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Allocations de chômage et exercice de mandats (activité bénévole, mandat d’administrateur d’une A.S.B.L. et gérant d’une société commerciale)

Commentaire de Trib. trav. fr. Bruxelles, 21 juin 2023, R.G. 22/2.411/A

Mis en ligne le vendredi 10 novembre 2023


Trib. trav. fr. Bruxelles, 21 juin 2023, R.G. 22/2.411/A

Dans un jugement du 21 juin 2023, le Tribunal du travail francophone de Bruxelles reprend les règles des articles 44, 45, 45bis et 48 de l’arrêté royal organique chômage relatifs aux conditions de cumul des allocations avec l’exercice d’activités concomitantes sous divers statuts (bénévole ou administrateur pour une A.S.B.L., activité accessoire pour une société commerciale).

Les faits

Un bénéficiaire d’allocations de chômage a été exclu à partir du 1er juillet 2020 au motif qu’il n’aurait pas déclaré une activité pour compte propre au sein d’une société, les allocations étant à récupérer et une sanction de treize semaines étant appliquée. Il s’agit d’une décision portant sur l’absence de déclaration d’une activité accessoire à titre d’indépendant comme administrateur.

Pour l’ONEm, l’activité a le caractère d’activité principale, vu les moyens utilisés (engagement de personnel salarié). Il s’agit d’une activité intégrée dans le courant des échanges économiques des biens et des services et qui n’est pas limitée à la gestion normale de biens propres.

L’ONEm a également pris une seconde décision, excluant l’intéressé pour une période ultérieure au motif d’absence de déclaration d’une activité bénévole, avec récupération des allocations et un avertissement au titre de sanction. Cette seconde décision porte sur le fait que l’intéressé bénéficiait d’allocations de chômage temporaire dans le cadre d’un travail salarié auprès d’une A.S.B.L. et qu’il était administrateur d’une autre A.S.B.L. et ne rapportait pas la preuve de son inactivité. Pour l’ONEm, l’activité est réputée exercée à titre bénévole et gratuit et n’a pas fait l’objet d’une déclaration. L’intéressé ne prouve pas davantage qu’elle ne lui avait pas procuré de rémunération ou d’avantages matériels. Il s’agit d’un travail au sens de l’article 45 de l’arrêté royal organique. L’ONEm vise à la fois l’exercice d’une activité pour compte de tiers ou l’exercice d’une activité pour compte propre.

Un recours a été introduit, demandant l’annulation des deux décisions, prises le même jour. L’intéressé sollicite subsidiairement la limitation de la récupération des allocations aux cent-cinquante dernières indemnités journalières.

La décision du tribunal

Le tribunal examine d’abord la question de l’interdiction de cumul des allocations avec une activité d’administrateur d’A.S.B.L., de l’activité exercée pour un tiers et de l’activité bénévole. Le cadre légal est repris, étant les articles 44 et 45 de l’arrêté royal pour ce qui est de l’activité en général et 45bis pour l’activité bénévole.

Après le rappel des textes de la réglementation chômage, le tribunal reprend les dispositions de la loi du 3 juillet 2005 relative aux droits des volontaires, rappelant la doctrine (M. DAVAGLE, « La loi relative aux droits des volontaires (I/II) », Ors., 2013/9, p. 12) pour ce qui est de l’administrateur ou du mandataire d’une A.S.B.L. : dans la mesure où il exerce gratuitement son mandat, il peut être considéré comme un volontaire au sens de la loi du 3 juillet 2005.

Ce mandat n’a pas été déclaré. Or, il aurait dû l’être, conformément à l’article 45bis de l’arrêté royal, pour pouvoir cumuler cette activité avec l’octroi d’allocations de chômage temporaire « Corona ». Pour le tribunal, cependant, il est établi que l’intéressé n’a ni exercé d’activité (comme cela avait été prévu) ni rempli une quelconque fonction d’administrateur (telle que trésorier, secrétaire ou président), n’ayant par ailleurs perçu aucune rémunération ni aucun avantage matériel.

Une explication de la situation peut, pour le tribunal, être trouvée dans la période perturbée de la crise sanitaire liée au COVID-19, qui a réduit à néant les projets d’activité de l’A.S.B.L. en cause. Il conclut que l’intéressé démontre ne pas contrevenir à la réglementation.

