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Possibilité de cumuler des allocations de chômage belges avec une pension de retraite incomplète française

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 26 septembre 2022, R.G. 2022/AL/42

Mis en ligne le jeudi 3 août 2023


Cour du travail de Liège (division Liège), 26 septembre 2022, R.G. 2022/AL/42

Terra Laboris

Dans un arrêt du 26 septembre 2022, la Cour du travail de Liège (division Liège) écarte à nouveau l’interprétation par l’ONEm de l’article 65, § 2, de l’arrêté royal du 25 novembre 1991.

Les faits

Mme T., née en 1953, a travaillé en Belgique et en France avant de bénéficier à partir du 1er janvier 2015 du régime de chômage avec complément d’entreprise.

Le 27 avril 2016, l’assurance retraite Nord-Picardie (ci-après Carsat) l’informe qu’elle lui attribue à partir du 1er janvier 2015 une retraite personnelle en application des règlements communautaires s’élevant au 1er janvier 2015 à 134,72 euros nets.

Elle n’en informe pas l’ONEm, qui l’apprend par une banque de données et la convoque pour l’entendre sur ce cumul.

Trois décisions sont ensuite prises par l’ONEm. On en retiendra, en bref, que Mme T. est exclue du bénéfice des allocations de chômage à partir du 1er janvier 2015 et qu’une sanction administrative de treize semaines lui est infligée pour n’avoir pas déclaré cette pension.

Ces décisions ont fait l’objet de recours devant le Tribunal du travail de Liège (division Liège). L’ONEm a, par action reconventionnelle, demandé un titre pour la somme de 46.809,06 euros.

Par jugement du 21 décembre 2021, le tribunal a déclaré les recours recevables, a joint les causes et a mis les trois décisions à néant dans leur principe, disant pour droit que Mme T. peut prétendre aux allocations de chômage à partir du 1er janvier 2015 dans les limites fixées par l’article 130 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991. Le jugement a constaté que ces limites n’étaient pas dépassées. Il a en conséquence dit l’action reconventionnelle de l’ONEm non fondée. Il a enfin ramené la sanction administrative à un avertissement.

L’ONEm a formé appel de ce jugement.

Le ministère public a conclu à la confirmation du jugement. L’ONEm a répliqué à cet avis en annexant une pièce nouvelle.

La décision de la cour

L’arrêt dit l’appel recevable.

La cour examine ensuite le sort à réserver à la pièce nouvelle déposée par l’ONEm. Elle souligne que les conclusions doivent être rencontrées par les juges dans la mesure où elles répondent à cet avis, la cour du travail citant les arrêts de la Cour de cassation des 20 septembre 2004 (n° S.04.0009.N) et 4 mai 2015 (n° S.13.0109.F). Par contre, des pièces ne constituent pas des répliques, en sorte que, même si elles sont produites en annexe à ces conclusions, elles doivent être écartées des débats.

L’arrêt conclut qu’il se déduit du rapprochement des articles 771 et 767 du Code judiciaire qu’il y a lieu d’écarter les pièces déposées après la clôture des débats, fût-ce en annexe à des répliques.

L’arrêt analysé examine ensuite, sur le fond, la seule question litigieuse, étant l’interprétation de l’article 65 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991, qui dispose que le chômeur qui bénéficie d’une pension incomplète peut bénéficier des allocations de chômage dans les limites de l’article 130 du même arrêté aux deux conditions que le chômage ne soit pas causé par un arrêt ou une diminution du travail du fait du bénéfice d’une pension et que le régime sur la base duquel la pension est accordée (1°) n’interdise pas le cumul de la pension avec les allocations et (2°) ne subordonne pas le bénéfice de la pension ou le montant de la pension à des conditions qui limitent la disponibilité pour le marché de l’emploi.

L’arrêt décide que Mme T. n’a pas cessé le travail du fait du bénéfice d’une pension dont elle n’a appris la perception qu’après avoir cessé le travail.

