Terralaboris asbl

Evénement soudain : première condition légale de l’accident du travail

Commentaire de C. trav. Mons, 5 juin 2023, R.G. 2022/AM/105

Mis en ligne le jeudi 28 mars 2024


C. trav. Mons, 5 juin 2023, R.G. 2022/AM/105

Dans un arrêt du 5 juillet 2023, la Cour du travail de Mons rappelle qu’il ne faut pas confondre l’examen de l’existence d’un événement soudain et le lien entre celui-ci et la lésion : le lien caténaire entre l’événement soudain et la lésion relève de l’examen du lien causal mais non de la détermination de l’événement soudain lui-même

Les faits

Un employé du secteur privé fut victime d’un AVC lors d’une réunion d’audit organisée par son employeur.

Trois semaines plus tard il introduisit une déclaration d’accident du travail.

L’assureur-loi refusa son intervention, au motif que l’exercice même normal de la tâche journalière peut être constitutif d’un événement soudain à la condition toutefois qu’un élément particulier puisse être décelé et soit susceptible de provoquer la lésion. En l’espèce, pour l’assureur, aucun élément particulier " extérieur à l’organisme » ne pouvait être épinglé. La lésion serait survenue sans événement soudain à son origine, le courrier précisant que selon les éléments recueillis, l’audit réalisé ce jour-là était effectué chaque année et n’était pas générateur de stress ou de travail supplémentaire.

L’intéressé contacta Fedris par l’intermédiaire de son organisation syndicale et une enquête fut menée par l’Agence. Renvoyant aux procès-verbaux d’audition et aux conclusions du contrôleur social concernant les causes et les circonstances de l’accident, Fedris conclut à l’existence d’un événement soudain, étant une situation de stress croissant ayant trouvé son apogée lors de l’audit. Fedris ajoutait de la jurisprudence confirmant sa conclusion.

Trois mois plus tard, Fedris informa l’assureur de son intention de porter le litige en justice à l’expiration d’un délai de trois mois (article 63, § 1er, alinéa 3, de la loi du 10 avril 1971), ce qui fut fait. L’assureur, la mutuelle et la victime étant appelés à la cause.

Le jugement du tribunal du travail

Le tribunal statua par jugement du 1er décembre 2021, concluant à l’absence d’accident du travail et déboutant, ainsi, Fedris de sa demande.

La mutuelle fut également déboutée de la sienne.

La décision de la cour

La cour procède en premier lieu à un rappel des règles relatives à l’événement soudain, dans le cadre de la loi du 10 avril 1971. Renvoyant à l’important arrêt de la Cour de cassation du 28 mars 2011 (Cass., 28 mars 2011, S.10.0067.F), elle rappelle que ce n’est que si l’événement soudain n’est pas prima facie susceptible d’entraîner la lésion que les conditions de l’accident du travail ne sont pas réunies. Elle reprend l’enseignement de la Cour de cassation dans cet arrêt, qui a reproché à la cour du travail d’avoir ajouté à la loi des exigences supplémentaires, étant que non seulement un fait déterminé devait être prouvé, fait appartenant à l’exécution normale et habituelle de la tâche journalière, mais encore qu’existaient des circonstances particulières venant s’ajouter au stress de la fonction et aux efforts normaux qui devaient être fournis.

Elle examine ensuite les éléments lui soumis, quant aux circonstances de l’accident. L’intéressé avait une ancienneté de plus de 35 ans, était employé commercial et avait été soumis depuis plusieurs années à un stress lié au travail (risque de perdre son emploi eu égard au changement de direction de l’entreprise, perte du client le plus important du portefeuille et instructions données par la direction l’invitant à retrouver un chiffre d’affaires équivalent à celui réalisé avant la perte dudit client).

Elle retient un événement particulier survenu la semaine avant les faits litigieux, étant une réunion où lui avait encore été rappelée la nécessité de faire un meilleur chiffre, et où il avait réagi de manière étrange (quittant la réunion sans un mot).

En revanche, les parties sont opposées sur l’existence d’un élément particulier constitutif d’événement soudain lors de la réunion d’audit elle-même,
le responsable des achats de la société ayant même signalé que le jour des faits il n’avait rien remarqué de particulier, l’intéressé n’étant pas de manière générale particulièrement stressé.

Pour la cour, l’audit étant régulier (intervenant tous les ans) et l’intéressé y ayant déjà pris part très souvent, celui-ci peut être considéré comme un acte habituel de son activité professionnelle.

