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Pluralité de motifs d’un refus d’embauche, dont l’un repose sur un critère protégé

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 31 janvier 2023, R.G. 2019/AB/461

Mis en ligne le vendredi 18 août 2023


Cour du travail de Bruxelles, 31 janvier 2023, R.G. 2019/AB/461

Terra Laboris

Dans un arrêt du 31 janvier 2023, la Cour du travail de Bruxelles rappelle les règles de fixation du forfait de l’indemnisation légale destinée à réparer le préjudice subi suite à un refus d’embauche (en l’espèce fondé sur l’âge de la candidate).

Les faits

Une maison de repos, souhaitant engager un(e) secrétaire de direction, communique une offre d’emploi au FOREm, qui la transmet à une demandeuse d’emploi. Celle-ci répond. Un courriel à destination interne lui est envoyé par erreur, celui-ci relevant qu’elle a plus de cinquante ans, que ses connaissances en informatiques sont « bof-bof », qu’elle a fait précéder sa signature de « Madame » et que la conclusion est « non ».

Deux jours plus tard, un nouveau courriel lui est envoyé, de la part de la responsable de la maison de repos, qui présente ses excuses pour l’erreur intervenue, exposant qu’elle est toujours au stade du « premier tri » et que sa candidature n’est pas éliminée. L’intéressée n’est en fin de compte pas retenue. Une procédure est introduite devant le Tribunal du travail du Brabant wallon (division Wavre).

Le jugement du tribunal

Saisi d’une demande d’indemnité pour discrimination à l’embauche, le tribunal conclut au fondement partiel de la demande et condamne la société à une indemnisation forfaitaire (650 euros) au titre de dommage moral.

Appel est interjeté par l’employée évincée sur le quantum de l’indemnité.

UNIA appuie la position de la partie appelante, faisant une intervention volontaire au stade de l’appel.

La décision de la cour

La cour se prononce en premier lieu sur la recevabilité de l’intervention volontaire d’UNIA. Elle rappelle que l’intervention agressive, fixée à l’article 812, alinéa 2, du Code judiciaire, ne peut être exercée pour la première fois en degré d’appel, au contraire de l’intervention conservatoire. L’intervention en cause étant intervenue pour la première fois en degré d’appel et aucune condamnation distincte de celle formulée par la partie appelante n’étant sollicitée, la cour retient que l’intervention est en l’espèce de nature purement conservatoire et conclut à sa recevabilité.

Elle admet également l’intérêt à agir dans le chef d’UNIA, vu l’habilitation légale prévue à l’article 9, § 1er, de la loi du 10 mai 2007. Cette habilitation est double, UNIA pouvant introduire une action d’intérêt collectif pour défendre l’application de la loi (il s’agit d’un intérêt propre et direct) et pouvant également le faire pour le compte de la victime d’une discrimination (avec accord de celle-ci).

En l’espèce, la cour retient que l’intervention se fait à ce double titre.

Elle en vient ensuite à la discrimination à l’embauche.

La loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre certaines formes de discrimination retient, parmi les critères protégés, celui de l’âge. En vertu du texte, le rôle du juge est de vérifier s’il est en présence d’un traitement défavorable tel que le refus d’embauche et si celui-ci intervient sur la base d’un critère protégé. S’il y a plusieurs causes à ce traitement défavorable, il suffit que l’une d’entre elles soit en lien avec le critère protégé pour conférer au traitement un caractère discriminatoire – sauf justification.

S’agissant de l’âge, cette justification peut consister en des exigences professionnelles essentielles et déterminantes, critère pour lequel la cour rappelle qu’il ne vise que deux hypothèses, étant (i) celle d’une caractéristique déterminée liée au critère, étant essentielle et déterminante en raison de la nature des activités professionnelles spécifiques concernées ou du contexte de leur exécution et (ii) un objectif légitime à l’exigence posée, celle-ci devant être proportionnée par rapport à celui-ci.

Il appartient dès lors à l’employeur de prouver que le refus d’embauche a été justifié par une exigence professionnelle essentielle et déterminante, la cour rappelant encore le mécanisme de partage de la preuve en la matière et soulignant que, si l’employeur invoque l’existence d’une justification, il doit en apporter la preuve en fait.

En l’espèce, la cour constate que le courriel litigieux contient trois motifs, étant l’âge, des connaissances informatiques insuffisantes, ainsi qu’une présentation écrite qui serait incorrecte, l’intéressée ayant fait précéder son nom, dans la signature du courriel, par « Madame ».

Il en découle que l’âge est un des motifs et que, ayant été invoqué en premier lieu, il est visé prioritairement par l’employeur. La cour relève qu’une autre candidate a également été écartée pour ce motif et constate que la société n’avance aucun argument relatif à l’existence d’exigences professionnelles essentielles et déterminantes liées à l’âge.

Le traitement défavorable n’est dès lors pas justifié.

