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Demande d’aide sociale : obligation de respecter le principe du préalable administratif

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 28 avril 2023, R.G. 2022/AL/566

Mis en ligne le vendredi 28 juillet 2023


Cour du travail de Liège (division Liège), 28 avril 2023, R.G. 2022/AL/566

Terra Laboris

Dans un arrêt du 28 avril 2023, la Cour du travail de Liège (division Liège) rappelle que les juridictions du travail sont compétentes pour connaître des contestations en matière de sécurité sociale, ce qui suppose l’introduction d’une demande administrative auprès d’une institution de sécurité sociale préalablement à l’intentement de la procédure judiciaire.

Les faits

Un demandeur d’asile s’est vu refuser une place d’accueil par FEDASIL, vu la saturation du réseau, bénéficiant cependant d’un code 207. Son conseil a alors mis FEDASIL en demeure de supprimer le code 207 afin de permettre à son client de relever du C.P.A.S. Aucune suite n’a été réservée à cette demande. Une procédure en extrême urgence a été introduite et l’intéressé a obtenu la condamnation de FEDASIL, sans cependant pouvoir l’exécuter.

Il a ensuite introduit deux requêtes devant le Tribunal du travail de Liège. La première est dirigée à l’encontre de FEDASIL et du C.P.A.S, sollicitant la suppression d’un lieu obligatoire d’inscription et demandant le bénéfice de l’aide sociale à charge du C.P.A.S., aide sociale équivalente au revenu d’intégration sociale au taux isolé, ceci en sus de l’assistance sociale, médicale et juridique équivalente à celle qu’aurait dû prodiguer FEDASIL sur la base de la loi « Accueil ». La seconde requête, toujours dirigée contre FEDASIL et le C.P.A.S., demande le bénéfice de l’aide matérielle prévue par l’article 2, 6°, de la loi « Accueil », jusqu’à l’issue de la procédure d’asile.

Dans le cadre de ces deux procédures, le C.P.A.S. a demandé au tribunal de déclarer les demandes dirigées contre lui irrecevables, et ce pour violation du principe du préalable administratif. L’intéressé ne s’est en effet jamais présenté au Centre, n’a communiqué aucun élément quant à sa situation et n’a introduit aucune demande d’aide avant l’intentement des deux procédures. A titre subsidiaire, il plaide que l’état de besoin n’est pas établi.

Le jugement du 17 novembre 2022

Par jugement du 17 novembre 2022, le tribunal a déclaré la demande dirigée à l’encontre de FEDASIL recevable et fondée, disant pour droit que le jugement valait suppression du code 207 et accueillant également la demande de dommages et intérêts, fixés à un euro provisionnel. L’action a également été déclarée recevable à l’encontre du C.P.A.S. et celui-ci a été condamné à octroyer une aide sociale financière équivalente au revenu d’intégration sociale au taux cohabitant, l’affaire étant mise en débats continués à une audience proche afin de permettre au C.P.A.S. de réaliser l’enquête sociale permettant aux parties de débattre contradictoirement de l’aide sociale à titre définitif.

Le jugement est exécutoire de plein droit par provision. Le C.P.A.S. l’a exécuté. Il interjette cependant appel.

Position des parties devant la cour

L’affaire oppose, devant la cour, uniquement le C.P.A.S. et l’intéressé.

Le C.P.A.S. conteste la recevabilité de la demande dirigée à son encontre, vu l’absence de préalable administratif (non-présentation au Centre, absence de communication du moindre élément quant à la situation de l’intéressé et absence d’introduction de la moindre demande d’aide). Subsidiairement, il demande qu’il soit dit pour droit que l’état de besoin n’est pas avéré, la présence de l’intéressé sur le territoire de Liège n’étant par ailleurs pas acquise.

Quant au demandeur originaire, il considère que l’appel du C.P.A.S. doit être jugé irrecevable, le jugement dont appel étant une décision avant dire droit non appelable (article 1050, alinéa 2, du Code judiciaire). Subsidiairement, il postule que celui-ci soit jugé non fondé, le C.P.A.S. ne contestant pas les moyens retenus par le tribunal pour rejeter la contrainte du préalable administratif.

L’avis du ministère public

Le ministère public considère que l’appel du C.P.A.S. est recevable, s’agissant d’un jugement mixte, et qu’il est fondé, la demande originaire devant être déclarée irrecevable pour violation du principe du préalable administratif. En conséquence, les sommes faisant l’objet de la condamnation doivent être restituées.

La décision de la cour

La cour tranche les deux points relatifs à la recevabilité. Le premier concerne le caractère appelable du jugement dont appel et le second la recevabilité de la demande originaire.

Pour ce qui est du jugement rendu, la cour reprend l’article 1050 du Code judiciaire tel que modifié par la loi du 19 octobre 2015, ainsi que l’article 19, alinéa 3, du même Code. Il découle de ces dispositions qu’un jugement peut être en partie définitif et en partie avant dire droit, soit « mixte », et que, même s’il contient une ou plusieurs dispositions avant dire droit, il est immédiatement appelable pour le tout dès le moment où au moins l’un des chefs définitifs contenus dans la décision est frappé d’appel. En outre, un jugement statuant sur la recevabilité contestée d’une demande est un jugement définitif, même s’il ne tranche pas le fond.