Si, lors de la réunion en question, il a soudainement tenu des propos incohérents et s’est effondré, ces circonstances peuvent être comparées aux faits ayant donné lieu à l’arrêt de la Cour de cassation du 13 octobre 2003 (Cass., 13 octobre 2003, S.0200.48.F), s’agissant du stress découlant de la rédaction d’un rapport ainsi qu’à une décision de la Cour du travail de Liège (C. trav. Liège (div. Liège), 19 mars 2018, R.G. 2016/AL/766 et 2017/AL/23) pour celui lié à des difficultés d’implémentation d’un programme informatique. Pour la cour il y a chaque fois un événement déterminé dans le temps et dans l’espace, identifié et identifiable.

Quant à l’existence d’un stress antérieur, renvoyant ici également au même arrêt de la Cour du travail de Liège du 19 mars 2018, elle précise qu’un incident répété ou qui constitue « la dernière goutte d’eau qui a fait déborder le vase » n’en est pas moins un (potentiel) événement soudain. Pour ce qui est du lien caténaire entre l’événement soudain et la lésion, ceci relève de l’examen du lien causal mais non de la détermination de l’événement soudain lui-même.

Sur le lien de causalité en lui-même, la cour constate qu’aucune des parties ne s’est expliquée. La présomption de l’article 9 de la loi, instaurée au bénéfice du travailleur, est réfragable.

La cour juge sur ce point nécessaire d’ordonner une réouverture des débats, l’assureur étant autorisé à établir que les lésions n’ont pas été causées ou favorisées même partiellement par l’événement soudain mais qu’elles trouvent leur cause exclusive dans un autre événement ou dans une prédisposition pathologique de la victime, celle-ci n’étant – même partiellement – pas modifiée par l’accident.

L’assureur doit prouver que ces lésions se seraient produites de la même manière et avec la même ampleur sans l’événement soudain.

La cour réserve dès lors à statuer pour le surplus.

Intérêt de la décision

Il n’est plus contesté que le stress peut donner lieu à la reconnaissance de l’accident du travail. Quelques points importants sont repris dans l’arrêt quant à la prise en compte de celui-ci en tant qu’événement soudain permettant l’application de la loi.

La cour du travail renvoie à juste titre sur ce point à un arrêt fondamental de la Cour de cassation du 13 octobre 2003. Cet arrêt est venu confirmer une jurisprudence antérieure de la Cour (Cass., 14 février 2000, RG S.98.0136.F, - la cour du travail ayant retenu comme événement soudain le fait que le travailleur avait dû se baisser pour ramasser son badge tombé dans l’autobus dont il était le chauffeur), qui enseigne que l’exercice habituel et normal de la tâche journalière peut être un événement soudain à la condition que, dans cet exercice, puisse être décelé un élément qui a pu produire la lésion, n’étant pas exigé que cet élément se distingue de l’exécution du contrat de travail. Dans cette décision du 13 octobre 2003, elle a précisé que, pour dénier l’existence d’un événement soudain ayant pu causer l’infarctus du demandeur, l’arrêt de la cour du travail considérait notamment qu’« en matière d’infarctus sur les lieux de travail, [...] un stress professionnel [...] lié à la fonction exercée ou à des conditions de travail inhérentes à cette fonction » ne « (pouvait) constituer l’événement soudain » et qu’« en l’espèce, [...] il s’agi(ssai)t bien d’un stress professionnel dû aux conditions de travail inhérentes à la fonction [du demandeur], la rédaction d’un rapport sollicité par le responsable de la production des sauces ne pouvant constituer l’élément particulier ». Pour la Cour de cassation, l’arrêt, qui écarte la rédaction de ce rapport parce qu’il ne s’agit pas d’un élément particulier, distinct de l’exécution du contrat, viole les articles 49 de la Constitution ainsi que 7 et 9 de la loi du 10 avril 1971 sur les accidents du travail.

L’arrêt commenté reprend également la question de « la goutte d’eau qui fait déborder le vase », précisant que cette circonstance n’est pas élisive d’un événement soudain, seul devant être recherché si la victime ‘pointe’ un élément, identifié dans le temps et dans l’espace, susceptible d’avoir causé la lésion.

Enfin, la cour, qui a ordonné la réouverture des débats sur le lien causal a souligné que dans sa démarche en vue de renverser la présomption légale, l’assureur est tenu de prouver que ces lésions se seraient produites de la même manière et avec la même ampleur sans l’événement soudain identifié.


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be