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Interdiction de cumul d’une indemnité de départ (secteur public) et d’allocations de chômage

Commentaire de Trib. trav. Hainaut (div. Charleroi), 21 avril 2023, R.G. 22/1.773/A

Mis en ligne le mardi 31 octobre 2023


Trib. trav. Hainaut (div. Charleroi), 21 avril 2023, R.G. 22/1.773/A

Dans un jugement du 21 avril 2023, le Tribunal du travail du Hainaut (division Charleroi) statue sur la notion d’« indemnité » au sens des articles 44 et 46, § 1er, de l’arrêté royal organique chômage.

Les faits

Suite à une évaluation négative, une employée d’administration au service d’une autorité communale est démise de ses fonctions d’office pour cause d’inaptitude professionnelle. La décision est prise sur pied de l’article L1217-1 du Code de la démocratie locale et de la décentralisation (Région wallonne).

La décision intervient alors que l’intéressée est en période de maladie depuis quatre mois environ (avec perception de son traitement). A l’issue de la période d’incapacité (après la fin de la relation travail), elle demande le bénéfice des allocations de chômage.

Son ex-employeur complète un certificat de chômage, précisant qu’une indemnité de départ lui a été octroyée conformément à la réglementation et au statut administratif, s’agissant d’un agent démis pour cause d’inaptitude professionnelle. L’intéressée ayant plus de vingt ans d’ancienneté, elle perçoit ainsi neuf mois de traitement.

Contrairement à l’employée, qui considère que son indemnité est cumulable avec les allocations de chômage, l’ONEm décide que l’indemnité perçue constitue de la rémunération au sens de l’article 44 de l’arrêté royal organique. Est précisé dans la lettre adressée à la travailleuse que seules sont exceptées l’indemnité pour dommage moral et celle octroyée en complément de l’allocation de chômage. En conséquence, il considère qu’elle ne peut bénéficier d’allocations pour une période de deux-cent-trente-quatre jours.

Un recours est introduit devant le Tribunal du travail du Hainaut (division de Charleroi).

La décision du tribunal

Le tribunal renvoie à la loi du 20 juillet 1991 portant des dispositions sociales et diverses, dont les articles de 7 à 13 organisent l’assujettissement de certains agents du secteur public (et de l’enseignement libre subventionné) à l’assurance chômage et le paiement par l’employeur des cotisations sociales pour celui-ci.

Il est prévu par ailleurs dans le statut administratif applicable à l’intéressée que, lorsque la commune met fin unilatéralement aux fonctions de l’agent, elle verse à l’O.N.S.S. (administrations provinciale et locale) les cotisations pour les secteurs chômage et A.M.I., conformément aux dispositions de la loi du 20 juillet 1991 ci-dessus.

Le tribunal examine la question des cotisations sociales, renvoyant à l’arrêt de la Cour de cassation du 14 mai 2018 (Cass., 14 mai 2018, n° S.17.0022.N.), qui enseigne que cet élément est sans incidence, les articles 44 et 46, § 1er, alinéa 1er, 5°, de l’arrêté royal organique n’exigeant pas que, pour être considérées comme rémunération, les indemnités versées au travailleur du fait de la rupture du contrat soient soumises aux retenues de sécurité sociale.

Renvoyant à un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 13 avril 2011 (C. trav. Bruxelles, 13 avril 2011, R.G. 2008/AB/51.288), le tribunal passe à l’examen de l’article 46, § 1er, de l’arrêté royal, dont l’alinéa 3 identifie les indemnités considérées comme dommage moral au sens de la réglementation chômage : il s’agit des indemnités octroyées en compensation du dommage extra-patrimonial résultant d’une attitude fautive dans le chef de l’ex-employeur, celles-ci ne pouvant ainsi se substituer aux avantages octroyés dans le cadre d’un régime normal de licenciement.

L’article 46, § 1er, dispose en effet qu’est considérée comme rémunération l’indemnité à laquelle le travailleur peut prétendre du fait de la rupture du contrat de travail, étant incluses l’indemnité payée dans le cadre d’une clause de non-concurrence et l’indemnité d’éviction. La Cour du travail de Bruxelles a considéré dans l’arrêt ci-dessus que la liste dont l’énumération est donnée à l’article 46, § 1er, alinéa 3, n’est pas exhaustive. Seules sont exclues l’indemnité pour dommage moral et celle octroyée en complément de l’allocation de chômage.

Le tribunal relève également que, dans le commentaire de l’ONEm (Riolex – commentaires 8 de l’article 46), l’indemnité de licenciement octroyée dans le cadre de l’arrêté royal du 2 août 2002 instaurant un cycle d’évaluation dans les services publics fédéraux lorsqu’un fonctionnaire est licencié pour inaptitude professionnelle n’est pas considérée comme une indemnité pour dommage moral.

Il conclut que la notion d’ « indemnité » à laquelle le travailleur peut prétendre du fait de la rupture du contrat de travail est une notion large, qui ne se limite pas à l’indemnité compensatoire de préavis, mais englobe toute indemnité qui présente un caractère rémunératoire et qui n’a pas pour fonction d’indemniser le travailleur d’un dommage distinct survenu à l’occasion de la rupture de l’engagement ni d’octroyer, outre l’indemnité de rupture, un « complément chômage ».

En l’occurrence, tel est bien le cas et le tribunal rejette la demande.

Intérêt de la décision

Dans son (bref) arrêt du 14 mai 2018, la Cour de cassation, saisie sur pied des articles 44 et 46, § 1er, alinéa 1er, 5°, de l’arrêté royal du 25 novembre 1991, a jugé que ces dispositions ne requièrent pas que, pour être considérée comme rémunération aux fins de l’application de l’article 44, l’indemnité visée soit soumise au prélèvement de cotisations de sécurité sociale et qu’une telle exigence ne saurait davantage se déduire de la combinaison entre la réglementation du chômage et la législation relative aux cotisations de sécurité sociale.

La notion de « rémunération » au sens des articles 44 et 46 est dès lors distincte de celle de la loi du 12 avril 1965 sur la protection de la rémunération, ainsi que de celle du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail.

Dans le jugement commenté, le Tribunal du travail du Hainaut, reprenant encore le commentaire Riolex, donne des exemples d’indemnités visées par le texte, s’agissant de celle pour licenciement manifestement déraisonnable, de l’indemnité de protection de la travailleuse enceinte ou allaitante, de l’indemnité pour traitement discriminatoire ainsi que pour harcèlement. Cette liste n’est pas exhaustive.

Très logiquement, le tribunal a dès lors conclu que, vu les termes larges de la réglementation chômage, qui vise « l’indemnité à laquelle le travailleur peut prétendre du fait de la rupture du contrat de travail », il n’y a pas lieu d’exclure celle versée dans le secteur public, qui est d’ailleurs expressément qualifiée d’indemnité « de départ ».


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