Tel et le cas en l’espèce, le premier juge ne s’étant pas limité à ordonner une mesure avant dire droit.

Pour ce qui est de la recevabilité des demandes originaires à l’encontre du C.P.A.S., la cour renvoie à plusieurs de ses décisions (dont C. trav. Liège, div. Liège, 10 mai 2017, R.G. 2015/AL/555), posant la règle selon laquelle le justiciable ne peut saisir les juridictions du travail d’une demande principale portant sur le droit subjectif à une prestation sociale sans qu’elle n’ait été précédée ou dû être précédée d’une procédure administrative concernant cette prestation, que celle-ci ait lieu sur demande ou d’office. A défaut, la demande est irrecevable.

La cour rappelle que l’exigence de cette procédure préalable découle de la nécessité de l’existence d’une contestation afin de pouvoir saisir le juge. Elle renvoie également à l’arrêt de la Cour de cassation du 27 septembre 2010 (Cass., 27 septembre 2010, n° S.09.0080.F) rendu en matière de C.P.A.S., où celle-ci enseigne que toute personne peut former un recours auprès du tribunal du travail contre une décision en matière d’aide individuelle prise à son égard par le conseil du C.P.A.S. ou l’un des organes auxquels celui-ci a délégué des attributions, et il en est de même lorsqu’un des organes du Centre a laissé s’écouler, sans prendre de décision, un délai d’un mois à compter de la réception de la demande (article 71 de la loi du 8 juillet 1976). Le tribunal est dès lors compétent pour connaître des recours formés contre les décisions du C.P.A.S. et contre les absences de décision de ce dernier nonobstant une demande.

En l’espèce, il ne ressort d’aucun élément du dossier qu’une demande d’aide quelconque aurait été introduite. La demande est dès lors irrecevable. Il y a violation du principe du préalable administratif et des articles 580, 8°, d), du Code judiciaire et 71 de la loi du 8 juillet 1976.

En conséquence, la cour fait également droit à la demande de restitution des sommes payées dans le cadre de l’exécution provisoire du jugement dont appel.

Intérêt de la décision

Le premier point tranché par la cour, relatif à la recevabilité de l’appel, a donné lieu à diverses réactions en jurisprudence, suite à la modification de l’article 1050 du Code judiciaire par la loi du 19 octobre 2015 « dite loi ‘’Pot-Pourri I’’ ». Ce texte impose, en présence d’une décision avant dire droit, d’interjeter appel avec le jugement définitif, la décision elle-même n’étant pas appelable. La définition du jugement avant dire droit est donnée à l’article 19, alinéa 3, du Code judiciaire, celui-ci disposant que le juge peut, avant dire droit, à tout stade de la procédure, ordonner une mesure préalable destinée soit à instruire la demande ou à régler un incident portant sur une telle mesure, soit à régler provisoirement la situation des parties. La question se pose généralement en cas de mesure d’expertise.

Dans un arrêt du 25 mai 2021 (C. trav. Liège, div. Liège, 25 mai 2021, R.G. 2020/AL/124), la Cour du travail de Liège (division Liège) a retenu comme conclusion quant à la règle applicable qu’un jugement ordonnant une mesure destinée à instruire la demande (en l’espèce une expertise) ne sera en règle appelable que si les premiers juges ont épuisé leur juridiction sur la recevabilité de la cause, ou sur tout ou partie du fond de celle-ci (et que l’un de ces points fait l’objet de l’appel). Seule cette position paraît respecter le prescrit de l’article 1050, alinéa 2, du Code judiciaire. En effet, considérer que le simple fait qu’une demande d’expertise soit contestée suffit pour rendre la décision d’ordonner celle-ci appelable (dès lors qu’en ordonnant l’expertise, les premiers juges épuiseraient leur juridiction sur une question litigieuse) revient à priver largement l’article 1050, alinéa 2, d’effet utile, ce que le législateur n’a pas pu vouloir.

En règle, l’on peut retenir que, pour qu’il puisse s’agir d’un jugement mixte, il faut que le tribunal ait épuisé sa juridiction sur une question litigieuse (C. trav. Mons, 25 novembre 2020, R.G. 2019/AM/430).

Le second point d’intérêt concerne bien évidemment l’obligation pour le demandeur d’une prestation sociale de saisir, d’abord, l’institution de sécurité sociale et d’introduire une demande. Le recours immédiat aux juridictions du travail n’est en effet pas autorisé, l’article 580, 8°, d), du Code judiciaire donnant, pour ce qui est de la matière de l’aide sociale, compétence aux juridictions du travail pour connaître des contestations relatives à l’application de la loi. En l’absence de contestation, l’action n’est pas recevable.


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