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Cumul entre une indemnité pour licenciement discriminatoire et pour licenciement manifestement déraisonnable ?

Commentaire de Trib. trav. Liège (div. Verviers), 25 janvier 2023, R.G. 22/138/A

Mis en ligne le mardi 13 juin 2023


Tribunal du travail de Liège (division Verviers), 25 janvier 2023, R.G. 22/138/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 25 janvier 2023, le Tribunal du travail de Liège (division Verviers) conclut, avec un courant de jurisprudence, au non-cumul entre une indemnité C.C.T n° 109 et la réparation d’un licenciement discriminatoire au sens de la loi du 10 mai 2007.

Les faits

Après une période d’incapacité de travail, une employée s’est vu signifier son licenciement le jour de la reprise. Une indemnité compensatoire de préavis correspondant à un délai de préavis de treize semaines lui a été versée.

Celle-ci a sollicité de son ancien employeur la précision des motifs de son licenciement en application de la C.C.T. n° 109 et il a été fait droit à cette demande, l’employeur lui adressant un courrier recommandé. Celui-ci est cependant revenu, n’ayant pas été réclamé.

L’intéressée a introduit une procédure devant le Tribunal du travail de Liège (division Verviers), demandant le paiement de l’amende civile, d’une indemnité pour licenciement manifestement déraisonnable, ainsi que d’une autre, pour discrimination. Des postes de demande annexes figurent également dans le recours.

La décision du tribunal

Suite à une régularisation partielle de l’employeur, restent en débat les chefs de demande relatifs à la C.C.T. n° 109 ainsi qu’à l’indemnité pour licenciement discriminatoire.

La demande de paiement de l’amende civile est rejetée. Le tribunal, après le rappel des règles sur la question, a constaté que le courrier recommandé avait été adressé dans le délai légal et qu’il est très détaillé, exposant les divers griefs de l’employeur (étrangers à l’incapacité de travail : absences injustifiées ou non justifiées à répétition, utilisation des moyens de paiement de la société sans autorisation, erreurs dans les paiements, travail bâclé au niveau de la comptabilité, etc.).

Pour ce qui est de l’indemnité elle-même, le tribunal reprend les dispositions correspondantes de la C.C.T., avec le commentaire des articles rédigé par les interlocuteurs sociaux et le rapport précédant la C.C.T. elle-même. Il rappelle la jurisprudence à propos du comportement du travailleur (C. trav. Bruxelles, 22 octobre 2018, R.G. 2016/AB/479), étant exigée par l’article 8 de la C.C.T. une conduite déterminée, à l’origine du licenciement, que celle-ci soit fautive ou non. Le seul fait d’invoquer une conduite ne permet cependant pas à l’employeur de s’exonérer de l’obligation de payer l’indemnité pour licenciement manifestement déraisonnable. Le juge doit vérifier si le motif est réel et, également, s’il n’en cache pas d’autres (inavouables).

En l’espèce, le tribunal reprend l’ensemble des griefs repris dans la lettre envoyée par la société. L’examen des pièces est peu concluant, celles-ci étant passées en revue. Il en conclu que la société ne démontre pas la réalité des motifs invoqués mais que, par contre, l’employée soulève quant à elle le motif lié à son état de santé, le licenciement étant intervenu le jour de son retour au travail et le gérant ayant, dans un courrier, fait état du lien entre les absences et l’accumulation des journées de maladie. Le tribunal en conclut au droit pour l’intéressée de bénéficier d’une indemnité, qu’il fixe à quinze semaines.

Il entreprend, ensuite, l’examen de la question du licenciement discriminatoire, rappelant les règles générales de la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre certaines formes de discrimination.

Il n’envisage, sur ce chef de demande, qu’un seul point, étant la question du cumul avec l’indemnité sur la base de la C.C.T. n° 109. Celle-ci n’est pas cumulable avec une autre indemnité due par l’employeur à l’occasion de la fin du contrat de travail, à l’exception d’une indemnité de préavis, d’une indemnité de non-concurrence, d’une indemnité d’éviction ou d’une indemnité complémentaire qui est payée en plus des allocations sociales (article 9, § 3, de la C.C.T).

Le tribunal renvoie à la doctrine (A. FRY, « La C.C.T. 109 : amende civile et indemnités pour licenciement manifestement déraisonnable », Actualités et innovations en droit social, CUP, Anthémis, 2019, p. 113 ; S. GILSON et F. LAMBINET, « Fifteen shades of C.C.T. 109. Les 15 degrés du manifestement déraisonnable », Droit du travail tous azimuts, CUP, Larcier, 2016, p. 263), qui retient que ce cumul est exclu par la C.C.T. n° 109 et qu’en outre, un même dommage ne peut être indemnisé deux fois.

Le tribunal renvoie également à un jugement du Tribunal du travail du Hainaut (Trib. trav. Hainaut, div. Charleroi, 6 novembre 2018, R.G. 15/4.156/A) ainsi qu’à un autre du Tribunal du travail de Liège (Trib. trav. Liège, div. Liège, 12 janvier 2021, R.G. 19/302/A). Selon cette jurisprudence, les deux indemnités ont un fondement et un objet identiques, le fondement étant le motif du licenciement – motif illégitime – et l’objet étant la sanction de la faute de l’employeur qui n’est pas prudent et diligent.