Sur la question de l’activité exercée comme administrateur de l’A.S.B.L. dont il était par ailleurs employé (et avait été mis en chômage temporaire), le tribunal arrive à la même conclusion, l’intéressé n’ayant perçu aucun revenu de l’exercice de la fonction exercée à titre occasionnel pendant la période litigieuse.

Le tribunal en vient alors à l’examen du cumul du bénéfice des allocations de chômage avec une activité accessoire en tant qu’indépendant, étant une activité exercée pour compte propre. Il s’agit ici du mandat d’administrateur exercé au sein d’une société (S.R.L.). Les éléments du dossier sont ici à examiner au regard de l’article 48 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 et des conditions cumulatives posées relatives à la déclaration, à l’exercice préalable, à la tranche horaire d’exercice et aux professions ou secteurs interdits.

Il reprend sur ce point l’enseignement de la Cour de cassation dans son arrêt du 23 mars 2003 (Cass., 23 mars 2003, n° S.03.0038.F), qui a rappelé le but poursuivi par cette disposition : il s’agit de permettre au chômeur de continuer des activités exercées avant le chômage afin d’éviter qu’il ne perde non seulement son salaire, mais aussi en raison de la condition d’être sans travail de l’article 44 de l’arrêté royal, ses revenus professionnels provenant d’une activité accessoire entamée au moment où il avait encore la qualité de travailleur. Il faut éviter qu’il soit ainsi pénalisé deux fois. La réglementation exigeant l’exercice de cette activité pendant une période de trois mois préalablement au chômage, l’objectif de cette condition est d’empêcher que des allocations doivent être accordées à un chômeur qui n’entame cette activité qu’après avoir été mis au chômage ou est sous la menace de l’être.

En l’espèce, l’activité accessoire d’indépendant complémentaire est avérée, l’intéressé ayant eu précédemment la qualité de salarié, étant devenu administrateur et s’étant d’ailleurs affilié à une caisse d’assurances sociales.

Il ne peut, vu l’absence de déclaration, bénéficier de l’article 48, § 1er, 2°, de l’arrêté royal, n’en remplissant pas les conditions. Le tribunal souligne en outre qu’il donnait des instructions quotidiennes à un employé de la société et exerçait ainsi un contrôle sur son travail. Il s’agit d’une activité exercée pour compte propre. Ici, s’il n’y a pas eu de rémunération perçue, l’activité a néanmoins existé, vu l’engagement d’un travailleur salarié et l’exercice effectif d’une fonction de gérant (instructions et contrôle). Même très réduit, il y a eu un cumul non autorisé des allocations avec une activité accessoire non permise. La décision de l’ONEm sur ce point doit dès lors être confirmée.

Le demandeur ayant sollicité le bénéfice de l’article 169, alinéa 1er, de l’arrêté royal, permettant de limiter, en cas de bonne foi, la récupération aux cent-cinquante dernières allocations, le tribunal rappelle la définition de la bonne foi au sens de cette disposition : il s’agit de l’absence de conscience (le tribunal souligne) du caractère indu au moment où le paiement est intervenu (avec renvoi à C. trav. Bruxelles, 14 octobre 2015, R.G. 2013/AB/1.154). Il s’agit d’un élément subjectif mais qui doit être prouvé à la lumière d’éléments objectifs.

En l’espèce, le tribunal retient l’existence de la bonne foi, l’intéressé ayant pu légitimement croire qu’il ne devait pas déclarer préalablement son mandat auprès de la S.R.L., dès lors qu’il avait fait le nécessaire auprès de la caisse d’assurances sociales, que son intention était de chercher à « préserver les activités de la société pendant la pandémie » et qu’il n’avait pas l’intention d’être rémunéré (ayant précisé à la caisse qu’il avait le « statut de gérant non rémunéré »).

Pour le tribunal, il n’y a pas volonté de fraude ou de cumul non autorisé. La sanction administrative est réduite à un avertissement, rappelant qu’à l’époque, vu la période perturbée (COVID-19), ni l’ONEm ni la CAPAC n’étaient accessibles et que la caisse n’a pas informé correctement l’intéressé. Le tribunal retient en outre qu’il s’agit d’une première infraction à la réglementation.

