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L’accident du travail survenu à un policier en-dehors de sa zone de police et de ses heures de service peut-il être qualifié d’accident du travail ?

Commentaire de Cass., 2 octobre 2023, S. 23.0010. N

Mis en ligne le mercredi 31 janvier 2024


Cass., 2 octobre 2023, S. 23.0010. N

Par arrêt du 2 octobre 2023, la Cour de cassation rejette un pourvoi contre un arrêt de la Cour du travail d’Anvers du 3 octobre 2022, ayant admis, en application de la loi du 7 décembre 1998 relative à l’organisation d’un service de police intégré, structuré à deux niveaux et de celle du 5 août 1992 sur la fonction de police, que l’autorité de la zone de police employeur existe de manière virtuelle. Il y a dès lors exécution de la relation de travail.

La Cour de cassation est saisie d’un pourvoi contre un arrêt du 3 octobre 2022 de la Cour du travail d’Anvers (division Hasselt) (2021/AH/165).

Rappel des rétroactes

L’affaire concerne un agent de police statutaire, inspecteur en chef du service d’intervention de la Zone de police Dilsen-Stokkem, Maaseik.

Celui-ci a été victime d’un accident en date du 13 octobre 2019, ayant fait une chute en avant de la balustrade d’un escalier extérieur d’une maison.

L’accident fut refusé, au motif qu’il serait survenu en dehors du temps de travail de l’intéressé pendant une opération d’une autre zone de police, concernant un de ses neveux et qu’il serait intervenu de sa propre initiative.

Une procédure fut introduite devant le Tribunal du travail d’Anvers (division Tongres) le 23 septembre 2020, l’intéressé demandant que l’accident soit reconnu comme accident du travail.

Par jugement du 14 juin 2021, le tribunal du travail fit droit à sa demande et, avant-dire droit, désigna un expert.

La Zone de police interjeta appel de ce jugement.

L’arrêt de la cour du travail d’Anvers

Par arrêt du 3 octobre 2022, la Cour du travail d’Anvers (division Hasselt) jugea l’appel recevable mais non fondé. Elle fit par ailleurs droit à une demande incidente introduite par l’agent, relative à la désignation d’un autre expert. L’affaire fut renvoyé vers le tribunal.

La cour du travail considéra que l’événement soudain identifié par la victime était le fait qu’en date du 13 octobre 2019 aux environs de 17h15 elle était tombée de la balustrade d’un escalier extérieur d’une habitation. La cour constata qu’il n’y avait pas de discussion des parties sur ce fait. Elle estima que le policier identifiait des éléments dans le temps et dans l’espace susceptibles d’avoir pu causer la lésion. La preuve des faits eux-mêmes était par ailleurs établie par le dossier répressif.

Sur la condition d’exécution des fonctions, la cour du travail retint que la discussion entre les parties était de savoir si l’accident était survenu pendant et par le fait de l’exécution de la fonction. Pour la cour, il y a exécution du contrat de travail lorsque le travailleur est à ce moment sous l’autorité de l’employeur. Le rapport d’autorité dure aussi longtemps que le travailleur est limité dans ses activités et sa liberté personnelles du fait de l’exécution du contrat. L’exécution du contrat de travail ne coïncide pas nécessairement avec l’exécution du travail convenu, s’agissant d’une notion beaucoup plus large. La cour du travail renvoya ici à l’Avocat général LENAERTS. Elle souligna en outre que l’accident ne doit pas nécessairement être dû à l’exécution du travail et qu’il peut intervenir en un lieu et à un moment autres que ceux où le contrat est exécuté. L’exercice de l’autorité ne doit pas être effectif et la cour rappela encore que l’exécution du contrat de travail commence dès que l’employeur exerce son autorité sur le travailleur et pendant tout le temps où il peut le faire. Ces principes, dégagés dans le secteur privé, s’appliquent dans le secteur public.

La cour entreprit dès lors de rechercher si au moment de l’accident l’intéressé était limité dans sa liberté personnelle, à savoir si sa participation à une intervention de police le dimanche 13 octobre 2019 réunissait les conditions légales, nonobstant le fait qu’à ce moment il n’était pas en service.

La première constatation qu’elle fit est que l’intéressé fut mis au courant des faits qui allaient donner lieu à l’intervention de services coordonnés de police pendant ses heures de service.

La cour reprit ensuite la chronologie des faits.

Un SMS l’informa ensuite du fait que son neveu était impliqué dans le vol de la voiture de son père (s’agissant du père de l’inspecteur) et dans des dégradations dans la maison de celui-ci. En conséquence, il prévint - toujours pendant son temps de travail - le service de garde de la Zone de police Carma, ce qui fut confirmé par celle-ci.

