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Omission d’information de l’O.N.S.S. par un entrepreneur de travaux : sanction de l’article 30bis, § 8, de la loi du 27 juin 1969

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 19 janvier 2023, R.G. 2022/AB/129

Mis en ligne le jeudi 24 août 2023


Cour du travail de Bruxelles, 19 janvier 2023, R.G. 2022/AB/129

Terra Laboris

Dans un arrêt du 19 janvier 2023, la Cour du travail de Bruxelles a confirmé le caractère pénal de la sanction visée à l’article 30bis, § 8, de la loi du 27 juin 1969, au sens des articles 7.1 de la C.E.D.H. et 15.1 du Pacte international des droits civils et politiques. Conformément à ces dispositions, et en l’absence de dispositions spéciales dans la loi du 27 juin 1969, il n’y a pas lieu de condamner à des intérêts de retard sur cette sanction.

Les faits

Une personne physique a été condamnée par le Tribunal du travail néerlandophone de Bruxelles à payer à l’O.N.S.S. un montant correspondant à 5% de travaux, et ce sur pied de l’article 30bis, §§ 7 et 8, de la loi du 27 juin 1969. Le tribunal a fixé le montant de la condamnation au pourcentage légal, refusant cependant de majorer celui-ci du montant d’intérêts de retard réclamé par l’O.N.S.S. L’intéressé a également été autorisé à payer la somme en cause moyennant des termes et délais sur une période d’un an.

L’O.N.S.S. interjette appel, sollicitant la confirmation du jugement mais demandant à la cour de condamner l’intéressé aux intérêts moratoires sur la somme réclamée ainsi qu’aux intérêts judiciaires jusqu’à la date du parfait paiement.

La décision de la cour

La cour rappelle que le litige trouve son origine dans le non-respect de l’article 30bis, §§ 7 et 8, de la loi du 27 juin 1969. Pour rappel, l’article 30bis, § 7, dispose qu’avant de commencer les travaux, l’entrepreneur à qui le donneur d’ordre a fait appel doit communiquer à l’O.N.S.S. toutes les informations exactes nécessaires destinées à en évaluer la nature et l’importance, ainsi qu’à en identifier le donneur d’ordre et, éventuellement, les sous-traitants. Celui (entrepreneur ou personne assimilée) qui ne se conforme pas à cette obligation est redevable d’une somme équivalente à 5% du montant total des travaux (HTVA) qui n’a pas été déclaré à l’Office.

La cour pose la question de la débition, outre du montant correspondant à 5% des travaux, d’intérêts légaux de retard de 7%, à partir de la décision de l’Office constatant l’infraction à la disposition légale jusqu’à la date du parfait paiement. Elle rappelle que, pour les premiers juges, la sanction prévue à l’article 30bis, § 8, a un caractère répressif et ne peut être considérée comme une pure sanction civile. Aucune disposition de la loi du 27 juin 1969 ou de ses arrêtés d’exécution ne prévoit l’octroi d’intérêts de retard, en sus de la sanction elle-même. Le premier juge a dès lors considéré qu’il ne lui appartenait pas de prononcer une sanction supplémentaire, non prévue par la loi, raison pour laquelle il n’a pas autorisé l’octroi d’intérêts.

La cour reprend ensuite l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 19 mai 2022 (C. const., 19 mai 2022, n° 68/2022), dont elle cite un extrait (considérant B.5.3), qui souligne que cette somme de 5% peut atteindre des montants considérables. Pour la Cour constitutionnelle, elle a en particulier pour objet de prévenir et de sanctionner le non-respect de l’obligation de déclaration de travaux et il ressort de la nature et de la sévérité de la sanction subie par l’entrepreneur en cas de non-respect de cette obligation qu’elle a un caractère punitif, et donc dissuasif.

