Terralaboris asbl

Absence de DIMONA : contestation du caractère indemnitaire de la cotisation de solidarité

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 24 mai 2023, R.G. 2021/AB/402

Mis en ligne le vendredi 9 février 2024


C. trav. Bruxelles, 24 mai 2023, R.G. 2021/AB/402

Terra Laboris

Dans un arrêt du 24 mai 2023, la cour du travail de Bruxelles rappelle que la cotisation de solidarité n’a pas un caractère pénal au sens de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme mais, au contraire, qu’il s’agit d’une sanction indemnitaire. En conséquence, le principe « non bis in idem » ne peut être appliqué et aucun sursis (total ou partiel) ne peut être accordé.

Les faits

L’inspection sociale de l’ONEM effectua une visite dans un restaurant en mars 2019 et constata la présence de quatre personnes occupées au travail. Deux d’entre elles n’avaient pas fait l’objet d’une DIMONA.

Un Pro Justitia fut dressé et transmis à la société, à son gérant, ainsi également qu’à l’auditorat du travail.

Celui-ci fit parvenir une proposition de transaction pénale, qui fut acceptée. Celle-ci est d’un montant de 5.600 €.

L’O.N.S.S. décida alors, en application de l’article 22 quater de la loi du 27 juin 1969 concernant la sécurité sociale des travailleurs, de notifier une décision réclamant une cotisation de solidarité (de l’ordre de 2.900 €).

Le conseil de la société prit contact avec l’O.N.S.S., contestant devoir payer ce montant, en application du principe « non bis in idem ».

L’O.N.S.S. maintint sa décision et la société introduisit une procédure judiciaire devant le tribunal du travail de Nivelles.

La procédure devant le tribunal du travail

La société demandait au tribunal de dire pour droit que la condamnation à la cotisation de solidarité constitue une sanction pénale au sens de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et que, en conséquence, elle n’était pas due en application du principe « non bis in idem ». À titre subsidiaire, elle demandait l’octroi d’un sursis (total ou partiel) pour toute somme excédant 500 €. À titre plus subsidiaire encore, elle demandait que soit posée une question à la Cour constitutionnelle et, encore plus subsidiairement, elle sollicitait la réduction du montant de la cotisation à 500 €, sur la base des principes d’égalité, de confiance légitime et de proportionnalité, ou – à défaut – en vertu du respect du droit de propriété garanti par l’article 1er du Premier protocole additionnel à la C.E.D.H.

Par jugement du 16 avril 2021, le tribunal déclara la demande non fondée, à l’exception de termes et délais sollicités. La décision administrative fut ainsi confirmée dans toutes ses dispositions.

Le tribunal fit également droit à une demande reconventionnelle de l’O.N.S.S. portant sur la condamnation à un montant de l’ordre de 5.250 € au titre de cotisation de solidarité.

La société interjette appel.

Position de la société devant la cour

La société persiste à considérer que la cotisation de solidarité constitue une sanction pénale et qu’elle ne peut, dès lors, lui être infligée en vertu du principe « non bis in idem », position qu’elle avait déjà défendue devant le premier juge. Ses demandes subsidiaire et plus subsidiaire sont également maintenues.

Quant à l’O.N.S.S., il sollicite la confirmation pure et simple du jugement.

La décision de la cour

Le cadre légal rappelé par la cour est l’article 22 quater de la loi du 27 juin 1969. Celui-ci impose, en cas de constat par un contrôleur de l’absence de DIMONA par un employeur, d’informer l’O.N.S.S., qui établit d’office, sous forme d’une rectification, le montant d’une cotisation de solidarité. Celle-ci est calculée sur une base forfaitaire (étant le triple des cotisations de base sur le revenu minimum mensuel moyen – avec un plancher de 2.500 €, montant indexé).

L’employeur peut cependant invoquer l’impossibilité matérielle pour le travailleur d’effectuer des prestations de travail à temps plein. Pour ce, il doit fournir les éléments permettant d’établir la réalité des prestations et le montant de la cotisation de solidarité peut alors être réduit à due proportion. La cour rappelle également que le montant de la cotisation de solidarité est diminué des cotisations dues pour les prestations effectivement déclarées (montants imputés sur le trimestre pendant lequel les prestations du travailleur ont été constatées).

En l’espèce, les conditions matérielles d’application de la disposition sont réunies et le montant indexé réclamé s’élève pour les 2 travailleurs à 2.920,60 € par travailleur, dont ont été déduites les cotisations dues pour les prestations effectivement déclarées pour chacun d’eux. La cour constate dès lors que le montant de la cotisation est correct.

Sur la nature de la sanction, la cour ne fait pas droit à la position de la société, qui considère qu’il s’agit d’une sanction pénale. Pour la cour, au contraire, cette sanction a un caractère indemnitaire. Elle expose les motifs pour lesquels elle retient cette conclusion. L’article 22 quater est issu de la loi programme du 22 décembre 2008, qui l’a introduit dans un chapitre de la loi du 27 juin 1969 relatif à la perception et au recouvrement des cotisations et non sous la section consacrée aux sanctions pénales. En droit belge, la nature de la sanction n’a dès lors pas été voulue ainsi.