Il fut ensuite averti aux environs de 17 heures que le neveu avait l’intention d’attaquer son père avec un couteau et de le tuer, ce dont il informa encore la Zone de police Carma. Il se rendit sur les lieux tout en restant en contact avec la garde de la Zone de police et suivit les instructions de celle-ci, qui lui demanda de rester sur place, se préparant à intervenir. Voyant arriver la police, le neveu paniqua et s’engagea pour s’enfuir sur un escalier extérieur de la maison, l’inspecteur à ses trousses. C’est alors que ce dernier chuta de l’escalier extérieur.

Tous ces faits furent confirmés dans le dossier.

Pour la cour du travail, nonobstant le fait que l’intéressé n’avait pas agi pendant l’opération coordonnée des forces de police sur les instructions de son propre employeur ou responsable et qu’il n’était pas obligé de prendre part à ces faits - dans la mesure où ils se déroulaient en dehors de ses heures de travail et en dehors de sa propre zone de police - sa liberté personnelle était néanmoins limitée.

La cour souligna encore la menace que constituait le délinquant, vu la présence de deux mineurs dans les lieux occupés, son addiction – bien connue - à la drogue ainsi que le fait que le policier devait se conformer aux indications de la garde. Vu le caractère grave et urgent des faits, la Zone de police Carma comptait effectivement sur l’intervention du policier pour mener à bien l’opération, celui-ci étant vu ses fonctions bien placé pour mesurer les dangers de la situation.

La cour retint dès lors l’autorité virtuelle de l’employeur à ce moment et elle écarta en conséquence l’argumentation de la zone de police. Elle conclut que l’accident était survenu du fait de l’exercice de la fonction, renvoyant à l’arrêt de la Cour de cassation du 25 octobre 2010 (S.09.0081.F), qui avait admis qu’était un accident du travail le meurtre d’une vendeuse par son conjoint pour des raisons purement personnelles de nature familiale, cette agression ayant été rendue possible par les modalités d’exécution du contrat de travail (et par le milieu naturel dans lequel ce contrat s’exécutait).

Le pourvoi

Le pourvoi contient un seul moyen.

Celui-ci est fondé sur l’article 149 de la Constitution, les articles 1er, 1er alinéa, 10°, et 11°, ainsi que 2, de la loi du 3 juillet 1967 et diverses dispositions de la loi du 5 août 1992 sur la fonction de police et de celle du 7 décembre 1998 organisant un service de police intégré, structuré à deux niveaux.

Le premier rameau du moyen fait valoir une prétendue contrariété de motifs, la cour ayant constaté d’une part que l’intéressé n’était plus en service et qu’il n’était pas obligé de prendre part à l’opération de police et d’autre part que persistait au moment de l’accident une autorité virtuelle de son employeur.

Dans un deuxième rameau, il considère qu’il n’y avait pas de limitation de la liberté personnelle du travailleur par son employeur, celui-ci ne lui ayant pas donné des instructions en vue de son intervention. C’est de sa propre initiative que ce dernier avait pris contact avec la Zone de police Carma et avait pris part à l’opération de police. C’est le service de garde de la Zone de police Carma qui lui avait demandé d’intervenir et non sa propre zone de police. Celle-ci n’était même pas informée (et ne pouvait pas l’être) de sa participation à l’opération, de telle sorte qu’elle n’avait même pas la possibilité d’exercer sur lui son autorité au moment de l’accident. Il conclut à l’absence d’autorité, même virtuelle, de l’employeur pendant l’opération de police.

Le pourvoi ajoute, critiquant la conclusion de la cour selon laquelle le défendeur était intervenu en tant qu’inspecteur de police et pas seulement en sa qualité d’oncle ou de personne de confiance, que, s’il fallait considérer que l’accident est intervenu du fait de l’exécution de la fonction, il ne peut l’être pendant le cours de celle-ci. Il y a violation de l’article 2, 2e alinéa de la loi du 3 juillet 1967.

Le pourvoi développe encore un troisième rameau, fondé sur la législation en matière de police (loi du 5 août 1992 et loi du 7 décembre 1998), qui n’est pas davantage développé ici, dans la mesure où la Cour ne répondra qu’au deuxième rameau.

