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Pouvoirs respectifs des liquidateurs « volontaires » et des liquidateurs après faillite

Commentaire de Trib. trav. Liège (div. Liège), 7 avril 2023, R.G. 21/2.142/A

Mis en ligne le vendredi 9 février 2024


Trib. trav. Liège (div. Liège), 7 avril 2023, R.G. 21/2.142/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 7 avril 2023, le Tribunal du travail de Liège (division Liège) rappelle les rôles différents des liquidateurs après faillite et des liquidateurs « volontaires » : les premiers ont un rôle purement passif, contrairement aux seconds, dont la mission est beaucoup plus large.

Les faits

Après avoir démissionné de ses fonctions, un employé recontacte son ex-employeur, au motif de rémunérations et avantages impayés. La société est un peu plus tard mise en dissolution judiciaire par jugement du tribunal de l’entreprise. L’employé s’adresse au liquidateur sur la question des montants réclamés. Il sollicite que celui-ci signe le formulaire F1 à destination du Fonds de Fermeture.

N’ayant pas eu satisfaction, l’employé introduit une procédure contre le liquidateur et postule sa condamnation au paiement des différentes sommes qu’il réclame. Il demande également sa condamnation à signer le formulaire en cause, avec astreinte.

La décision du tribunal

Statuant par défaut à l’égard du liquidateur, le tribunal constate que les montants réclamés ne sont pas contestés et condamne celui-ci, qualitate qua, à leur paiement. Il rappelle que, dans le cadre de la survivance passive de la société, les créanciers peuvent faire valoir leurs droits en intentant une action en justice contre le liquidateur, l’intervention du Fonds de Fermeture pouvant être sollicitée lorsque le jugement sera devenu définitif.

Sur la condamnation du liquidateur à signer le formulaire F1, il rappelle que la procédure est fixée dans un arrêté royal du 23 mars 2007 portant exécution de la loi du 26 juin 2002 relative aux fermetures d’entreprise. Ses articles 44 et 45 disposent que le travailleur et, selon les cas, l’employeur ou son mandataire, le curateur, le liquidateur, le commissaire au sursis et le nouvel employeur ou son mandataire mentionnent les renseignements appropriés sur ce formulaire, les certifient exacts, les signent conjointement et joignent les pièces éventuelles. Le formulaire peut alors être introduit auprès du Fonds par le travailleur ou son mandataire. Le Fonds doit, en vertu de l’article 65, alinéa 1er, de la loi du 26 juin 2002, être saisi à l’initiative du travailleur. Ni l’employeur, ni le curateur, ni le liquidateur ne sont mentionnés.

Le tribunal rappelle que, lorsque le travailleur a omis d’exécuter cette obligation légale, il ne dispose pas d’une créance exigible vis-à-vis du Fonds. Il n’y a que dans une seule hypothèse que la demande ne doit pas être introduite, étant celle de l’indemnité de fermeture, où le Fonds intervient sur la base des informations transmises par l’employeur ou le liquidateur.

Les rôles respectifs des mandataires de justice ont été repris très longuement dans un arrêt de la Cour du travail de Liège du 20 août 2019 (C. trav. Liège, div. Liège, 20 août 2019, R.G. 2018/AL/191), que le tribunal reprend. La cour du travail y a rappelé que, dès le prononcé de la faillite, étant le jour du jugement déclaratif, le gérant de la société faillie est dessaisi de plein droit de l’administration de celle-ci et qu’il ne peut dès lors signer un formulaire F1. Par ailleurs, la clôture de la faillite met fin aux fonctions du curateur et, celui-ci étant déchargé, il ne peut non plus valablement signer le formulaire F1 à partir de ce moment.

