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Harcèlement moral : obligation pour le travailleur d’établir des faits faisant présumer l’existence du harcèlement

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 24 janvier 2023, R.G. 2019/AB/898

Mis en ligne le jeudi 24 août 2023


Cour du travail de Bruxelles, 24 janvier 2023, R.G. 2019/AB/898

Terra Laboris

Dans un arrêt du 24 janvier 2023, la Cour du travail de Bruxelles rappelle le partage de la charge de la preuve dès lors qu’est invoqué un harcèlement moral sur le lieu du travail. A défaut pour l’employé d’établir des faits précis faisant présumer l’existence de ce harcèlement, le contrôle judiciaire s’arrête, l’obligation de preuve du renversement de la présomption légale, existant dans le chef de l’employeur, ne devant pas être examinée.

Les faits

Une employée, engagée à durée déterminée pour une période de cinq mois, exerce au sein de la société qui l’emploie les fonctions de responsable des ressources humaines.

Peu après son engagement, une employée du service est licenciée et sera remplacée, aux fins de seconder la demanderesse. Un contrat de travail à durée indéterminée est alors signé entre elle-même et la société. Devant recruter du personnel, elle a des difficultés à satisfaire les conditions posées par son employeur et une certaine tension naît entre eux. Celle-ci va croissant, des reproches étant faits à l’intéressée, qui tombe en incapacité de travail. Pendant celle-ci, elle s’adresse au service externe pour la prévention et la protection au travail, mais n’introduit pas de demande d’intervention psychosociale. Elle consulte également le conseiller en prévention-médecin du travail, qui préconise, après une prolongation de l’incapacité de travail, une reprise à mi-temps et une réduction de la charge de travail. Parallèlement, un délégué syndical de l’entreprise adresse à la direction une plainte la concernant (mauvais accueil des travailleurs, etc.).

Quelques jours plus tard, l’intéressée est licenciée moyennant paiement d’une indemnité compensatoire de préavis, les motifs du licenciement étant notifiés spontanément par lettre recommandée. Après le licenciement, une demande d’intervention psychosociale formelle est introduite.

Une procédure est lancée devant le Tribunal du travail francophone de Bruxelles en paiement d’une indemnité pour harcèlement moral ainsi que d’une autre pour licenciement manifestement déraisonnable, outre un léger solde d’indemnité de préavis. Seul ce solde sera accordé par le tribunal, qui statue par jugement du 11 octobre 2019.

L’employée interjette appel, postulant, comme en première instance, la condamnation de la société aux deux indemnités. A titre subsidiaire, elle demande que des enquêtes soient ordonnées.

La société sollicite la confirmation du jugement.

La décision de la cour

La cour aborde en premier lieu la demande relative à l’indemnité pour harcèlement moral et reprend les principes, faisant notamment la distinction entre le harcèlement et l’exercice normal de l’autorité de l’employeur d’une part et celui-ci et le conflit, de l’autre.

Elle aborde également la question plus générale des obligations de l’employeur en matière de risques psychosociaux, reprenant les dispositions pertinentes de la loi du 4 août 1996 relative au bien-être des travailleurs lors de l’exécution de leur travail.

Elle passe ensuite à l’application des principes légaux à l’espèce, l’intéressée soutenant avoir été exposée d’une part à des risques psychosociaux importants du fait de ses conditions de travail, de l’organisation de celui-ci et du style de management du gérant, ainsi que, d’autre part, à une situation de harcèlement moral (propos déplacés et intimidants).

La cour constate que ce qui est demandé est une indemnité pour harcèlement et non pour réparation d’un éventuel manquement de l’employeur à ses obligations en matière de bien-être. Seule est dès lors examinée la question du harcèlement. Elle reprend le mécanisme légal, étant que la demanderesse doit établir des faits qui permettent de présumer l’existence de celui-ci et que, ensuite, la société devra prouver l’absence de harcèlement.

