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Notion de réduction de capacité en assurance maladie-invalidité

Commentaire de C. trav. Liège (div. Namur), 6 juillet 2023, R.G. 2022/AN/105

Mis en ligne le mardi 30 janvier 2024


C. trav. Liège (div. Namur), 6 juillet 2023, R.G. 2022/AN/105

Dans un arrêt du 6 juillet 2023, la cour du travail de Liège (division Namur) reprend, avec la doctrine, une règle importante figurant aux paragraphes 1er et 2 de l’article 100 de la loi coordonnée le 14 juillet 1994 : ceux-ci ne se réfèrent pas à la même notion de (réduction de) capacité.

Les faits

Un ouvrier né en 1967 a alterné les périodes de travail et de chômage ainsi que d’incapacité de travail.

Il a été au chômage pendant 5 ans, de 2007 à 2012. Ultérieurement, il a été reconnu en incapacité de travail fin décembre 2020 et a été autorisé par son organisme assureur AMI à reprendre une activité professionnelle à 50% à partir de mars 2021.

Une décision de fin d’incapacité lui a été notifiée le 3 décembre 2021 en application de l’article 100 de la loi coordonnée le 14 juillet 1994. L’organisme assureur considère qu’il ne présente plus à ce moment une réduction des 2/3 de sa capacité de travail, non plus qu’une réduction de celle-ci d’au moins 50% sur le plan médical. La suppression des allocations lui est annoncée à partir du 14 décembre.

Un recours est formé devant le tribunal du travail de Liège, division Namur.

La procédure

Le jugement rendu par le tribunal du travail le 28 juin 2022 déboute l’intéressé de son recours, confirmant ainsi la décision administrative.

Le tribunal fonde son jugement sur la circonstance que l’application de l’article 100, § 2, de la loi coordonnée requiert 3 conditions : (i) une perte de capacité de gain de plus de 66% sur pied de l’article 100, § 1er, (ii) une perte de capacité médicale d’au moins 50% sur pied de l’article 100, § 2, et (iii) une autorisation du médecin conseil.

Le seul document déposé par l’intéressé porte sur l’impossibilité pour lui de reprendre le travail au-delà de 50% mais aucune attestation médicale n’est déposée confirmant qu’il justifierait encore d’une incapacité de travail d’au moins 66%.

Celui-ci interjette appel.

Position des parties devant la cour

L’appelant demande la condamnation de l’organisme assureur au paiement des indemnités légales et, à titre subsidiaire, avant dire droit, il sollicite la désignation d’un expert. Il dépose divers documents médicaux dont une attestation médicale postérieure au jugement.

Quant à l’organisme assureur, il demande à la cour de conclure au non-fondement de l’appel et de confirmer le jugement dans toutes ses dispositions. Il considère que les pièces déposées sont insuffisantes pour justifier la désignation d’un médecin expert. Il plaide, en ce qui concerne les dispositions légales, qu’en vertu de l’article 100, § 1er, de la loi, l’incapacité ne peut être reconnue si au moment de l’interruption de l’activité l’état de santé ne s’est pas aggravé par rapport à celui que le travailleur présentait au moment où il a commencé à travailler. Sur l’article 100, § 2, il rappelle que celui-ci exige que 3 conditions cumulatives soient remplies (étant celles ci-dessus) et considère également que le document médical produit par l’intéressé concluant à son impossibilité de reprendre une activité professionnelle au-delà de 50% ne permet pas de contester valablement la décision du médecin-conseil, celui-ci ayant considéré qu’il ne présente plus une réduction de capacité de gain supérieure à 66 % au sens de l’article 100, § 1er, et qu’il ne présente plus non plus une réduction de sa capacité d’au moins 50% sur le plan médical au sens de l’article 100, § 2.

La décision de la cour

La cour procède à un minutieux rappel des principes en matière de reconnaissance d’incapacité de travail, dans lequel elle renvoie à la doctrine et la jurisprudence.

En vertu de l’article 100, § 1er, de la loi coordonnée, l’assuré social doit, pour bénéficier des indemnités, satisfaire à 3 conditions, étant (i) d’avoir cessé toute activité, (ii) que cette cessation doit être la conséquence directe du début ou de l’aggravation de lésions ou troubles fonctionnels, et (iii) que ceux-ci doivent entraîner une réduction de 2/3 au moins de la capacité de travail. Le § 2, de la même disposition prévoit quant à lui que la reconnaissance de l’incapacité de travail peut être maintenue en cas de reprise du travail si le travailleur conserve sur le plan médical une réduction de sa capacité d’au moins 50%.

La Cour en vient ainsi à l’articulation entre ces deux paragraphes, soulignant d’abord que l’incapacité de travail visée au paragraphe 2 suppose la reconnaissance préalable de celle admise sur pied du § 1er. Elle renvoie ici à diverses décisions de jurisprudence, dont l’arrêt de la cour constitutionnelle du 28 février 2013 (C. const., 28 février 2013, n°19/2013). Elle souligne cependant des difficultés. Les travaux préparatoires de la loi du 9 août 1963 n’apportent en effet pas de réponse à deux questions : la première est de savoir si les deux paragraphes visent le même type de réduction de capacité et la seconde s’ils posent (ou non) des conditions cumulatives.

La Cour va dès lors donner sa réponse à ces deux questions, se référant à la doctrine de J.-Cl. GERMAIN, de Ph. GOSSERIES et de P. LEROY. Cette conclusion est que les paragraphes 1er, et 2, de l’article 100 ne se réfèrent pas à la même notion de (réduction de) capacité.