Par ailleurs, le but de la disposition, tel que précisé dans l’Exposé des motifs de la loi, est de pouvoir calculer de manière forfaitaire les cotisations dues par les employeurs qui ont eu recours à du personnel pour lesquels la DIMONA n’a pas été faite et, à cette fin, d’instaurer un mode particulier de réparation ou de restitution de nature civile, destiné, dans l’intérêt du financement de la sécurité sociale, à mettre fin à une situation contraire à la loi. Même si le montant est forfaitaire, il a vocation à couvrir tant les cotisations éludées que les frais de traitement administratif engendrés par l’absence de DIMONA. Le but est dès lors indemnitaire et non « punitif ».

Ceci vaut d’autant plus que viennent en déduction de la cotisation de solidarité les cotisations afférentes aux prestations effectivement déclarées et que, en outre, l’employeur a la possibilité de prouver l’impossibilité matérielle de prestations à temps plein.

La cour du travail rappelle que la Cour constitutionnelle a jugé dans un arrêt du 1er mars 2012 (C. Const., 1er mars 2012, n° 28/2012) que la cotisation en cause n’a pas une fonction répressive car elle s’explique par le souci du législateur de réparer un dommage évalué forfaitairement.

Il découle de ce constat que, d’une part, l’application du principe « non bis in idem » ne peut être demandée et que, de l’autre, un sursis total ou partiel à l’exécution de la condamnation ne peut être accordé, ne s’agissant pas d’une condamnation pénale.

Enfin, la cour rejette la demande d’interroger la Cour constitutionnelle, considérant que celle-ci a déjà répondu dans un arrêt du 20 septembre 2012 (C. Const., 20 septembre 2012, n° 112/2012).

La cour relève encore que la société n’établit pas pour les travailleurs en cause l’impossibilité matérielle d’accomplir des prestations de travail à temps plein. Elle rejette également la demande de réduction de la cotisation de solidarité fondée sur les principes d’équité, de propriété,… , et ce au motif que le texte de la loi est clair et que ses conditions d’application sont réunies. La cour précise pour autant que de besoin qu’elle ne peut déroger à une réglementation légale pour des motifs d’équité et qu’elle ne peut fonder sa décision exclusivement sur le fait que celle-ci semblerait, dans les circonstances de l’espèce, la solution la meilleure. Enfin, elle retient qu’aucune atteinte disproportionnée au droit de propriété n’est établie et rejette l’appel.

Intérêt de la décision

La cour du travail de Liège confirme ici la jurisprudence sur le caractère indemnitaire de la cotisation de solidarité. Elle prolonge ainsi l’enseignement de décisions précédentes sur la question. Il avait, en effet, été jugé précédemment que concordent, pour reconnaître à la cotisation de solidarité un caractère indemnitaire plutôt que répressif le fait que cette qualification lui a été donnée par le législateur, la circonstance qu’elle s’applique en cas de constat de l’absence d’accomplissement d’une mesure destinée à favoriser le contrôle et la perception des cotisations sociales et qu’elle est établie à un montant forfaitaire présenté de manière non déraisonnable comme correspondant tant aux cotisations éludées qu’aux frais de traitement administratif par l’O.N.S.S. (C. trav. Liège (div. Namur), 9 janvier 2018, R.G. 2016/AN/240). La cotisation de solidarité imposée par l’article 22quater de la loi du 27 juin 1969 n’a pas une fonction répressive car elle s’explique par le souci du législateur de réparer un dommage évalué forfaitairement. Il s’agit de sanctionner un comportement qui a entraîné un travail supplémentaire à l’O.N.S.S. (C. trav. Liège (div. Liège), 31 octobre 2016, R.G. 2016/AL/13).
Sur la notion de DIMONA, relevons encore que la notion de Dimona utilisée dans le Code pénal social diverge de celle utilisée en droit social. Si, pour cette dernière, tous les éléments constitutifs du contrat de travail doivent être réunis (travail, rémunération et lien de subordination), il n’en va pas de même en droit pénal social. Le simple fait de faire travailler une personne sous son autorité – notion plus large que le lien de subordination –, de lui donner des ordres ou des directives, de lui confier une tâche, une activité ou une besogne suffit pour appliquer l’article 181 du Code pénal social, sans qu’il ne soit nécessaire de démontrer l’existence d’un lien de subordination. Partant, l’employeur peut, même s’il a effectué des déclarations immédiates de l’emploi en vue de régulariser la situation infractionnelle, contester être redevable d’une cotisation de solidarité au sens de l’article 22quater de la loi du 27 juin 1969. Dans ce cas, il incombe à l’O.N.S.S. de démontrer l’existence d’un contrat de travail (C. trav. Liège (div. Liège), 27 février 2023, R.G. 2022/AL/4 .


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be