La société invoquant qu’elle ne pratique pas de discrimination à l’embauche de manière générale, la cour rejette cet argument de l’employeur, précisant qu’elle est saisie d’un acte discriminatoire déterminé.

Pour ce qui est des autres points, les explications données sont également écartées, vu que l’âge est précisément un des motifs invoqués et qu’il est un critère protégé par la loi.

Enfin, la société rejetant la responsabilité de la situation sur la personne chargée de gérer les offres d’emploi, la cour constate que, quoique le cadre juridique de la mission confiée à cette personne n’était pas précisé dans le cadre de la procédure, la société est engagée par les actes posés par celle-ci. Elle renvoie à l’article 61, § 1er, du Code des sociétés si l’intéressée est un organe, à l’article 1384, alinéa 5, de l’ancien Code civil si elle est préposée sous l’autorité de la société, ou à la responsabilité du mandant en vertu des articles 1991 et suivants de l’ancien Code civil si elle n’a aucune des deux qualités ci-dessus. La cour précise encore qu’il ressort des éléments du dossier que l’intéressée avait reçu, du moins en apparence, le pouvoir d’agir au nom et pour le compte de la société.

La discrimination étant retenue, la cour se penche ensuite sur l’indemnisation.

Elle rappelle les termes de l’article 18 de la loi du 10 mai 2007, qui permet à la victime d’une discrimination de choisir sur le plan du dommage entre la réparation du préjudice réellement subi – hypothèse dans laquelle elle doit apporter la preuve de celui-ci – et un forfait. Pour ce forfait, il y a deux régimes, à savoir si la discrimination est constatée dans les relations de travail ou dans les régimes complémentaires de sécurité sociale, ou dans un autre cadre de l’autre.

Le jugement n’ayant pas appliqué correctement la loi, la cour le réforme sur le quantum, s’agissant de retenir l’indemnisation dans le cadre de relations de travail. En principe, l’indemnité est de six mois de rémunération, destinée à couvrir le dommage matériel et moral. L’employeur peut cependant établir que le traitement défavorable aurait également été adopté en l’absence de celle-ci, auquel cas le forfait est ramené à trois mois. C’est cette seconde hypothèse qui est retenue par la cour et l’équivalent de trois mois de rémunération est dès lors alloué au titre de réparation.

Intérêt de la décision

Dans l’arrêt commenté, la Cour du travail de Bruxelles rappelle un principe en la matière : si un traitement défavorable est infligé à un travailleur et qu’un critère protégé en est une des causes, ceci suffit à l’application de la loi, le traitement en cause étant susceptible d’ouvrir le droit à une indemnisation.

Tel est le cas en l’espèce, l’âge figurant parmi deux autres griefs (non protégés).

La cour a rappelé les règles d’indemnisation, lorsqu’un tel traitement intervient dans les relations de travail ou régimes complémentaires de sécurité sociale, étant que le législateur a fixé – à côté de la réparation complète à charge pour le travailleur d’en établir le montant – un double forfait : l’indemnisation est fixée à six mois, sauf s’il s’avère que le traitement en cause serait de toute façon intervenu même en l’absence de renvoi à un critère protégé, étant alors prévu que l’indemnisation est fixée à trois mois.

L’affaire est l’occasion de rappeler l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 7 juin 2018 (C. const., 7 juin 2018, n° 70/2018), laquelle a jugé que la différence de traitement entre les employeurs qui se rendent coupables envers un travailleur d’une discrimination prohibée par comparaison avec n’importe quel autre justiciable qui se rend coupable de la même discrimination repose sur un critère objectif : l’indemnisation forfaitaire diffère selon que la discrimination est ou non opérée dans le cadre des relations de travail ou des régimes complémentaires de sécurité sociale. En ce qui concerne la proportionnalité des effets de la différence de traitement (les employeurs discriminants devant payer un montant généralement plus élevé), celle-ci trouve sa justification dans le constat que l’indemnité forfaitaire couvre tant le dommage moral que le dommage matériel alors que, dans les autres hypothèses, seul le dommage moral est couvert. En outre, la Directive n° 2000/78/CE impose en son article 17 au législateur de prévoir des sanctions qui ont à l’égard des employeurs un effet dissuasif réel et qui sont adéquates au dommage subi en raison de l’impact grave pour la victime discriminée dans le domaine des relations de travail.

La Cour de cassation est également intervenue par arrêt du 14 décembre 2015 (Cass., 14 décembre 2015, n° S.12.0119.N et S.12.0154.N), arrêt dans lequel elle enseigne que, lorsque la victime d’une discrimination établie dans le cadre des relations de travail ou des régimes complémentaires de sécurité sociale réclame un montant forfaitaire au titre de réparation du préjudice matériel et moral subi et que l’employeur démontre que le traitement litigieux défavorable ou désavantageux aurait également été adopté en l’absence de discrimination, elle a droit à une indemnisation de trois mois de rémunération brute. La sanction de l’article 15 (nullité) ne s’applique pas s’agissant de déterminer le préjudice matériel dans une telle hypothèse.


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