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Licenciement pour motif équitable : précisions quant à l’appréciation de l’attitude fautive

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 28 novembre 2022, R.G. 2022/AL/177

Mis en ligne le jeudi 3 août 2023


Cour du travail de Liège (division Liège), 28 novembre 2022, R.G. 2022/AL/177

Terra Laboris

Dans un arrêt du 28 novembre 2022, la Cour du travail de Liège (division Liège) examine notamment si la chômeuse licenciée pour un comportement fautif avait conscience des risques de licenciement.

Les faits

Mme P. a travaillé en qualité d’éducatrice spécialisée dans l’Institution publique de protection de la jeunesse (I.P.P.J.) de Fraipont depuis le 1er décembre 2007, d’abord en section ouverte puis, suite à un important conflit qu’elle a ressenti comme étant du harcèlement, en section fermée où, selon elle, ce harcèlement s’est poursuivi.

Le 15 janvier 2014, elle a quitté durant quelques minutes un mineur qui réalisait une tâche réparatrice sous sa surveillance pour aller effectuer des tâches administratives. Considérant qu’il s’agissait d’un abandon de poste, son employeur l’a, le 20 janvier 2014, convoquée pour une audition dans le cadre d’une procédure de licenciement. A partir du 21 janvier 2014, elle a été absente pour cause de maladie (qui a perduré un an).

Elle a porté plainte pour harcèlement moral auprès du conseiller en prévention le 5 février 2014. Elle a été entendue par la Communauté française en mars 2014 et licenciée le 15 juillet 2014 moyennant une indemnité compensatoire de préavis. Le C4 indiquait : « inadéquation entre vos compétences par rapport au profil d’une éducatrice travaillant dans une Institution publique de protection de la jeunesse ».

Elle a demandé des allocations comme chômeur complet à partir du 21 décembre 2015. Le 5 février 2016, l’ONEm décide de l’exclure du bénéfice des allocations pour six semaines à partir de la date de la demande au motif qu’elle a été licenciée pour un motif équitable, étant son attitude fautive. Mme P. a contesté cette décision devant le Tribunal du travail de Liège, qui, le 18 février 2022, a dit le recours recevable mais non fondé, la chômeuse ne pouvant raisonnablement ignorer que laisser un mineur délinquant ou en difficulté sans surveillance constituait une faute justifiant le licenciement. Mme P. a introduit contre cette décision un recours recevable.

Entre-temps, elle a été déboutée de sa procédure pour harcèlement par un arrêt de la Cour du travail de Liège du 12 novembre 2020.

La décision de la cour

La cour du travail dit l’appel recevable et fondé.

Elle admet que Mme P. a eu un comportement fautif mais décide que, dans les circonstances de la cause, elle n’avait pas conscience du risque de licenciement.

Elle avait entre autres déposé une note manuscrite de quatorze pages dans laquelle elle décrivait d’une part son ressenti au sein de l’institution et d’autre part ce qu’elle avait pu observer comme manquements dans le chef d’autres travailleurs et les conséquences qui en avaient été tirées par l’employeur.

Ainsi, un collègue avait brûlé un jeune volontairement au visage et il n’y a pas eu de proposition de licenciement mais une sanction disciplinaire ; deux collègues avaient bu de l’alcool lors d’un camp et n’avaient fait l’objet que d’une note négative ; une collègue, avec un jeune dans la voiture, avait fait marche arrière sur l’autoroute après avoir raté la sortie, fait qui n’avait donné lieu à aucune réaction connue d’elle ; elle-même avait été laissée seule avec un groupe à gérer tandis que ses collègues partaient à la recherche d’un jeune qui fuguait, ce qui est contraire aux instructions ; un surveillant sentant l’alcool avait dormi durant un service de week-end devant le chef de section, qui n‘avait pas réagi...

L’arrêt retient que l’ONEm « n’apporte pas d’éléments de nature à remettre ces exemples en cause, même si les déclarations de Mme P. doivent bien entendu être appréciées avec un sain recul » et décide que « Face à un tel contexte d’estompement des valeurs professionnelles, Mme P. ne devait pas savoir que le fait qui lui était reproché pourrait donner lieu à son licenciement ».

La cour ajoute que « La circonstance que son travail avait antérieurement fait l’objet de critiques (sous forme de remarques écrites de la part de ses supérieurs), dans le contexte de mésentente caractérisée qu’elle décrit, ne permet pas de remettre en cause cette conclusion ». En effet, « Si son travail n’était pas parfait, la réaction avait jusqu’alors trouvé à s’exprimer par le biais de recadrages écrits, sans même passer par une sanction disciplinaire. Ce nouveau manquement, dont la gravité prête à discussion au vu des éléments de contexte, aurait parfaitement pu donner lieu à un nouvel avertissement ou à une sanction disciplinaire sans qu’il y ait lieu de passer au licenciement ».

Intérêt de la décision

Cet arrêt met l’accent sur la deuxième condition que doit remplir un licenciement pour justifier l’application d’une sanction par l’ONEm, étant que le chômeur doit avoir eu conscience que son comportement fautif risquait d’avoir pour conséquence son licenciement.

Sur le licenciement pour un motif équitable, l’on peut rappeler l’arrêt de la 8e chambre de la Cour du travail de Bruxelles du 8 mars 2012 (R .G. 2012/AB/923 – précédemment commenté), qui a jugé que celui-ci requiert que soient réunies les conditions suivantes, qu’il appartient à l’ONEm de prouver : (i) une attitude fautive du travailleur, soit dans sa vie professionnelle, soit dans sa vie privée si les faits sont de nature à entraîner une répercussion sur l’activité professionnelle, (ii) un lien de causalité entre la faute reprochée au travailleur et le licenciement, qui doit être la conséquence directe de la faute et (iii) le licenciement doit être la conséquence équitable de l’attitude fautive. Cette règle implique que le travailleur ait dû savoir ou à tout le moins supposer que sa faute comportait un risque de licenciement.

L’on peut également se référer à un arrêt de la Cour du travail de Mons du 28 juin 2012 (R.G. 2011/AM/437 – également précédemment commenté).

Concernant la troisième condition, cette charge de la preuve a pour conséquence que le risque de non-preuve pèse sur l’ONEm mais ne permet néanmoins pas au chômeur de rester passif. Le cas d’espèce est exemplatif : la chômeuse a été en mesure d’articuler de manière précise les faits susceptibles d’éclairer le contexte d’estompement des valeurs régnant au sein de l’entreprise et l’arrêt commenté retient que l’ONEm « n’apporte pas d’éléments de nature à mettre ces exemples en cause ».


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