Il y a d’abord pour la cour un argument de texte, le paragraphe 1er, visant la réduction de la « capacité de gain par rapport à ce qu’une personne de même condition et de même formation peut gagner par son travail… », alors que le paragraphe 2 vise la réduction de la « capacité » « sur le plan médical ». Pour la cour, si le législateur avait entendu viser une seule et même notion, il aurait pu l’exprimer en des termes plus simples. Il se réfère au contraire dans le 2e paragraphe à une réduction de capacité qui n’est pas une capacité « de gain », tout en précisant qu’elle est envisagée « sur le plan médical ».

Viennent ainsi en appui de la conclusion de la cour la position de J.-Cl. GERMAIN, « Sous-section 2, le maintien de l’incapacité de travail en cas de reprise de travail ». Actualités du droit, actualités de la sécurité sociale, Revue de la faculté de droit de Liège, 1993 - 1994, page 700, celle de Ph. GOSSERIES, « L’incapacité de travail des salariés et des indépendants en assurance - indemnités obligatoire- Notion – Critères – Evaluation », J.T.T, 1997, page 88 et celle de P. LEROY « Note sous C. trav. Mons, 25 novembre 1977, J.T.T., 1978, page 240. L’un de ces auteurs renvoie également à l’arrêt de la cour de cassation du 18 mai 2015, selon lequel le § 2 déroge à la condition de capacité de gain fixée par le § 1er au profit du travailleur devenu incapable de travailler comme prévu à celui-ci ou qui reprend ultérieurement un travail conformément au § 2 (Cass., 18 mai 2015, n° S.13.0012.F).

La Cour répond ensuite à la deuxième question, étant de savoir si les conditions de réduction de capacité visées au paragraphe premier et au paragraphe 2 sont cumulatives et répond à celle-ci par la négative.

Elle s’appuie ici également sur la même doctrine, ainsi que sur plusieurs décisions de la cour du travail de Mons, dont une du 27 janvier 2021 (C. trav. Mons, 27 janvier 2021, R.G. 2019/AM/460) selon laquelle l’incapacité de travail de l’article 100, § 2 ne nécessite plus, lorsqu’est constatée une réduction de capacité de 50%, au moins sur le plan médical qu’il y ait encore dans le chef de l’assuré réduction de capacité à un tiers ou moins selon l’article 100, § 1er.

L’on peut dès lors considérer que l’article 100, § 2, ne présume pas une incapacité de travail au sens de l’article 100, § 1er, mais formule une autre hypothèse de l’incapacité. Il est dès lors nécessaire - mais suffisant - que le travailleur qui, préalablement a été reconnu incapable de travailler et qui reprend un travail autorisé, justifie une réduction de sa capacité d’au moins 50%.

La cour passe dès lors à l’application de ces principes au cas d’espèce.

L’intéressé s’est vu diagnostiquer une leucémie et a été repris en charge par son organisme assureur le 28 juillet 2022. Elle limite dès lors la période de son examen du 14 décembre 2021 au 27 juillet 2022.

Celui-ci produisant une attestation de son médecin constatant que son patient présente une impossibilité à reprendre une activité professionnelle au-delà de 50% au vu de la pathologie présentée pour la période du 14 décembre 2021 au 6 mars 2022 et que, au-delà de cette date, il doit être reconnu à plus de 66% au vu de l’impossibilité de prester un temps partiel en raison de douleurs lombaires s’intensifiant et également des symptômes liés à la maladie grave dont il souffre, la cour retient que ces documents médicaux contredisent la décision du médecin-conseil.

Elle conclut dès lors à l’existence d’un litige sur le plan médical et désigne un expert, qui devra examiner plus particulièrement la question des périodes ainsi que celles-ci ont été ventilées dans l’attestation médicale déposée.

Intérêt de la décision

Des règles importantes sont rappelées dans la décision commentée, celle-ci renvoyant pour la bonne compréhension de la disposition en cause à la doctrine la plus autorisée.

Ainsi dans son commentaire, dont référence dans l’arrêt, J.-Cl. GERMAIN a souligné que le choix du taux de 50% n’a jamais été explicitement justifié et que si les positions ne sont pas unanimes quant à l’interprétation de cette règle, il est recommandé de faire une application souple de ce taux légal afin de ne pas entraver la mise en œuvre de l’intention finale du législateur, qui est de favoriser la reprise de l’occupation.

Ph. GOSSERIES a souligné pour sa part qu’il n’y a pas lieu de se référer dans l’examen de l’appréciation de la réduction d’au moins 50% de la capacité au BOBI. Celui-ci peut servir d’indication scientifique tout au plus.

Enfin, quant à P. LEROY (commentant les mêmes dispositions dans leur version antérieure), il précise que le critère médical concerne la relation entre l’individu et le travail tandis que le critère économique est lié à la relation entre le travail et le revenu professionnel. L’ancien article 56, § 2 de la loi du 21 décembre 1963 (disposition devenue article 100, § 2 de la loi coordonnée le 14 juillet 1994), porte sur une autre hypothèse d’incapacité, celle-ci concernant le travailleur reconnu et incapable au sens du § 1er et qui conserve sur le plan médical une réduction de sa capacité d’au moins 50%.

Se référant toujours à la même doctrine, la cour a également rappelé le caractère non cumulatif des conditions des §§ 1er et 2.

L’on constatera que, en l’espèce, l’intéressé présentait selon son médecin une réduction de capacité de plus de 50% au sens du § 2 pendant une certaine période et de plus de 66% au sens du § 1er pendant une autre et que la cour a attiré l’attention de l’expert sur cette question spécifique.


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