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Calcul de la pension de retraite des fonctionnaires : différenciation en fonction de la date de naissance et droit de l’Union

Commentaire de C.J.U.E., 27 AVRIL 2023, AFF. N° C-681/21 (VERSICHERUNGSANSTALT ÖFFENTLICH BEDIENSTETER, EISENBAHNEN UND BERGBAU (BVAEB) c/BB ), EU:C:2023:349

Mis en ligne le vendredi 9 février 2024


C.J.U.E., 27 AVRIL 2023, AFF. N° C-681/21 (VERSICHERUNGSANSTALT ÖFFENTLICH BEDIENSTETER, EISENBAHNEN UND BERGBAU (BVAEB) c/BB ), EU:C:2023:349

Terra Laboris

Par arrêt du 27 avril 2023, la Cour de Justice rappelle à propos de la fixation du montant de la pension de retraite (de fonctionnaires autrichiens en l’occurrence) que
les personnes défavorisées doivent être placées dans la même situation que les personnes bénéficiant de l’avantage concerné et que le principe de sécurité juridique s’oppose, en règle générale, à ce qu’un acte mettant en œuvre le droit de l’Union se voie accorder un effet rétroactif.

Les faits

Une fonctionnaire autrichienne prend sa pension de retraite le 31 décembre 2011.

Suite à une augmentation de celle-ci, intervenue avec effet au 1er janvier 2014, l’intéressée conteste au motif de l’application d’une disposition de la loi nationale sur les pensions (Pensionsgesetz de 1965) et réclame des arriérés. Elle fait notamment valoir que l’application de la disposition en cause est contraire à l’article 2 de la directive 2000/78, dans la mesure où elle désavantage les fonctionnaires nés avant le 1er janvier 1955 par rapport aux fonctionnaires plus jeunes.

L’administration décide de revoir le montant mensuel de la pension, l’augmentant très légèrement. Elle constate l’absence de discrimination fondée sur l’âge, au sens de l’article 2 de la directive, précisant que les fonctionnaires nommés à partir du 1er janvier 1955 sont soumis au système moins favorable d’un « calcul parallèle » en vertu duquel la fixation du montant de leur pension de retraite s’opère, pour ce qui est des périodes d’assurance acquises avant l’année 2005, conformément à la loi de 1965 et, pour ce qui est des périodes d’assurance acquises à partir de l’année 2005, conformément à un autre texte (loi sur les pensions de 2010) , en tenant compte des périodes de service accomplies pour adapter le montant en conséquence.

Le tribunal administratif fédéral d’Autriche rejette, par jugement du 19 août 2016, le recours introduit par l’intéressée, au motif que le plafonnement de l’adaptation des pensions prévu à la loi sur les pensions de 2010, qui ne s’applique qu’aux fonctionnaires nés avant le 1er janvier 1955, est conforme à la directive 2000/78. Le fait que les fonctionnaires nés ultérieurement soient soumis à un calcul parallèle moins favorable justifie la différence de traitement existante.

Suite au recours de l’intéressée, la Cour administrative d’Autriche a annulé le jugement, retenant l’existence d’une discrimination directe fondée sur l’âge non justifiée, dans la mesure où le « calcul parallèle » ne s’applique pas à tous les fonctionnaires, notamment à ceux dont la durée totale des périodes ouvrant le droit à une pension acquise à partir du 1er janvier 2005 est égale à moins de 5 % de la durée de la carrière prise en considération ou qu’elle est inférieure à 36 mois (chiffre donné à l’article 99 de la loi sur les pensions de 2013).

L’affaire a été renvoyée au tribunal administratif, qui a accueilli le recours à compter du 1er janvier 2015, reconnaissant le droit de l’intéressée à des arriérés depuis cette date.

L’administration a introduit un recours contre le jugement du tribunal administratif, recours rejeté par la cour administrative au motif d’irrecevabilité. Entre temps, la loi de 1965 a été modifiée en 2018, aux fins de régulariser la prise en compte des années de carrière.

