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La perception de jetons de présence peut être révélatrice de l’exercice d’une activité professionnelle indépendante

Commentaire de C. trav. Liège (div. Namur), 16 mai 2023, R.G. 2021/AN/153

Mis en ligne le mardi 6 février 2024


C. trav. Liège (div. Namur), 16 mai 2023, R.G. 2021/AN/153

Dans un arrêt du 16 mai 2023, la cour du travail de Liège (div. Namur) reprend la règle en la matière : dès lors que l’administration fiscale a qualifié des revenus comme profits, cette qualification s’impose aux juridictions du travail.

Les faits

Une pharmacienne, prestant en hôpital avec le statut d’employée – et donc assujettie à la sécurité sociale des travailleurs salariés – a perçu en 2013 en sus de ses rémunérations des revenus de l’ordre de 1600 €, éléments portés à la connaissance de l’INASTI en mars 2015 par l’administration des contributions directes.

L’Institut a demandé des explications à l’intéressée, explications qu’elle a données, exposant être représentante élue au sein d’une association professionnelle, les montants en cause constituant des jetons de présence. Elle précisait qu’il s’agissait d’une activité irrégulière.

L’INASTI a investigué davantage, aux fins de savoir s’il pouvait être fait appel à l’article 5bis de l’arrêté royal n° 38 du 27 juillet 1967. Il a également demandé à avoir une preuve officielle de la nomination et/ou de la désignation de l’intéressée, indiquant l’organisme public représenté par celle-ci au sein de l’association.

Pour l’INASTI, les jetons de présence ayant été taxés comme uprofits, ils devaient être qualifiés de revenus professionnels. En conséquence de la position de l’administration des contributions, l’existence d’une activité professionnelle était démontrée, entraînant l’application de la présomption fiscale.

L’INASTI précisait encore que, pour ce qui est de la présomption fiscale elle-même, l’absence d’un but de lucre devait être établi dans le chef de l’indépendant et n’était pas déterminée par la nature juridique de l’association où il exerce son mandat. La procédure d’assujettissement était maintenue.

De nouveaux courriers furent échangés mais sans succès.

Un recours fut introduit par l’intéressée devant le tribunal du travail de Liège, division Dinant. Elle demandait que le tribunal dise pour droit qu’elle ne devait pas être assujettie au statut social et qu’elle n’avait aucune obligation de s’affilier à une caisse d’assurances sociales, fût-ce à titre accessoire.

Le jugement du tribunal

Par jugement du 4 octobre 2021, le tribunal a fait droit à la demande originaire et a débouté l’INASTI de sa demande reconventionnelle tendant au paiement des cotisations.

Position des parties devant la cour

Position de l’INASTI

Celui-ci fait grief au premier juge d’avoir considéré que le but de lucre n’est pas démontré, ce qui pour lui contrevient à l’article 3, § 1er, al. 1er et 2, de l’arrêté royal n° 38. Par ailleurs le caractère minime des revenus n’intervient pas, la présomption devant être appliquée dès lors qu’il est prouvé qu’il y a eu activité professionnelle indépendante. Pour l’INASTI, les critères sociologiques sont également rencontrés, s’agissant d’une participation régulière et répétée à diverses réunions de travail, toutes rémunérées. Le caractère habituel de l’activité est ainsi établi, de même que le but de lucre. L’INASTI conclut qu’il n’est pas contesté que cette activité n’entre pas dans le champ d’application de l’article 5bis de l’arrêté royal n° 38 (l’intéressée n’exerçant pas son mandat en tant que représentante d’une organisation syndicale représentative de travailleurs, d’employeurs ou de travailleurs indépendants).

Pour l’intimée, par contre, la définition sociologique du travail indépendant suppose à la fois que l’activité soit exercée dans un but de lucre et qu’elle présente un caractère habituel, la qualification fiscale n’ayant dans ce cadre qu’une incidence limitée. Elle rappelle que la présomption fiscale peut être renversée par la preuve de l’absence de réunion des deux éléments constitutifs de la définition sociologique. Elle renvoie au caractère occasionnel de l’activité et à l’absence de but de lucre, les jetons de présence étant un simple défraiement.

La décision de la cour

La cour reprend en premier lieu, sur le plan des principes, la définition du travailleur indépendant, rappelant avec la doctrine de Charles Éric CLESSE (C.–E. CLESSE, , L’assujettissement à la sécurité sociale des travailleurs salariés et indépendants – aux frontières de la fausse indépendance,3e éd., 2015, Waterloo, Kluwer, p. 295) que cinq éléments doivent être réunis, étant l’exercice d’une activité professionnelle, qui présente un caractère habituel, qui est exercée en personne physique, en Belgique, et ce en dehors de tout lien de subordination ou de statut.

