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Règlements de coordination : conditions permettant de bénéficier d’allocations de chômage lors du retour du travailleur dans son pays d’origine

Commentaire de C.J.U.E., 24 mars 2023 (Ord.), n° C – 30/22 (DVD c/ DIREKTOR NA TERITORIALNO PODELENIE NA NATSIONALNIA OSIGURITELEN INSTITUT – VELIKO TARNOVO), EU : C:2023:259

Mis en ligne le mardi 6 février 2024


C.J.U.E., 24 mars 2023 (Ord.), n° C – 30/22 (DVD c/ DIREKTOR NA TERITORIALNO PODELENIE NA NATSIONALNIA OSIGURITELEN INSTITUT – VELIKO TARNOVO), EU : C:2023:259

La Cour de Justice de l’Union européenne rappelle dans une ordonnance du 24 mars 2023 que l’article 65, paragraphe 2, du Règlement n° 883/2004 ne s’applique pas à une situation dans laquelle une personne sollicite le bénéfice de prestations de chômage auprès de l’autorité compétente d’un État dans lequel elle n’a pas accompli de périodes d’assurance, d’emploi ou d’activité non salariée et sur le territoire duquel elle retourne au terme d’une période d’assurance, d’emploi ou d’activité non salariée accomplie dans un autre État dans lequel elle résidait.

Rétroactes

Une ressortissante bulgare a exercé une activité salariée au Royaume-Uni entre décembre 2014 et mars 2021.

En avril 2021, étant sans emploi, elle est retournée en Bulgarie et a demandé le bénéfice d’allocations de chômage.

Il n’a pas été fait droit à sa demande, au motif que les périodes d’assurance accomplies au Royaume-Uni n’avaient pas été suivies de périodes couvertes par une assurance sociale dans ce pays.

L’affaire s’est complexifiée du fait du retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne.

Un recours fut introduit contre cette décision et, celui-ci étant rejeté, un nouveau recours fut alors formé devant le tribunal administratif compétent.

Pour le juge de renvoi, il y a lieu de vérifier la conformité de la décision prise aux articles 61 à 65 du Règlement n° 883/2004 et de son règlement d’application n° 987/2009. Le juge s’interroge également sur l’Accord de retrait, qui prévoit des dispositions spécifiques pour les citoyens de l’Union soumis à la législation du Royaume-Uni à la fin de la période de transition.

Le tribunal pose dès lors à la Cour de justice des questions préjudicielles essentiellement relatives à l’article 30 de l’Accord de retrait (ainsi que 31) .

Le juge de renvoi demande également le bénéfice de la procédure préjudicielle accélérée prévue à l’article 105, § 1 du règlement de procédure de la Cour, au motif que l’intéressée ne perçoit plus de revenus depuis la fin de son activité salariée au Royaume-Uni et qu’elle sera en outre tenue de suivre la procédure dans ce pays aux fins d’obtenir les allocations.

La décision de la Cour

La demande de procédure préjudicielle accélérée est rejetée pour un double motif étant, d’une part, que le simple intérêt des justiciables (à propos duquel l’arrêt relève « pour important et légitime qu’il soit ») n’implique pas la nécessité de traiter l’affaire dans de brefs délais et d’autre part que n’était pas précisé par le juge de renvoi le délai dans lequel la procédure de demande des prestations pourrait être menée à bien et qu’il n’était pas davantage établi pourquoi l’intéressée se serait trouvée empêchée de faire valoir son droit avant la décision de la Cour.

En ce qui concerne les questions préjudicielles, la Cour renvoie à l’article 19 de son règlement de procédure, qui vise l’hypothèse où la réponse à une question posée peut être clairement déduite de sa jurisprudence ou encore celle où la réponse ne laisse place à aucun doute raisonnable. En vertu de la disposition, la cour peut dans cette hypothèse statuer par voie d’ordonnance motivée, ce qu’elle fait.

Elle relève que les questions posées portent sur l’interprétation des seuls articles 30 et 31 de l’Accord de retrait, s’agissant de vérifier leur applicabilité à la situation soumise, étant celle d’une personne qui a travaillé sur le territoire du Royaume-Uni et qui retourne en Bulgarie après la fin de la période de transition et sollicite à ce moment le bénéfice des allocations de chômage dans ce pays.

La Cour renvoie au préambule de l’Accord en cause, qui a souligné la nécessité d’offrir une protection réciproque aux citoyens de l’Union et aux ressortissants du Royaume-Uni qui avaient exercé leur droit de libre circulation avant la date fixée dans l’Accord et rappelle également que le Règlement n° 883/2004 s’applique aux personnes couvertes par ces dispositions.