L’intéressée a, alors, introduit une nouvelle demande afin d’obtenir depuis le 1er janvier 2015 une régularisation d’arriérés supplémentaire, au motif que malgré la modification légale intervenue en 2018, la loi était toujours contraire à l’article 2 de la directive 2000/78. La modification intervenue n’aurait selon elle, pas modifié la situation des fonctionnaires nés avant le 1er janvier 1955, lesquels continueraient d’être défavorisés – laissant ainsi subsister la discrimination sur la base de l’âge.

Le tribunal administratif a fait droit à la demande (à partir de l’année 2016 uniquement cependant). Suite à cette décision, un recours a été introduit par l’administration devant la Cour administrative.

La juridiction s’est alors interrogée sur la conformité de la disposition modifiée à la jurisprudence de la Cour de Justice (C.J.U.E., 7 octobre 2019, Aff. n° C-171/18 (SAFEWAY Ltd c/ NEWTON et SAFEWAY PENSION TRUSTEES Ltd), vu l’obligation de procéder à l’élimination immédiate et complète d’une discrimination constatée ainsi que l’interdiction de supprimer, pour le passé, les avantages dont bénéficiait la catégorie antérieurement favorisée. Elle a également posé la question de la possibilité de transposer cette jurisprudence à la situation en cause. Pour le juge autrichien, la nécessité d’assurer la protection des droits acquis et de la légitime confiance à l’égard de la catégorie antérieurement favorisée découlerait de la jurisprudence de la Cour de Justice relative à la discrimination fondée sur l’âge (renvoyant également à C.J.U.E., 8 mai 2019, Aff. C-396/17 (LEITNER c/ LANDESPOLIZEIDIREKTION TIROL), EU:C:2019:375). Or, en l’occurrence, ce serait précisément les droits acquis de la catégorie antérieurement favorisée qui ne seraient pas protégés par le nouveau texte légal.

Le juge national s’interroge également vu autre arrêt (C.J.U.E., 28 janvier 2015, Aff. n° C-417/13 (ÖBB PERSONENVERKEHR AG vs. GOTTHARD STARJAKOB), dans lequel il a été jugé qu’il n’y a pas impérativement lieu, dans tous les cas de discrimination fondée sur l’âge, d’accorder une compensation financière correspondant à la différence des montants des prestations selon qu’existe ou non une discrimination. Il précise encore qu’en tout état de cause, la Cour ne se serait pas encore prononcée sur la conformité au droit de l’Union d’une modification d’une disposition nationale assortie d’effets rétroactifs, qui place en définitive la catégorie antérieurement favorisée sur un pied d’égalité avec celle antérieurement défavorisée, en supprimant l’élément qui a donné lieu à la différence de traitement, de sorte que les personnes antérieurement discriminées en raison de l’âge n’aient aucun droit financier.

La question préjudicielle

La question posée porte sur le point de savoir si l’article 2, paragraphe un et paragraphe 2, sous a) et l’article 6, paragraphe 1 de la directive 2000/78 ainsi que les principes de sécurité juridique, de maintien des droits acquis et d’effectivité du droit de l’Union doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale en vertu de laquelle, à la suite d’une adaptation des pensions, les fonctionnaires de la catégorie antérieurement favorisée ne bénéficient plus, avec effet rétroactif, des montants de pension auxquels ils avaient droit et qui, ainsi, a pour effet que la catégorie des fonctionnaires qui étaient antérieurement défavorisés ne bénéficie pas (plus), par suite de l’adaptation des pensions, des montants de pension auxquels ils auraient eu droit du fait de la discrimination fondée sur l’âge que les tribunaux avaient déjà (itérativement) constatée, en ne faisant pas application d’une disposition nationale contraire au droit de l’Union, afin de placer ces fonctionnaires désavantagés sur le même plan que ceux de la catégorie antérieurement favorisée.


La décision de la Cour

Dans ses développements, la Cour de Justice revient sur ses arrêts CRESCO et SAFEWAY.