La question du liquidateur est plus complexe, puisque celui-ci peut être le liquidateur désigné après faillite ou liquidateur dans le cadre d’une liquidation volontaire. Le liquidateur après faillite est désigné par le tribunal et succède au curateur. Son rôle est limité à assurer la survivance passive de la société (dissoute). Les tiers peuvent alors diriger contre celui-ci, dans le cadre de la survie passive de la société, les actions contre celle-ci. Vu qu’il s’agit d’une survie passive, celle-ci est limitée à un rôle de défense procédurale. Si la société peut s’opposer aux demandes introduites contre elle, elle ne peut en introduire une.

Le tribunal rappelle la doctrine (X. DIEUX, P. LAMBRECHT, O. CAPRASSE (dir.), « Examen de jurisprudence 2010-2013 – Les sociétés commerciales (2e partie) », R.J.C.B., 2016/2, pp. 359-360), selon laquelle la notion de « défense » ne doit pas être entendue de manière strictement procédurale. A côté du liquidateur après faillite, existe le cas du liquidateur dans le cadre d’une liquidation volontaire (procédure visée à l’article 184 du Code des sociétés – d’application dans l’espèce tranchée par la cour du travail). La désignation d’un (ou de plusieurs) liquidateur(s) est prise par l’assemblée générale et est confirmée par le tribunal de l’entreprise. Le rôle de ceux-ci est visé aux articles 186 et suivants du même Code, leurs pouvoirs étant beaucoup plus larges.

La question est dès lors de savoir si, au sens de l’article 44 de l’arrêté royal du 23 mars 2007, les termes de « liquidateur » et de « curateur » englobent le liquidateur après faillite, question à laquelle il est répondu par la cour par la négative, vu le rôle purement passif de celui-ci. Il ne peut signer une demande après la clôture de la faillite. En signant un formulaire F1 à la demande du travailleur, le liquidateur après faillite ne pose pas un acte de défense de la société contre une action dirigée contre elle mais co-initie – ou, à tout le moins, accompagne – la démarche d’un travailleur à l’égard du Fonds de Fermeture. Ce faisant, le liquidateur après faillite excède son rôle de défense et le Fonds n’est pas valablement saisi.

Le tribunal constatant en l’espèce qu’il n’y a pas faillite mais dissolution volontaire, le liquidateur peut être condamné à signer le formulaire F1. Il admet également la demande de condamnation à une astreinte, et ce au montant fixé par le demandeur, étant 250 euros par jour de retard.

Intérêt de la décision

Le rappel de la distinction entre les deux types de liquidateur fait par le Tribunal du travail de Liège dans le jugement commenté est important, s’agissant de permettre l’intervention du Fonds de Fermeture.

Un arrêt de la Cour du travail de Liège (division Liège) du 26 novembre 2018 (C. trav. Liège, div. Liège, 26 novembre 2018, R.G. 2017/AL/649 – précédemment commenté) avait également abordé la question. La cour avait, dans celui-ci, déjà explicitement rappelé que le liquidateur volontaire a un rôle actif, pouvant notamment intenter et soutenir des actions, recevoir des paiements, transiger, etc., contrairement au liquidateur après faillite.

Le tribunal rappelle également dans le jugement du 7 avril 2023 qu’à partir du jugement déclaratif de faillite, le gérant de la société ne peut plus signer le formulaire F1 engageant celle-ci et que, après la clôture de cette faillite, le curateur est quant à lui déchargé de sa mission, de telle sorte qu’il n’est plus en mesure non plus de rentrer ce formulaire.

L’article 45 de l’arrêté royal du 23 mars 2007 dispose expressément que celui-ci est introduit par le travailleur lui-même ou son mandataire. Rien ne s’oppose dès lors à ce que le travailleur adresse directement le formulaire, à la condition que l’article 44 ait été respecté, à savoir que les renseignements utiles doivent être apportés sur celui-ci, certifiés exacts et que la signature conjointe soit apposée (avec l’envoi des pièces éventuelles).

C’est très logiquement, dans le cas tranché par le tribunal, qu’il a été conclu qu’il n’y a pas de faillite et que la mission du liquidateur doit être comprise comme une mission « active », étant qu’il peut être tenu de faire parvenir le formulaire à destination du Fonds de Fermeture.


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