Ce faisant, la Cour constitutionnelle s’est ralliée à la jurisprudence de la Cour de cassation dans un arrêt du 5 septembre 2011 (Cass., 5 septembre 2011, n° S.10.0119.N) rendu à propos de l’article 30ter, § 6, B, alinéa 1er (dans sa version applicable avant son abrogation par l’arrêté royal du 26 décembre 1998, prévoyant une sanction à charge de tout entrepreneur principal qui omettait de communiquer les informations requises par la loi), qui a jugé que cette sanction a été érigée non dans l’intention de réparer un préjudice, fût-ce de manière forfaitaire, mais dans celle de relever la gravité des manquements. Pour la Cour de cassation, dès lors qu’elle était de nature essentiellement répressive, cette mesure ne pouvait être considérée comme une simple sanction à caractère civil et revêtait un caractère de sanction pénale au sens des articles 7.1 de la C.E.D.H. et 15.1 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

La sanction de l’article 30bis, § 8, étant également une sanction pénale au sens des dispositions de droit international ci-dessus, elles en emportent également les garanties. Cette disposition prévoyant qu’il ne peut être infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l’infraction a été commise, ceci implique qu’aucune peine complémentaire ne peut être prononcée, qui n’avait pas été prévue au moment où le fait punissable a été commis.

La Cour souligne encore qu’aucune disposition de la loi du 27 juin 1969 ou de ses arrêtés d’exécution ne prévoit l’octroi de ces intérêts de retard et qu’il n’appartient pas aux juridictions du travail d’imposer une peine qui n’est pas prévue explicitement dans un texte.

Le juge n’est dès lors pas autorisé à condamner à des intérêts sur le montant dû, en vertu de l’article 30bis, § 8, la cour reprenant encore un extrait de l’arrêt de la Cour de cassation du 5 septembre 2011 : en vertu des articles 7.1 de la Convention de sauvegarde et 15.1 du Pacte international, aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l’infraction a été commise ne peut être infligée, de sorte qu’en application de cette disposition, le juge ne peut condamner l’entrepreneur principal qui n’a pas respecté le devoir d’information prévu (à l’article 30ter, § 5, de la loi du 27 juin 1969) au paiement d’intérêts de retard calculés sur la somme dont il est redevable en application de cette disposition, dès lors que la loi du 27 juin 1969 n’en a pas prévu l’allocation.

Le jugement est dès lors confirmé.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles concerne le non-respect de l’obligation d’information prévue à l’article 30bis, § 7, de la loi du 27 juin 1969. Cette obligation vise l’entrepreneur à qui un donneur d’ordre a fait appel et, avec lui, le cas échéant, les sous-traitants, à quelque stade que soient les travaux. L’article 30bis, § 7, détaille les obligations des sous-traitants (et également des sous-traitants en chaîne). Il définit également la notion d’entrepreneur.

Une sanction est prévue, spécifiquement, en cas de non-respect de cette obligation d’information, et la cour du travail conclut à l’application de la jurisprudence de la Cour de cassation rendue précédemment à propos de l’article 30ter, qui a conclu au caractère pénal (et non civil) de la sanction.

L’on notera que, par contre, la même disposition prévoit en son § 5, alinéa 1er, le paiement d’une majoration en cas de non-versement par le donneur d’ordre lorsqu’il fait un paiement de tout ou partie du prix des travaux à un entrepreneur qui, à ce moment, a des dettes sociales, majoration de 35% de ce montant.

Cette majoration a quant à elle, en vertu de la jurisprudence de la Cour de cassation (Cass., 11 décembre 2017, n° S.16.0030.F – précédemment commenté), un caractère civil et non pénal. La Cour de cassation a, dans cette décision, cassé un arrêt de la Cour du travail de Liège (division Liège) du 15 septembre 2015, qui avait admis le caractère de sanction pénale de celle-ci majoration au sens de l’article 7.1 de la C.E.D.H. et avait conclu que la condamnation pouvait faire l’objet d’une suspension ou d’un sursis, conformément à la loi du 29 juin 1964 concernant la suspension, le sursis et la probation. Pour la Cour de cassation, la majoration ne constitue pas une peine mais une indemnité forfaitaire de réparation, prévue dans l’intérêt général, de l’atteinte portée au financement de la sécurité sociale. Elle a un caractère civil. En conséquence, l’on ne peut accorder le sursis.


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