La cour examine ensuite ce qui était l’enjeu du litige à propos de cette interprétation. L’ONEm soutenait que ce qui devait être autorisé pour permettre le bénéfice des allocations de chômage en Belgique était le cumul d’une pension de retraite française avec des allocations de chômage françaises. Dans cette interprétation, Mme T. ne remplissait pas les conditions pour bénéficier des allocations de chômage en Belgique et aurait dû rembourser 46.809,06 euros pour avoir bénéficié sur les trente-neuf mois de la période litigieuse de 5.265 euros de pension. Par contre, le tribunal et le ministère public en appel interprétaient l’article 65, § 2, comme visant la possibilité de cumuler la pension de retraite étrangère avec des allocations de chômage belges.

L’arrêt analysé adopte cette seconde interprétation. La cour cite un arrêt du 27 avril 2021 (R.G. 2019/AL/645, inédit) de la Cour du travail de Liège ayant décidé, dans une espèce qui concernait une pension polonaise, que cet article 65, § 2, visait le cumul autorisé ou non des allocations de chômage belges avec une pension, belge ou étrangère.

La cour relève que les conséquences de l’interprétation de l’ONEm sont « disproportionnées et déraisonnablement inéquitables » et que cet organisme « n’avance aucun argument pour démontrer que l’intention du Roi aurait été la double exclusion (en France et en Belgique) ». Pour elle, l’impossibilité de cumuler retraite et allocations de chômage en France n’est pas pertinente pour limiter le droit au cumul en Belgique.

Elle conclut que la condition imposant que le régime sur la base duquel la pension est accordée (soit en l’espèce le régime français) n’interdit pas le cumul de la pension avec les allocations belges est remplie.

L’arrêt commenté vérifie enfin si le régime sur la base duquel la pension est accordée ne subordonne pas son bénéfice ou son montant à des conditions qui limitent la disponibilité pour le marché de l’emploi. L’ONEm soutenait que tel était le cas en se fondant sur un courrier de la Carsat du 15 juin 2021 produit par Mme T. L’arrêt y oppose, en se fondant sur la page 2 de ce courrier, qu’un emploi en Belgique serait sans conséquence sur la pension française. La deuxième condition est donc remplie.

La cour du travail dit en conséquence l’appel non fondé.

Intérêt de la décision

L’arrêt contient un rappel utile des dispositions qui régissent le dépôt de pièces nouvelles après la clôture des débats dans le cadre des conclusions en réplique à cet avis : les conclusions doivent être rencontrées par le juge dans la mesure où elles répondent à cet avis, la cour citant les arrêts de la Cour de cassation des 20 septembre 2004 et 4 mai 2015 ci-dessus. Par contre, des pièces ne constituent pas des répliques en sorte que, même si elles sont produites en annexe à ces conclusions, elles doivent être écartées des débats.

Mais le principal intérêt de cet arrêt est la condamnation de l’interprétation adoptée par l’ONEm de l’article 65, § 2, de l’arrêté royal du 25 novembre 1991.

La cour se réfère à un arrêt de la Cour du travail de Liège du 27 avril 2021 (R.G. 2019/AL/645) dans une espèce qui concernait le cumul d’une pension de retraite incomplète polonaise avec les allocations de chômage belges.

La cour du travail décide que l’article 65 autorise, dans les limites de l’article 130, le cumul d’une pension étrangère avec celles-ci, à la condition que la réglementation étrangère ne s’oppose pas à ce cumul. Or, il ressort d’un courrier de l’organisme polonais que la réglementation polonaise n’interdit pas le cumul de la pension qu’elle octroie en faveur de l’intéressée avec les allocations de chômage belges.

Dans ce litige, la cour de travail (autrement composée) avait, par son arrêt interlocutoire du 26 mai 2020, ordonné la réouverture des débats afin que les parties concluent sur la question de savoir si l’article 65, § 2, était une clause anti-cumul visée par les articles 53 et suivants du Règlement (CE) n° 883/2004.

L’arrêt du 27 avril 2021 précise que l’interprétation que la cour du travail adopte de l’article 65, § 2, est valable dans l’hypothèse où cette disposition devrait s’analyser comme une telle clause anti-cumul, comme dans l’hypothèse où il faudrait considérer que l’article 65 n’en est pas une. Il est donc sans intérêt de trancher la question soulevée par l’arrêt interlocutoire. La cour du travail relève néanmoins que, dans son avis écrit, le ministère public estime que cet article 65, § 2, n’est pas une clause anti-cumul au sens de ce Règlement.


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