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Droit au revenu d’intégration sociale et reprise d’études

Commentaire de Trib. trav. Liège (div. Namur), 28 avril 2023, R.G. 22/1.024/A

Mis en ligne le vendredi 13 octobre 2023


Trib. trav. Liège (div. Namur), 28 avril 2023, R.G. 22/1.024/A

Dans un jugement (définitif) du 28 avril 2023, le Tribunal du travail de Liège (division Namur) rappelle les conditions d’octroi du revenu d’intégration sociale. Celles-ci étant strictement énumérées à l’article 3 de la loi du 26 mai 2002, le demandeur ne peut se voir reprocher, dans leur appréciation, un choix d’études pour lequel il n’a pas obtenu de dérogation de l’ONEm et a dès lors été privé d’allocations d’insertion, l’amenant à se tourner vers une demande d’aide sociale.

Les faits

Après avoir obtenu son C.E.S.S. technique (2018), une étudiante entame des études supérieures et les abandonne rapidement, après avoir échoué une première année. Elle se met à travailler dans le cadre de contrats d’intérim et bénéficie d’allocations d’insertion. Souhaitant reprendre des études de gestion de ressources humaines à partir de septembre 2022, elle sollicite de l’ONEm une dispense. Celle-ci est refusée. L’intéressée introduit alors une demande de revenu d’intégration sociale auprès du C.P.A.S. Elle met son projet à exécution et déménage vers un lieu proche de l’établissement d’enseignement.

Le C.P.A.S. prend une décision le 11 octobre 2022, refusant le revenu d’intégration au taux isolé, au motif que la demanderesse avait renoncé à un droit prioritaire (étant les allocations d’insertion) pour effectuer des études de plein exercice et que, par ailleurs, elle avait mis le C.P.A.S. devant le fait accompli de son installation dans un kot dont elle devait payer le loyer, le Centre précisant que les études choisies en cours du jour existaient en cours du soir à Liège, qui est la ville où elle résidait avant son déménagement.

L’intéressée demande à être entendue, ce qui intervient. Une seconde décision est alors prise par le C.P.A.S., confirmant le refus notifié précédemment, au motif qu’elle n’avait pas apporté d’éléments nouveaux. Il lui est encore fait grief d’avoir mis le C.P.A.S. devant le fait accompli, l’intéressée s’étant elle-même mise en état de besoin, vu qu’elle aurait pu suivre les études là où elle habitait précédemment, et ce en cours du soir.

Un recours est introduit devant le Tribunal du travail de Liège (division Namur), qui rend le jugement commenté, et ce en date du 28 avril 2023.

La décision du tribunal

Le tribunal rappelle, parmi les conditions d’octroi fixées à l’article 3 de la loi du 26 mai 2022 concernant le droit à l’intégration sociale, que le bénéficiaire du R.I.S. doit être disposé à travailler, à moins que des raisons de santé ou d’équité l’en empêchent.

La question des études que souhaite entreprendre ou poursuivre un bénéficiaire a été synthétisée dans un arrêt de la Cour du travail de Liège du 20 avril 2021 (C. trav. Liège, div. Namur, 20 avril 2021, R.G. 2020/AN/135), dont le jugement reprend un extrait, étant que la possibilité pour des demandeurs du revenu d’intégration sociale âgés de moins de vingt-cinq ans figure explicitement à l’article 11, § 2, de la loi. La jurisprudence admet que la poursuite ou la reprise d’études peut constituer une raison d’équité permettant d’écarter ou de limiter l’exigence de la condition de disposition au travail. Les critères généralement admis sont (i) que les études soient utiles à l’augmentation des chances d’insertion professionnelle, (ii) que l’étudiant soit apte aux études et qu’il mette tout en œuvre pour les réussir dans le délai le plus court possible et (iii) qu’il conserve une certaine disposition au travail (temps partiel ou occasionnel, pendant les vacances, etc.) compatible avec les études.

Le jugement reprend également un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 18 novembre 2015 (C. trav. Bruxelles, 18 novembre 2015, R.G. 2014/AB/244), qui a précisé, par rapport aux critères à prendre en compte, qu’il faut vérifier si la formation envisagée s’avère nécessaire pour remédier à un niveau de qualification ne permettant pas une insertion sur le marché du travail ou pour augmenter les possibilités d’insertion professionnelle. Ceci figure d’ailleurs dans les travaux parlementaires préparatoires à la loi du 26 mai 2002.