En ce qui concerne l’absence de but de lucre de l’association en elle-même, cet élément n’exclut pas un tel but dans le chef du travailleur et la cour rappelle ici une question parlementaire (Q. R., Ch. Repr., Sess. ord. 1999–2000, Question n° 4 du 17 novembre 1999, p. 1109), à propos des ASBL, la réponse du ministre étant que, si en règle l’ASBL ne se livre pas à une exploitation ou à des opérations de caractère lucratif, l’assujettissement de l’administrateur doit être apprécié à la lumière de l’article 3, § 1er, de l’arrêté royal n° 38. Celui-ci renvoie à la doctrine et la jurisprudence, selon lesquelles une activité ne peut être qualifiée de professionnelle que si elle est exercée avec une certaine régularité et dans un but lucratif, le but étant à rechercher dans l’intention ou la visée de la personne qui exerce l’activité, le caractère lucratif effectif de celle-ci n’étant pas un élément pris en compte. La réponse conclut que la perception de jetons de présence peut entrer en ligne de compte dans l’appréciation.

La cour renvoie également à un arrêt de la cour du travail de Mons (C. trav. Mons, 13 mars 2015, R.G. 2012/AM/313), qui a précisé la notion d’activité professionnelle, étant qu’elle doit présenter un caractère habituel, ce qui implique l’existence d’un ensemble d’opérations liées entre elles, répétées et accompagnées de démarches en vue de cette répétition (renvoi à d’autres décisions de fond étant également fait).

En l’espèce, la cour conclut rapidement que la présomption fiscale trouve pleinement à s’appliquer, vu la perception de jetons de présence déclarés en tant que profits.

Elle pose ensuite la question de savoir si la réalité sociologique est en sens contraire.
Pour ce qui est du caractère habituel de l’activité, elle note que l’intéressée fait partie du comité directeur de l’association en cause, dont elle a été désignée successivement secrétaire et présidente, activités impliquant une dizaine de réunions par an, ce qui lui leur confère un caractère habituel (ces réunions supposant en outre un temps de préparation, ainsi que de rédaction après les réunions).

Enfin, sur le but de lucre, la cour confirme la règle selon laquelle l’on peut exercer un mandat dans un but de lucre pour une association qui ne poursuit quant à elle pas un tel but, constatant par ailleurs que dans ses conclusions l’intimée ne conteste plus la chose.

La cour rejette que les jetons de présence puissent représenter un réel remboursement de frais, relevant notamment qu’aucune évaluation concrète n’est produite permettant de considérer que tel était bien le but de l’octroi des jetons en cause. Elle renvoie par analogie à la matière des contrats de travail où pour être considérés comme des remboursements de frais, ceux-ci doivent correspondre à des frais dont la charge incombe réellement à l’employeur.

La cour insiste sur la circonstance qu’aucun élément n’est produit permettant de vérifier à quoi pouvaient correspondre les montants alloués. Elle en confirme au contraire le caractère rémunératoire, vu que d’autres remboursements couvrant notamment les déplacements ont été effectués pendant la période de litigieuse.

En conséquence, la cour conclut que les cinq critères énumérés en début d’arrêt sont rencontrés et que l’activité exercée est visée à l’article 3, § 1er, al. 1er , de l’arrêté royal n° 38.

Intérêt de la décision

Dans cet arrêt, la cour du travail de Liège confirme la règle selon laquelle c’est à l’administration fiscale et non à l’INASTI ou aux caisses d’assurances sociales de déterminer s’il y a des revenus professionnels découlant d’une activité professionnelle quelle qu’elle soit.

Dans un arrêt du 13 octobre 2015 (C. trav. Liège (div. Liège), 13 octobre 2015, R.G. 2014/AL/656 et 2015/AL/89), la même cour avait rappelé à cet égard que les juridictions sociales ne peuvent revenir sur la qualification donnée par le fisc à ces revenus. Dès lors qu’il a été admis par celui-ci qu’une activité n’est pas une activité professionnelle susceptible d’engendrer des revenus professionnels, il n’y a pas lieu de modifier celle-ci. Il s’agissait en l’espèce d’une activité de formateur.

Une particularité de l’espèce tranchée par la cour du travail dans l’arrêt commenté est que les jetons de présence perçus visaient une activité dans le cadre d’une association ne poursuivant pas un but de lucre, s’agissant en l’espèce d’une association professionnelle. La cour y a rappelé la règle selon laquelle ce n’est pas le but poursuivi par l’association au sein de laquelle l’activité est exercée qui doit être retenu mais le but de la personne physique elle-même – et ce indépendamment du caractère effectivement lucratif de l’activité exercée.


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