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Pensions complémentaires : règles de prescription

Commentaire de Trib. trav. Hainaut (div. Mons), 23 octobre 2023, R.G. 21/1.007/A

Mis en ligne le vendredi 1er mars 2024


Trib. trav. Hainaut (div. Mons), 23 octobre 2023, R.G. 21/1.007/A

Terra Laboris

Le Tribunal du travail du Hainaut (division Mons), fait, dans un jugement du 23 octobre 2023, le point sur les règles de prescription en matière de pensions complémentaires et admet en l’espèce l’octroi de celles-ci au personnel engagé sous statut TCT et PRIME.

Les faits

Une employée est entrée au service d’une ASBL le 1er juin 1983 dans le cadre du programme de promotion de l’emploi dénommé ‘Troisième circuit de travail’.

En 1991, un nouveau contrat a été conclu avec la même ASBL dans le cadre du système Prime, successeur du précédent.

Elle est restée au service de cette ASBL ultérieurement comme Aide à la promotion de l’emploi (APE), contrat conclu le 1er janvier 2004. A partir de cette date, elle a été affiliée au plan de pension complémentaire mis en place par l’Union nationale des Mutualités dont l’ASBL employeur fait partie. Ce plan de pension est géré et financé dans le cadre d’une assurance de groupe souscrite auprès d’une compagnie d’assurance.

Les règlements de pension, qui ont varié au fil du temps – de même que les conditions d’affiliation -, couvrent les risques de décès et vie.

Pour ce second risque, il s’agit d’un engagement de type « prestations définies », qui signifie que l’engagement de l’employeur porte sur l’octroi d’une prestation déterminée à l’âge de la retraite. Celle-ci est le résultat d’une formule obtenue à partir des différents facteurs repris au règlement.

La demanderesse a reçu des fiches de pension mentionnant les garanties assurées et donnant les éléments de calcul. Des informations plus détaillées ont été reprises sur les fiches annuelles à partir de 2018.

Les relations de travail ont pris fin le 23 février 2021.

Avec d’autres membres du personnel, elle a sollicité son affiliation à partir de son entrée en service, soit le 1er juin 1983.

L’Union nationale répondit négativement à la demande par la voie de son conseil, au motif de la nature de l’occupation, les contrats T.C.T. et Prime ne pouvant être considérés comme des « contrats d’emploi statutaire » au sens des règlements de pension. Pour ce qui est de certains travailleurs occupés dans le cadre d’un contrat du Fonds budgétaire interdépartemental de la promotion de l’emploi – FBIE- il y eut cependant accord en vue de régulariser l’affiliation à dater de leur entrée en service sous ce type de contrat.

La demanderesse n’étant pas visée par cette mesure, une procédure fut introduite devant le tribunal du travail du Hainaut, division Mons.

La décision du Tribunal

Une première question oppose les parties, étant l’intérêt à l’action. Celui-ci, contesté par les parties défenderesses (ASBL employeur et Union nationale), est admis par le tribunal, qui considère que la demanderesse a un intérêt à introduire une action tendant à ce que ses droits soient correctement calculés dès lors que ceux-ci font dès à présent l’objet d’une menace grave et sérieuse de nature à y porter atteinte.

Une deuxième question est relative à la prescription, les défenderesses considérant ici également que l’action ne peut aboutir. Elles se fondent sur la loi du 15 mai 2014 portant des dispositions diverses, qui a introduit un nouvel article 55 dans la loi sur les pensions complémentaires, article contenant une règle de prescription de 5 ans à partir du jour suivant celui où le travailleur ou l’affilié lésé a eu connaissance ou aurait dû raisonnablement avoir connaissance soit de l’événement qui donne ouverture à l’action soit du dommage et de l’identité de la personne responsable.

Le tribunal reprend longuement l’objectif du législateur (qui est de prévoir un délai de prescription unique en matière de pension complémentaire) ainsi que le point de départ du délai. Il ressort des travaux préparatoires que le délai de prescription ne commence à courir qu’au moment où la personne qui s’estime lésée dispose de l’ensemble des informations nécessaires ainsi que de tous les documents pertinents lui permettant d’évaluer les chances de succès de son action. Le tribunal souligne le caractère particulièrement complexe de la matière et l’éventuelle nécessité de solliciter l’aide de tiers spécialistes.