Intérêt de la décision

Trois cas de cumul sont envisagés dans la décision commentée : celui des allocations de chômage en cas d’activité bénévole pour une A.S.B.L., ce même cumul avec le mandat d’administrateur dans une A.S.B.L. et, enfin, celui en cas d’exercice d’une activité accessoire en qualité d’indépendant (dans l’hypothèse où le bénéficiaire d’allocations ne peut se voir appliquer l’article 48 de l’arrêté royal).

Pour ce qui est de l’activité bénévole auprès d’une A.S.B.L., le tribunal constate que la déclaration préalable prévue à l’article 45bis de l’arrêté royal n’a pas été faite, mais n’en tire pas de conséquence préjudiciable pour l’intéressé, dans la mesure où celui-ci démontre qu’il n’a pas exercé d’activité, comme cela était prévu, ni même une quelconque fonction d’administrateur de cette A.S.B.L., et qu’il n’a perçu aucune rémunération ni aucun avantage matériel.

Sur le deuxième point, relatif au cumul dans le cas de l’exercice d’un mandat d’administrateur de l’A.S.B.L. en cas de mise au chômage temporaire partiel (pour cause de force majeure « Corona »), le tribunal n’a pas vu, vu les éléments de l’espèce, matière à conclure à une interdiction de cumul, constatant que l’activité exercée était occasionnelle pendant la période examinée et qu’aucun revenu n’a été perçu.

Enfin, pour ce qui est du mandat d’administrateur au sein d’une société commerciale, dans la mesure où les conditions de l’article 48 n’étaient pas remplies, le tribunal a conclu à l’interdiction de cumul, même si aucune rémunération n’a été perçue mais que l’activité a été exercée (engagement d’un salarié et exercice de la fonction effective de gérant).

Pour ce qui est des conséquences de l’absence de déclaration préalable en cas d’activité bénévole, soulignons des divergences en jurisprudence.

Ainsi, dans un arrêt du 2 août 2022 (C. trav. Liège, div. Liège, 2 août 2022, R.G. 2020/AL/285 – précédemment commenté), la Cour du travail de Liège a considéré qu’une activité de mandataire d’une A.S.B.L. est une activité pour compte de tiers et qu’il appartient au chômeur, dans cette hypothèse, d’établir qu’il n’a pas perçu de rémunération ou d’avantage matériel. Dès lors que la décision n’est pas adéquatement motivée (faisant en l’espèce référence à une activité pour compte propre, alors que, dans le cadre des conclusions d’appel, l’ONEm renvoie à une activité pour compte de tiers), elle doit être annulée. Les éléments déposés permettent de suivre l’intéressé lorsqu’il expose ne pas avoir perçu de rémunération ou d’avantage lié à cette activité et aucune pièce en sens contraire n’est produite par l’ONEm. L’exclusion ne pouvait dès lors intervenir sur la base de l’article 45 de l’arrêté royal. La cour relève cependant que, pour l’exercice d’une activité bénévole, il y a lieu de faire une déclaration préalable auprès de l’ONEm, ce qui n’a pas été fait pour la période litigieuse. Elle conclut que l’intéressé doit dès lors être exclu du droit aux allocations pendant celle-ci.

Par contre, pour la Cour du travail de Bruxelles (C. trav. Bruxelles, 5 juillet 2021, R.G. 2020/AB/74 – également précédemment commenté), par dérogation aux articles 44, 45 et 46 de l’arrêté royal organique, le chômeur peut être amené à faire la déclaration prévue à l’article 45bis et solliciter une autorisation de travail bénévole. Il n’y est cependant tenu que si l’activité qu’il projette d’exercer est une activité incompatible avec les allocations de chômage au sens des articles 44 et 45. S’il n’a pas fait cette déclaration, le chômeur peut encore démontrer que l’activité qu’il a exercée n’est pas une activité au sens de ces dispositions. La cour admet ainsi la possibilité pour celui-ci de renverser la présomption de l’article 45, alinéa 2, et ce en démontrant que son activité était totalement gratuite et qu’elle ne lui procurait aucune rémunération ou avantage matériel de nature à contribuer à sa subsistance ou à celle de sa famille.

C’est également la position de la Cour du travail de Mons (C. trav. Mons, 11 mars 2021, R.G. 2020/AM/160).


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