Aussi est-il nécessaire de vérifier d’abord si l’intéressée pouvait faire appel au Règlement de coordination indépendamment du retrait du Royaume-Uni de l’Union ou du fait qu’elle avait exercé son activité salariée dans cet État et non dans un État membre de l’Union. Si tel n’était pas le cas elle ne pourrait faire valoir un droit acquis en vertu de ce Règlement au titre de la période d’activité salariée au Royaume-Uni.

En l’espèce, le motif du refus est que, après être retournée en Bulgarie, l’intéressée a sollicité le bénéfice des allocations de chômage sans avoir exercé d’activité professionnelle ou accompli des périodes d’assurance dans cet État.

Le juge bulgare ayant par ailleurs invoqué les articles 61 à 65 du Règlement de coordination, la cour rappelle qu’en vertu de l’article 61, paragraphe 1, l’institution compétente d’un État membre dont la législation subordonne l’octroi de prestations de chômage à des périodes d’assurance tient compte, dans la mesure nécessaire, de celles accomplies sous la législation de tout autre État membre comme si elles avaient été accomplies sous la législation de l’État en cause.

Cependant excepté certaines situations (reprises à l’article 65, paragraphe 5, sous a) du règlement), l’intéressé doit avoir accompli en dernier lieu - conformément à la législation au titre de laquelle il sollicite le bénéfice des prestations en cause - des périodes d’assurance si cette exigence est posée par la loi nationale.

En l’espèce tel est le cas puisque la législation bulgare subordonne l’octroi de prestations de chômage à l’accomplissement de périodes d’assurance. Or l’intéressée n’en a accompli aucune à son retour et ne peut dès lors prétendre à des prestations de chômage au titre du Règlement n° 883/2004 par la totalisation des périodes d’assurance accomplies dans un autre État (sauf les exceptions visées ci-dessus).

L’article 65, § 2, dispose par ailleurs qu’une personne en chômage complet qui au cours de la dernière année d’activité (salariée ou non salariée) résidait dans un État membre autre que l’État membre compétent et qui continue à y résider ou y retourne doit se mettre à la disposition des services de l’emploi de l’État de résidence. Elle peut alors bénéficier des prestations de chômage selon les dispositions nationales comme si elle avait été soumise à cette législation au cours de sa dernière activité, les prestations étant servies par l’institution du lieu de résidence.

En l’espèce l’intéressée résidait sur le territoire du Royaume-Uni et celui-ci était dès lors l’État compétent pendant la période correspondante. Après la cessation de l’activité salariée, elle est retournée en Bulgarie en vue de solliciter l’octroi des prestations de chômage. Or, en vertu de l’article 65, paragraphe 2, du Règlement n° 883/2004, celui-ci ne s’applique pas à une situation dans laquelle une personne sollicite le bénéfice de prestations de chômage auprès de l’autorité compétente d’un État dans lequel elle n’a pas accompli de périodes d’assurance, d’emploi ou d’activité non salariée et sur le territoire duquel elle retourne au terme d’une période d’assurance, d’emploi ou d’activité non salariée accomplie dans un autre État dans lequel elle résidait.

Vu le rappel de cette règle, la Cour considère qu’il n’y a pas lieu de répondre aux questions posées par le juge de renvoi, confirmant dans son dispositif que l’article 65, paragraphe 2, du Règlement n° 883/2004 ne s’applique pas à la situation en cause.

Intérêt de la décision

La Cour de justice rappelle dans cette décision une règle importante permettant l’assimilation des périodes d’assurance accomplies sous la législation d’un autre État membre.

L’article 61 du Règlement n° 883/2004 prévoit notamment que l’institution compétente d’un État membre dont la législation subordonne l’acquisition du droit aux prestations de chômage à l’accomplissement de périodes d’assurance tient compte, dans la mesure nécessaire, des périodes d’assurance accomplies sous la législation de tout autre État membre comme si elles avaient été accomplies sous la législation qu’elle applique.

Cependant, il y a lieu (sauf exceptions prévues par le § 2) de remplir une condition, étant que l’intéressé doit avoir accompli en dernier lieu, conformément à la législation au titre de laquelle les prestations sont demandées, des périodes d’assurance, si cette législation exige celles-ci.

Telle est l’interprétation de l’article 65 § 2 du Règlement n° 883/2004 (tel que modifié par le règlement numéro 465/2012 du 22 mai 2012) donnée par la Cour : la disposition ne s’applique pas à une situation dans laquelle une personne sollicite le bénéfice de prestations de chômage auprès de l’autorité compétente d’un État membre dès lors qu’elle n’a pas accompli de périodes d’assurance

L’intéressé en l’espèce n’a pas satisfait à cette condition et ne peut dès lors bénéficier des dispositions des règlements de coordination.


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