La décision de la Cour de cassation

La cour reprend l’article 2, alinéas 1er, et 2, de la loi du 3 juillet 1967 et rappelle que dans le secteur public, l’accident du travail est survenu pendant l’exécution de sa fonction lorsqu’au moment de celui-ci l’agent se trouve sous l’autorité de son employeur. Ce rapport d’autorité existe en règle aussi longtemps que l’agent est limité dans sa liberté et dans son activité personnelle du fait de l’exécution de la fonction. Cette autorité ne doit pas être effective mais seulement possible.

La Cour reprend la loi du 7 décembre 1998 relative à l’organisation d’un service de police intégré, structuré à deux niveaux (dont l’article 123, alinéa 1er, dispose que les fonctionnaires de police contribuent en tout temps et en toutes circonstances à la protection des citoyens et à l’assistance que ces derniers sont en droit d’attendre ainsi que, lorsque les circonstances l’exigent, au respect de la loi et au maintien de l’ordre public) ainsi que celle du 5 août 1992 sur la fonction de police (qui donne en ses articles 15 et 15bis une compétence générale aux officiers de police pour rechercher les crimes et délits, d’arrêter leurs auteurs et de recueillir tous renseignements à cette occasion et dont l’article 45 donne compétence aux membres du cadre opérationnel de la police fédérale et de la police locale pour exercer leurs missions sur l’ensemble du territoire national).

Pour la Cour, il résulte de ces dispositions que la qualité d’officier de police du cadre opérationnel de la police locale et les fonctions qui y sont associées ne sont limitées ni aux horaires de service ni à la zone géographique de la zone de police.

Un policier qui exerce des fonctions de police en dehors de ses heures de service et de sa zone reste soumis à l’autorité de son chef de corps ainsi qu’au contrôle disciplinaire et à l’autorité disciplinaire de sa zone de police locale.

La Cour de cassation reprend les constatations faites dans l’arrêt de la cour du travail, selon lesquelles, une fois informé de la situation, l’intéressé a informé la garde de la zone de police locale compétente. Ayant été avisé après la fin du service de menaces pesant sur son père, il a repris contact avec la même zone de police et s’est rendu sur place en concertation avec celle-ci ; arrivé le premier sur les lieux, il a entrepris d’approcher l’individu et est tombé alors qu’il le poursuivait.

La Cour rappelle encore les constats de la cour du travail en ce qui concerne la gravité et l’urgence des faits, qui ont amené la Zone de police Carma à compter sur l’intervention de l’intéressé ainsi que l’obligation pour celui-ci de se conformer aux instructions du responsable de la garde.

Sur la base de l’ensemble des constatations faites par la cour du travail, la Cour de cassation conclut que celle-ci a pu constater que la liberté personnelle de l’intéressé avait été limitée lors de l’intervention de police en cause et que l’accident s’était produit à un moment où il se trouvait sous l’autorité virtuelle de son employeur, survenant ainsi dans le cours de l’exécution de la fonction.

Intérêt de la décision

La notion d’exécution du contrat (ou de la relation de travail) dans le cadre de la législation sur les accidents du travail est une notion spécifique à plusieurs égards.

Tout d’abord, l’exécution du contrat est plus large que l’exécution du travail lui-même, étant couvertes les diverses hypothèses où le travailleur accomplit une démarche ou une formalité liée à l’existence du contrat.

Par ailleurs, la notion renvoie à celle d’autorité de l’employeur et celle-ci existe dès lors que peut être constatée une limitation à la liberté personnelle ou aux activités personnelles du travailleur. Exécution est dès lors synonyme de limitation de la liberté ou des activités personnelles de celui-ci.

Pour ce qui est de la situation particulière des agents de police, ceux-ci étant par ailleurs soumis à la loi du 7 décembre 1998 organisant un service de police intégré, structuré à deux niveaux, la condition d’exécution s’étend encore vu qu’en vertu de celle-ci les fonctionnaires de police contribuent en tout temps et en toutes circonstances à la protection des citoyens et à l’assistance que ces derniers sont en droit d’attendre ainsi que, lorsque les circonstances l’exigent, au respect de la loi et au maintien de l’ordre public, ceci impliquant une extension à la fois du critère temporel de l’exécution (heures de service) et du critère spatial (zone).

La Cour de cassation a dans l’arrêt commenté entériné l’appréciation de la cour du travail, précisant expressément que l’officier de police qui fait une intervention en dehors de ses heures de travail et hors de sa zone de police reste, pour ce qui est des actes posés dans le cours de celle-ci soumis à l’autorité de son chef de corps ainsi qu’à son contrôle disciplinaire et à l’autorité disciplinaire de sa zone de police locale. L’autorité de l’employeur n’est pas effective mais existe dès lors qu’elle est virtuelle.


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