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Licenciement discriminatoire basé sur l’état de santé : petit rappel des obligations à charge de la partie qui prétend avoir été victime d’une discrimination.

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 13 juillet 2023, R.G. 2020/AB/337

Mis en ligne le mardi 30 janvier 2024


C. trav. Bruxelles, 13 juillet 2023, R.G. 2020/AB/337

Dans un arrêt du 13 juillet 2023, la Cour du travail de Bruxelles reprend les exigences rappelées par la Cour constitutionnelle quant à l’étendue de la preuve à charge du demandeur : celui-ci ne doit pas seulement prouver qu’il a fait l’objet d’un traitement qui lui est défavorable mais également prouver les faits qui semblent indiquer que ce traitement défavorable a été dicté par des motifs illicites.

Les faits

Un employé au service d’une société de logements sociaux, en service depuis 2002, dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée, tomba en incapacité travail le 22 février 2017, après avoir eu un malaise cardiaque, suivi d’un accident de la vie privée. Son incapacité fut prolongée jusque fin octobre.

Le 25 octobre, son employeur lui notifia la rupture du contrat de travail moyennant paiement d’une indemnité compensatoire.

L’intéressé ayant demandé à connaître les motifs du licenciement, ceux-ci lui furent donnés dans le délai légal.

Il introduisit une procédure devant le tribunal du travail francophone de Bruxelles. Il sollicitait dans celle-ci des dommages et intérêts (5.000 €) en raison de l’absence de mesures prises en matière de bien-être dans l’exécution du contrat de travail ainsi qu’une indemnité de six mois de rémunération au motif de licenciement discriminatoire, celui-ci étant fondé sur le handicap et l’état de santé

Le jugement du tribunal du travail

Par jugement du 13 février 2020, le tribunal condamna la société au paiement de 6 mois de rémunération, admettant, ainsi, l’existence d’une discrimination. La société fut également condamnée aux dépens.

Elle interjeta appel.

Position des parties devant la cour

La société appelante sollicite la réformation du jugement en ce qu’il l’a condamnée au paiement de six mois de rémunération.

Quant au travailleur, il forme appel incident, ayant été débouté de sa demande de dommages et intérêts. Sur le licenciement, il sollicite, à titre subsidiaire, une indemnité de 17 semaines de rémunération pour licenciement manifestement déraisonnable.

La décision de la cour

La demande de dommages et intérêts pour manquements en matière de bien-être au travail est examinée en premier lieu.

La cour reprend la définition des risques psychosociaux dans la loi du 4 août 1996, soulignant que l’employeur a la responsabilité de prendre les mesures de prévention contenues dans la loi elle-même ainsi que dans l’arrêté royal du 10 avril 2014 relatif à la prévention des risques psychosociaux au travail (intégré actuellement dans le Code du bien-être au travail).

Les mesures générales de prévention des risques psychosociaux élaborées au sein de la société ne sont pas contestées, le travailleur reprochant cependant à celle-ci de ne pas avoir pris des mesures en réaction à sa propre situation de surcharge de travail.

La cour constate qu’existent des éléments confirmant l’augmentation de la charge de travail mais « vu de l’extérieur » considère difficile de fixer concrètement la limite entre une charge de travail élevée et une surcharge constitutive d’un risque psychosocial comportant objectivement un danger. Pour ce, elle estime qu’il faut avoir recours à certains critères tels que des éventuelles demandes d’aide, des remarques du travailleur ou d’une collectivité de travailleurs, ou encore de délégations syndicales ou du CPPT. Or, dans le dossier ne figure qu’un seul courriel du travailleur, faisant état de « la situation actuelle » du service en cause. Pour la cour, sur cette base, l’on ne peut retenir un risque psychosocial, d’autant que d’une part l’intéressé fait état d’un nombre important d’heures supplémentaires qu’il ne prouve pas et d’autre part qu’il n’a effectué aucune démarche auprès du conseiller en prévention-médecin du travail. Ce chef de demande est dès lors rejeté.

La cour en vient à la demande d’indemnité pour licenciement discriminatoire, rappelant les principes en matière de discrimination et, parmi ceux-ci, la règle de preuve inscrite à l’article 28, § 1er, de la loi, qui doit être interprété en ce sens qu’il n’y aura renversement de la charge de la preuve qu’après que la victime aura prouvé des faits, suffisamment graves et pertinents, qui laissent présumer l’existence d’une discrimination. Celle-ci ne peut se borner à prouver qu’elle a fait l’objet d’un traitement qui lui est défavorable, mais doit démontrer que des actes ont été commis ou que des instructions ont été données qui pourraient, de prime abord, être discriminatoires, et ce en avançant des faits semblant indiquer que ce traitement défavorable a été dicté par des motifs illicites.

En l’espèce, l’intéressé allègue être porteur d’un handicap au genou gauche. Pour celui-ci, une première période d’incapacité est intervenue et une opération chirurgicale a été pratiquée. La période d’incapacité de travail s’est prolongée.

