du 22 juin 2020. Le tribunal dit également pour droit que l’intéressée avait droit aux allocations de chômage à la date du 1er juin 2021.

La décision de la cour

La cour reprend les principes relatifs à l’exercice d’une activité accessoire dans le cadre de l’arrêté royal du 25 novembre 1991, étant ses articles 44, 45, et 48. Elle renvoie à l’enseignement de la Cour de cassation, dans un arrêt du 24 novembre 2003 (Cass., 23 novembre 2003, Pas., 2003, p. 1885), qui rappelle que le but poursuivi par l’article 48, § 1er, 2°, (exercice de l’activité accessoire pendant au moins les trois mois précédant la demande d’allocations) est de permettre au chômeur de continuer des activités exercées précédemment afin d’éviter que le travailleur licencié ne perde, non seulement son salaire mais aussi - en raison de la condition d’être sans travail et rémunération - ses revenus professionnels provenant d’une activité autre, entamée alors qu’il avait le statut de travailleur. Il s’agit d’éviter une double pénalisation.

La cour reprend les deux éléments sur lesquels se fonde l’ONEm, étant d’une part la volonté de ne pas pénaliser le travailleur qui perd son salaire en le privant en outre du revenu de l’activité accessoire et d’autre part celle de réserver ce traitement de faveur à ceux qui ont entamé cette activité complémentaire en temps utile et non une fois qu’ils se trouvaient au chômage ou sous la menace de l’être.

Elle renvoie ensuite, sur des explications complémentaires concernant l’objectif de la mesure, à l’avis de l’avocat général, dont elle reprend un large extrait
Cette activité doit avoir un caractère effectif et ne couvre pas d’éventuels actes préparatoires (attestation d’établissement, immatriculation au registre de commerce, acquisition de matériel,…). En outre n’entrent pas en ligne de compte son caractère rentable ni le volume d’heures qu’elle représente.

Après ce rappel du mécanisme général, la cour passe à l’examen des conditions d’exercice de l’activité accessoire dans le contexte de la pandémie de COVID – 19. Elle reprend à cet égard les mesures intervenues, mesures dérogatoires en la matière, la première étant l’arrêté royal du 22 juin 2020 (entré rétroactivement en vigueur le 1er février 2020). Celui-ci dispose en son article 1er que le chômeur temporaire peut pendant une période déterminée (1er février 2020 – 30 juin 2020 inclus) exercer une activité accessoire avec maintien du droit aux allocations, et ce par dérogation à l’article 44 de l’arrêté royal organique, pour autant qu’il ait déjà exercé cette activité accessoire dans le courant des trois mois, calculés de date à date, qui précèdent le premier jour où il a été mis en chômage temporaire.

Ces dispositions dérogent non seulement à l’article 44 mais également à toutes les conditions de l’article 48, en ce compris celle de déclaration préalable. L’ONEm ne peut dès lors reprocher au chômeur de ne pas avoir déclaré spontanément son activité.

Pour la cour, la disposition permet à tout chômeur temporaire d’exercer une activité accessoire cumulable avec les allocations de chômage à la seule condition d’avoir exercé celle-ci dans le courant des trois mois calculés de date à date précédant le premier jour de mise en chômage temporaire COVID-19.

Elle souligne ensuite que la durée d’application de la mesure a été prolongée à sept reprises par des arrêtés ayant tous un effet rétroactif et synthétise les modifications dans un tableau. À l’époque des faits, le texte de l’arrêté royal applicable précisait que l’activité accessoire devait avoir été exercée « dans le courant des trois mois, calculés de date à date, qui précèdent le premier jour » où le travailleur avait été mis en chômage Corona.

Elle en vient dès lors à la notion de « premier jour », s’agissant de déterminer ce que la réglementation entend par « premier jour où il a été mis en chômage temporaire suite au virus COVID–19 ».

Après avoir résumé la position de l’ONEm - qui considère que le mécanisme n’est pas applicable aux personnes qui ont entamé une activité indépendante après avoir été indemnisées en chômage temporaire -, la cour considère ne pas devoir suivre cette interprétation du texte, précisant qu’elle se rallie à la jurisprudence de la même cour (autrement composée), dont elle reprend d’ailleurs la motivation.

Elle considère en premier lieu que les travaux préparatoires - s’agissant ici du préambule de l’arrêté royal - ne permettent pas d’accréditer l’interprétation de l’ONEm. Y est en effet explicitement prévu de supprimer temporairement l’application des règles en matière de cumul des allocations avec des activités accessoires ou des revenus, ce qui, pour la cour, a une portée large.

Par ailleurs, les nombreuses prolongations de la période dérogatoire démontrent que le législateur a entendu ouvrir le bénéfice de l’exception à des chômeurs ayant débuté leur activité accessoire après le début de leur indemnisation dans le cadre du chômage temporaire. Elle renvoie au principe de rationalité de l’auteur de la norme, ce qui implique de choisir, parmi plusieurs interprétations possibles, celle qui fait sens. La cour reprend les sept prolongations successives du régime dérogatoire, qui n’auraient aucun sens si elles visaient uniquement les travailleurs qui n’avaient pas encore atteint les trois mois d’ancienneté requis le 1er février 2020. Pour la cour, la volonté de l’auteur de la norme n’a pu être que d’étendre le champ des bénéficiaires de celle-ci.

Elle précise que cette dernière a été adoptée dans un contexte où des travailleurs qui ne s’attendaient absolument pas être au chômage se sont massivement retrouvés en situation de devoir faire face à un contexte anxiogène avec des revenus réduits, et ce pour une durée indéterminable. Pour la cour, ceux qui sont ainsi en litige avec l’ONEm sont ceux qui ont fait preuve de ressources et de courage en cherchant à pallier leur baisse de revenus par une activité indépendante à titre complémentaire (15e feuillet).

Enfin, le caractère d’ordre public de la réglementation n’est pas mis à mal par cette interprétation, que la cour qualifie de téléologique. Elle en vient à l’examen des faits et constate que l’intéressée doit être rétablie dans ses droits, ce que le jugement a fait. Celui-ci est dès lors confirmé et l’ONEm est débouté de son appel.

Intérêt de la décision

L’arrêté royal du 22 juin 2020 et les huit arrêtés qui l’ont prolongé dérogent, pour les chômeurs mis en chômage temporaire pour force majeure et souhaitant exercer en même temps une activité accessoire, aux exigences contenues dans l’article 44 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 (étant que cette activité ait déjà été exercée durant les trois mois précédant le début du chômage et qu’elle ait été déclarée préalablement à son exercice) « pour autant que le chômeur ait déjà exercé cette activité accessoire dans le courant des trois mois, calculés de date à date, qui précèdent le premier jour où il a été mis en chômage temporaire suite au virus COVID-19 ».

L’ONEm interprète cette exigence comme impliquant que l’activité accessoire ait été exercée dès le premier jour de la première fois où le travailleur a été mis en chômage temporaire suite au coronavirus. Pour la cour, les trois mois doivent être calculés à partir « du premier jour d’une période d’indemnisation dans le cadre du chômage Corona ». La cour du travail souligne qu’elle est conforme au but de l’exigence de l’article 48 de l’arrêté royal organique auquel il a été dérogé. La circonstance que cette dérogation ait été prolongée à huit reprises et les motifs de ces prolongations le confirment.

Relevons encore que les dispositions prises à l’époque dérogent non seulement à l’article 44 mais également à toutes les conditions de l’article 48, en ce compris celle de déclaration préalable.


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