En vertu du premier, dès lors qu’une discrimination, contraire au droit de l’Union, a été constatée et aussi longtemps que des mesures rétablissant l’égalité de traitement n’ont pas été adoptées, le respect du principe d’égalité ne saurait être assuré que par l’octroi aux personnes de la catégorie défavorisée des mêmes avantages que ceux dont bénéficient les personnes de la catégorie privilégiée. Les personnes défavorisées doivent ainsi être placées dans la même situation que les personnes bénéficiant de l’avantage concerné.

Le second a souligné qu’il serait contraire à l’objectif de l’égalisation des conditions de travail ainsi qu’aux principes de sécurité juridique de permettre aux responsables du régime de pension concerné d’éliminer une discrimination en adoptant une mesure uniformisant, avec effet rétroactif, le régime des personnes antérieurement favorisées au niveau du régime des personnes antérieurement défavorisées. Admettre une telle situation dispenserait ces responsables de l’obligation de procéder, après la constatation de la discrimination, à l’élimination immédiate et complète de celle-ci. À partir du moment où la mise en conformité législative est intervenue (loi de 2018), le législateur national pouvait assimiler le régime de pension de retraite des fonctionnaires relevant de la catégorie antérieurement favorisée à celui des fonctionnaires relevant de la catégorie antérieurement défavorisée.

Elle rappelle ensuite qu’il découle de sa jurisprudence que le principe de sécurité juridique s’oppose, en règle générale, à ce qu’un acte mettant en œuvre le droit de l’Union se voie accorder un effet rétroactif. Ce principe fait partie des principes généraux du droit de l’Union et exige, notamment, que les règles de droit soient claires, précises et prévisibles dans leurs effets. Ce n’est qu’à titre exceptionnel qu’un acte mettant en œuvre le droit de l’Union peut se voir accorder un effet rétroactif, lorsqu’un impératif d’intérêt général l’exige et lorsque la confiance légitime dés intéressés est dûment respectée.

En l’occurrence le gouvernement autrichien n’établit pas que la mesure en question répondait effectivement à un tel impératif d’intérêt général. Pour la C our, une justification objective de la rétroactivité de la mesure semble faire défaut (ce qu’il appartient néanmoins à la juridiction de renvoi de vérifier). Par ailleurs, pour ce qui est du respect de la confiance légitime des intéressés, sous réserve des vérifications à effectuer par la même juridiction de renvoi au regard de l’ensemble des circonstances pertinentes du litige, la Cour considère que la réglementation nationale est susceptible de respecter ce principe au moyen d’une éventuelle application d’une autre disposition de la loi de 2010.

Elle répond dès lors que les dispositions de la directive visées s’opposent, en l’absence d’un impératif d’intérêt général, à une réglementation nationale prévoyant, pour mettre fin à une discrimination fondée sur l’âge, l’assimilation, avec effet rétroactif, du régime de pension de retraite d’une catégorie de fonctionnaires antérieurement favorisée
par la législation nationale portant sur les droits à une pension de retraite à celui de la catégorie de fonctionnaires antérieurement défavorisée par cette même législation.

Intérêt de la décision

L’affaire tranchée par la Cour de Justice reprend les éléments importants de sa jurisprudence récente en matière de discrimination sur la base de l’âge, en sécurité sociale.

Dans son arrêt SAFEWAY, la Cour de Justice est revenue aux fondements, étant son arrêt BARBER du 17 mai 1990 : la fixation d’un âge normal de départ à la retraite différent selon le sexe est une discrimination prohibée par l’article 119 du Traité C.E.

Elle reprend également un ancien arrêt du 28 septembre 1994 (C.J.U.E., 28 septembre 1994, Aff. n° C–408/92, SMITH e.a. c/ABDEL SYSTEMS Ltd). Il est acquis, depuis celui-ci, que le droit de l’Union s’oppose à la suppression, pour le passé, des avantages des personnes de la catégorie privilégiée. Se posait dans l’affaire SAFEWAY la question de savoir si cette jurisprudence peut s’appliquer lorsque le droit en cause a un caractère révocable. La Cour y a donné une solution identique. La justification de la mesure réside en effet notamment dans le rattachement de l’article 119 du Traité C.E. à l’objectif d’égalisation des conditions de travail dans le sens du progrès, ce qui renvoie au Préambule du Traité et à son article 17.


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