Elle examine les griefs de l’employée par rapport à l’évolution de la relation contractuelle. Un premier grief est la conclusion d’un contrat à durée déterminée de cinq mois, soit dans un statut précaire. Pour la cour, cet élément est neutre dans la recherche d’un comportement de harcèlement.

Par ailleurs, divers incidents sont invoqués, mais la preuve n’en est pas rapportée, l’intéressée se fondant ses déclarations propres – déclarations unilatérales.

Le licenciement de l’employée qui prestait dans son service – et qui aurait pour la demanderesse entraîné une surcharge de travail – est analysé comme un autre élément neutre ne révélant pas l’existence d’une conduite dont elle serait l’objet, d’autant qu’elle a été remplacée.

Le grief fait au gérant d’avoir exigé l’anticipation de son heure de présence alors que le contrat fixait l’entrée en service un peu plus tard est également rejeté comme élément faisant présumer un harcèlement, la cour constatant que les parties avaient appliqué de manière souple le respect de l’horaire contractuel. Par ailleurs, elle remet dans leur contexte des propos imputés au gérant, les écartant également. Enfin, l’incapacité de travail ne constitue pas une « conduite » imputable au gérant.

Les faits exigés n’étant pas établis, la cour ne procède pas à l’examen de la position de la société dans le renversement éventuel de la présomption légale.

Par ailleurs, le licenciement n’est pas davantage considéré comme étant manifestement déraisonnable, la cour reprenant ici les principes de la C.C.T. Il y a eu, comme elle le rappelle, communication spontanée des motifs du licenciement, ce qui impose à la travailleuse d’établir les éléments indiquant que celui-ci est manifestement déraisonnable. Ici, l’intéressée fait valoir la position du médecin du travail, qui a préconisé de la remettre au travail à mi-temps. Aucun lien n’est cependant établi entre cette proposition et le licenciement.

Enfin, la cour retient encore que la réception d’un courrier d’un délégué syndical de l’entreprise faisant état de doléances la concernant constitue un motif réel en lien avec l’aptitude et/ou la conduite. Retenant encore la volonté de l’intéressée exprimée dans un courrier (et donc établie par la société) de rechercher un autre travail, la cour y voit un motif fondé sur les nécessités de fonctionnement de l’entreprise.

Intérêt de la décision

En cette affaire, la collaboration professionnelle a été de courte durée et l’examen de la cour, sur les deux chefs de demande, est effectué à partir de griefs essentiellement relatifs à l’existence de conduites prenant spécialement et individuellement pour cible l’intéressée. L’on notera que celle-ci invoque en partie des difficultés inhérentes à la relation de travail, sans que celles-ci ne puissent être considérées comme des conduites visées par l’interdiction de harcèlement, s’agissant de difficultés dans le cadre de l’exécution du contrat lui-même et non de comportements pouvant prendre une tournure abusive. De telles difficultés (surcharge de travail, management éventuellement déficient) sont des éléments neutres, comme le rappelle la cour. Celle-ci s’est attachée à la preuve de faits précis (propos reprochés, insultes, railleries, etc.) et a conclu soit au caractère non établi du grief, soit à l’absence de caractère abusif.

L’on notera particulièrement une appréciation dans l’arrêt relative à l’exigence dans la définition légale que les conduites épinglées doivent s’être produites pendant un certain temps, condition que la cour a jugée non remplie pour deux reproches établis, éloignés d’à peine un jour d’intervalle.

Enfin, l’examen des mêmes faits à partir de la C.C.T. n° 109 n’ont pas permis à la cour de conclure au caractère manifestement déraisonnable du licenciement, celle-ci ayant constaté d’une part l’existence d’un motif en lien avec l’aptitude et/ou la conduite de la responsable du service des ressources humaines (à qui un délégué syndical de l’entreprise a reproché une série de manquements) et d’autre part la circonstance qu’elle envisageait elle-même de quitter l’entreprise, élément considéré comme motif fondé sur les nécessités de fonctionnement de celle-ci.


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