Le tribunal conclut à l’interdiction de cumul. Il précise encore que la sanction est le même comportement de l’employeur et que le dommage est le même, étant celui causé par ce comportement. Ce chef de demande est dès lors rejeté.

Le tribunal en vient encore à l’examen d’autres postes plus factuels.

Intérêt de la décision

La question du cumul des indemnités a fait l’objet de commentaires en doctrine et en jurisprudence. Les solutions retenues, allant dans le sens de l’interdiction du cumul, ne manquent cependant pas de laisser le praticien sur sa faim.

Les décisions citées, ainsi que celle commentée, se réfèrent à deux contributions doctrinales, rédigées par des auteurs faisant autorité. Les arguments en faveur de l’interdiction de cumul sont d’une part le texte de l’article 9 lui-même, qui vise « toute autre indemnité qui est due par l’employeur à l’occasion de la fin du contrat de travail, à l’exception (...) » ou l’identité d’objet.

Ainsi, dans son jugement du 6 novembre 2018, le Tribunal du travail du Hainaut (division Charleroi) a jugé que, à supposer que l’on puisse considérer que le texte de l’article 9, § 3, de la C.C.T. n° 109 n’exclut pas le cumul entre l’indemnité pour licenciement manifestement déraisonnable et l’indemnité pour licenciement discriminatoire due sur la base de la loi du 10 mai 2007, il n’en demeure pas moins que, en toute hypothèse, l’arrêt de la Cour de cassation du 20 février 2012 (n° S.10.0048.F) ne permettrait pas d’avaliser cette thèse, dans la mesure où l’une et l’autre de ces deux indemnités ont une cause (l’(il)légitimité du/des motif(s) ayant présidé au licenciement) et un objet (sanctionner la faute de l’employeur qui a licencié un travailleur pour un motif illégitime) identiques. Le travailleur dispose donc d’une option entre les deux indemnités, et non d’une possibilité de cumuler les deux.

Le Tribunal du travail de Liège a pour sa part fait valoir dans son jugement du 12 janvier 2021 à la fois le texte de l’article 9 et la circonstance que les deux indemnités ont le même objet : sanctionner le comportement d’un employeur qui n’aurait pas agi conformément à ce que l’on peut attendre d’un employeur normalement prudent et diligent. Il a pour le surplus renvoyé au jugement du Tribunal du travail du Hainaut (division Charleroi) du 6 novembre 2018 ci-dessus (R.G. 15/4.156/A).

Force est ici tout d’abord de constater que l’indemnité pour licenciement discriminatoire ne vient pas sanctionner « le comportement d’un employeur qui n’aurait pas agi conformément à ce que l’on peut attendre d’un employeur normalement prudent et diligent ». La législation en matière de discrimination, d’ordre public, est une transposition du droit européen (Directive n° 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 portant un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail). Le fondement du droit à l’indemnité est la sanction du comportement de l’employeur qui ne respecte pas un principe fondamental du droit de l’Union, étant le principe d’égalité entre les travailleurs, égalité dont une des formes se décline dans l’interdiction de discriminer pour des motifs visés et précisés par le législateur européen. Il nous semble à cet égard que la conclusion de l’identité des objets ne correspond pas à la finalité des deux textes.

Rappelons en outre que l’arrêt de la Cour de cassation du 20 février 2012 (précédemment commenté) a été rendu non sur un cumul entre les indemnités pour discrimination et licenciement manifestement déraisonnable, mais pour un cumul entre les indemnités de protection au sens de la loi du 19 mars 1991 et une convention collective sectorielle relative à la sécurité d’emploi. Elle a conclu que les indemnités pouvaient être cumulées, la C.C.T. sectorielle sanctionnant le non-respect des formalités qui auraient dû être respectées avant la décision de rupture et la loi du 19 mars 1991 ne visant pas que le non-respect des procédures mais posant un principe général d’interdiction de licenciement d’un travailleur délégué. Pour la Cour de cassation, la cour du travail pouvait conclure au cumul par la considération que les indemnités de sécurité d’emploi et de protection du délégué ou candidat-délégué obéissait à des finalités distinctes et réparaient des dommages distincts, la première ayant pour objet de prévenir la rupture du contrat de travail et ayant ainsi un caractère purement indemnitaire protégeant des intérêts privés, alors que la seconde revêt un caractère de sanction civile à l’égard de l’employeur qui, par le licenciement en violation de la protection légale d’ordre public, porte atteinte au bon fonctionnement des organes de la concertation sociale.

Il est par ailleurs utile de relever la position de la Cour du travail de Mons, qui, dans un arrêt du 23 septembre 2022 (C. trav. Mons, 23 septembre 2022, R.G. 2021/AM/102) a admis ce cumul, comme elle le fera un peu plus tard dans un arrêt du 21 octobre 2022 (C. trav. Mons, 21 octobre 2022, R.G. 2022/AM/91) pour un cumul de l’indemnité pour licenciement discriminatoire et celle due en application de la C.C.T. n° 103.

Reste le texte de l’article 9 de la C.C.T., qui ne manque cependant pas de poser question, lorsque l’on est en présence d’une autre sanction au licenciement, organisée par une législation d’ordre public.

Comme relevé par le Tribunal du travail de Liège dans son jugement du 12 janvier 2021, la solution – dans l’attente d’une décision de la Cour de cassation – est de postuler à titre principal l’indemnité la plus élevée et à titre subsidiaire l’autre, rien n’empêchant cependant de faire l’inverse...


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