L’intéressé soutenant qu’il a informé son employeur de la possibilité d’une reprise à mi-temps (médical) au 1er novembre, la cour relève que les éléments à l’appui de ce fait sont insuffisants, s’agissant d’une part d’un certificat médical considéré tardif (daté du 1er juillet 2019 – soit deux ans après les faits) et d’autre part d’une attestation de l’épouse.

Ce qui peut, selon l’arrêt, concrètement être retenu au moment du licenciement est une incapacité de travail de plusieurs mois et une date de reprise prévue ; par contre, la question du mi-temps médical n’est pas établie, non plus qu’aucune demande d’une autre mesure d’aménagement du travail.
L’incapacité de travail ne présentait, pour la cour, pas le caractère de durabilité requis pour être qualifiée de handicap. En conséquence, il n’y a pas lieu d’examiner la question d’aménagements raisonnables – d’autant qu’il n’est pas établi qu’ils aient été demandés.

La discrimination intervenue sur le handicap étant écartée, reste à examiner l’hypothèse de celle-ci sur la base de l’état de santé.

Les motifs avancés par l’employeur sont qu’une réorganisation des services était devenue indispensable, notamment pour des motifs de sécurité, étant dans ce contexte essentiellement reproché à l’intimé un manque de compétences managériales. Les pièces du dossier de la société sont considérées probantes, faisant apparaître notamment que des améliorations avaient été demandées à l’employé en vue d’un meilleur fonctionnement du service dont il était responsable et que les objectifs n’avaient pas été atteints, celui-ci manquant en outre de vision pour le service et ayant commis des erreurs de gestion dans plusieurs dossiers importants.

Pour la cour, le seul lien avec l’état de santé est l’incapacité de travail. Or, pour les motifs dûment avérés ci-dessus, la preuve est apportée d’un fondement étranger à l’incapacité et donc à l’état de santé actuel ou futur. La seule coïncidence dans le temps entre l’incapacité de travail et le licenciement ne permet pas de constituer la présomption légale requise et – à supposer qu’elle le soit -, elle serait renversée par la preuve de motifs dûment avérés.

Sur le licenciement manifestement déraisonnable, la cour renvoie aux nécessités de fonctionnement de l’entreprise, dont elle rappelle qu’elles peuvent évoluer en cours d’exécution du contrat de travail et qu’il n’est pas abusif de mettre fin à celui-ci parce qu’il ne permet plus de rencontrer lesdites nécessités.

En conclusion, l’intéressé est débouté de toutes ses demandes et est condamné aux indemnités de procédure des deux instances, soit à un total de 5.400 €.

Intérêt de la décision

Plusieurs points d’intérêt sont abordés dans l’arrêt commenté. Nous retiendrons ici l’obligation de preuve à charge de la partie qui s’estime victime de discrimination. La cour a, sur cette question, renvoyé notamment à l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 12 février 2009 (n° 17/2009 – arrêt statuant sur un recours en annulation).

Celle-ci, qui renvoie à diverses reprises aux travaux préparatoires, enseigne qu’il n’y aura de renversement de la charge de la preuve qu’après que la victime aura prouvé les faits qui laissent présumer l’existence d’une discrimination. Ceci signifie qu’elle doit démontrer que le défendeur a commis des actes ou a donné des instructions qui pourraient, de prime abord, être discriminatoires.

Les faits qu’elle doit prouver doivent être suffisamment graves et pertinents et la Cour constitutionnelle a précisé ici qu’il ne suffit pas qu’une personne prouve qu’elle a fait l’objet d’un traitement qui lui est défavorable : elle doit également prouver les faits qui semblent indiquer que ce traitement défavorable a été dicté par des motifs illicites.

La Cour a donné des indications à cet égard, étant qu’elle peut démontrer que sa situation est comparable à celle d’une personne de référence, c’est-à-dire une personne qui n’est pas caractérisée par un des motifs protégés et qui est traitée différemment. Les faits ne peuvent en outre avoir un caractère général, mais doivent pouvoir être imputés spécifiquement à l’auteur de la distinction. Une certaine récurrence de traitement défavorable à l’égard de personnes caractérisées par un des motifs peut également faire naître une présomption de discrimination.

Par ailleurs, pour les faits qui peuvent faire présumer l’existence d’une discrimination indirecte, il ne suffit pas de démontrer sur la base de statistiques qu’un motif apparemment neutre lèse des personnes caractérisées par un motif protégé. Il faut démontrer en outre que le défendeur était conscient de cette situation. Les données statistiques doivent par ailleurs satisfaire à certaines exigences de qualité pour que le juge puisse en tenir compte.

Ce n’est donc que si les éléments avancés par la partie qui se prétend victime d’une discrimination sont vérifiés à suffisance de droit que la présomption légale pourra être actionnée.


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