Dans les faits, tout en reprochant à l’intéressée, qui sollicite l’aide de la collectivité pour mener à bien son projet, de ne pas avoir informé préalablement le C.P.A.S., le tribunal retient que ceci ne doit pas être un motif de refus, dans la mesure où les conditions d’octroi du R.I.S. sont définies par la loi, et ce de manière stricte.

Il y a dès lors lieu d’examiner le droit de l’intéressée, sachant qu’elle disposait précédemment d’allocations d’insertion (1.100 euros) et que l’ONEm a refusé la dérogation permettant la reprise d’études. L’intéressée s’est dès lors retrouvée sans ressources. Le tribunal examine dès lors les motifs avancés par le C.P.A.S. pour refuser le bénéfice de la loi, s’agissant de ne pas avoir entrepris des études du soir, ce qui aurait permis de conserver une disposition à l’emploi et, d’ailleurs, de maintenir son droit aux allocations d’insertion, ainsi que la condition d’aptitude aux études. Ces deux éléments conditionnent la reconnaissance de la raison d’équité permettant de déroger à l’article 3, 5°.

Le tribunal envisage d’abord la question de l’aptitude et de l’assiduité, et ce eu égard à deux échecs précédents, tenant également compte de la faiblesse des résultats de la session du mois de janvier.

Pour le tribunal, les échecs passés n’impliquent pas une absence d’aptitude, non plus qu’une motivation insuffisante, les études n’étant d’ailleurs pas les mêmes et pouvant être considéré que le fait d’avoir travaillé a permis à l’intéressée de gagner en maturité, son choix d’études s’inscrivant en outre dans la ligne de ses intérêts (ressources humaines). Le type de formation est par ailleurs admis comme permettant d’obtenir un diplôme qualifiant. Quant à la comparaison avec un autre programme d’études en cours du soir, le tribunal retient, eu égard au programme présenté, que le choix de l’intéressée est justifié.

Sur la dernière question, relative aux allocations d’insertion, le tribunal rappelle le refus de l’ONEm de permettre à l’intéressée de conserver ses allocations, refus suite auquel elle a maintenu son projet de suivre une formation nouvelle destinée à augmenter sérieusement ses chances de trouver un emploi. Il conclut qu’il ne peut lui être opposé d’être responsable de la perte de ce droit, qui lui ferait par ailleurs perdre également le droit au revenu d’intégration.

Toutes les conditions légales se trouvent dès lors réunies et le tribunal fait droit au recours.

Intérêt de la décision

Outre le rappel des appréciations généralement faites en jurisprudence de la validité d’un projet de reprise d’études eu égard aux conditions d’octroi du revenu d’intégration sociale, le jugement commenté statue sur une question importante, étant le droit de solliciter le R.I.S. alors qu’existait un droit prioritaire à d’autres revenus de remplacement, en l’occurrence les allocations d’insertion.

La position du C.P.A.S. était qu’à partir du moment où un bénéficiaire d’allocations d’insertion souhaite reprendre des études, il est tenu de préserver son droit à celles-ci et d’organiser son projet de reprise d’études en fonction. Le choix fait de quitter le secteur chômage pour s’orienter vers le C.P.A.S. en vue d’obtenir une aide résiduaire ne serait, dès lors, pour celui-ci, pas admissible.

Le tribunal rappelle à cet égard que les conditions d’octroi du R.I.S. sont strictement énumérées à l’article 3 de la loi du 26 mai 2002 et que figure parmi celles-ci une obligation de disposition au travail, qui peut faire l’objet de dérogation pour raisons de santé ou d’équité, les études constituant l’exemple-phare des raisons d’équité. Il n’y a pas lieu d’ajouter à la loi des conditions qui n’y figurent pas, s’agissant en la matière de constater que le demandeur du revenu d’intégration est sans ressources et de vérifier si les conditions légales reprises à l’article 3 de la loi sont remplies ou non. Ne peut intervenir dans la vérification des conditions d’octroi du R.I.S. un éventuel droit à des prestations de chômage, dès lors que – comme en l’espèce – une décision de refus de dérogation a été prise par l’ONEm et qu’il ne s’agit pas d’un abandon volontaire.

Il n’y a dès lors pas lieu, pour le C.P.A.S., de faire intervenir, dans l’appréciation des conditions d’octroi, des éléments survenus en amont, dans un autre secteur.


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