Se pose ici un problème supplémentaire, étant que la nouvelle disposition est entrée en vigueur le 29 avril 2014. Un régime transitoire a été prévu et le tribunal en reprend les conditions. Une analyse en deux temps doit être faite : (i) l’action était-elle déjà prescrite sous l’empire de l’ancienne réglementation ? et (ii) dans la négative, est-elle prescrite en application de la nouvelle disposition (étant entendu que la prescription ne peut commencer à courir au plus tôt qu’à dater de l’entrée en vigueur de la règle nouvelle pour les actions ayant pris naissance avant celle-ci et que la durée totale du délai ne peut dépasser celle de l’ancienne loi) ?

Le tribunal note que sous l’empire de l’ancienne réglementation, il était renvoyé à l’article 15 de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail, s’agissant d’une action naissant du contrat. Il rappelle l’arrêt de la Cour de cassation du 13 novembre 2006 (Cass., 13 novembre 2006, S.05.0111.N), rendu à propos d’une action en paiement d’un capital de pension complémentaire. La Cour y enseigne que le délai de prescription d’un an de l’article 15 ci-dessus ne peut commencer à courir avant que le capital de pension ne soit exigible.

Le tribunal poursuit qu’il en va de même pour les demandes relatives à l’apurement des réserves acquises manquantes et pour le déficit par rapport à la garantie de rendement en application de l’article 30 de la loi sur les pensions complémentaires. Le délai ne commence à courir qu’à dater du jour où le droit à ce paiement est exigible.

Il ajoute qu’il en va de même si l’affilié conteste la date de prise de cours de son affiliation au plan de pension complémentaire, date permettant de déterminer la hauteur de l’engagement de pension.
On, en l’espèce se pose la question du point de départ de l’affiliation : 1er juin 1983 ou 1er janvier 2004.

Après avoir examiné les anciennes dispositions légales, le tribunal constate que l’action de la demanderesse doit être considérée comme une action née du contrat de travail et qu’il y a lieu d’appliquer l’article 15 de la loi du 3 juillet 1978. Celui-ci doit être combiné avec l’article 2257 de l’ancien Code civil, en vertu duquel une prescription ne peut prendre cours avant que la créance ne soit exigible, c’est-à-dire ici avant que la prestation de pension complémentaire (/ le capital de pension) ne puisse être exigé par la demanderesse, à savoir la date de prise de cours de la retraite.

Lorsqu’elle introduit une action aux fins de solliciter la reconnaissance de ses droits à une pension complémentaire et demande au tribunal, pour la détermination de ceux-ci, qu’il soit tenu compte pour le facteur carrière de la totalité de celle-ci et non uniquement de celle à partir du 1er janvier 2004, ce n’est pas son affiliation au plan de pension que la demanderesse sollicite, mais bien un calcul de ses droits en tenant compte d’une date d’affiliation ayant pris cours au 1er juin 1983.

Pour le tribunal, l’on ne peut dès lors considérer que le point de départ du délai de prescription serait la date de non-affiliation au règlement de pension, ni même la date de prise de cours de l’affiliation telle que déterminée par les parties défenderesses, ou encore la date de la communication de la première fiche de pension disponible (ce qui correspondrait au ‘fait ayant donné naissance à l’action’). L’action n’était dès lors pas prescrite sous l’empire des anciennes dispositions légales.

Il faut ensuite vérifier si la prescription est acquise en application du nouvel article 55 de la loi sur les pensions complémentaires, étant de savoir - condition nouvelle - si la demanderesse a eu (/ou aurait dû raisonnablement avoir) connaissance de l’événement donnant ouverture à l’action, ou du dommage et de l’identité de la personne responsable).

Pour les défenderesses, deux dates peuvent être prises en compte, étant le jour où la demanderesse a effectivement été affiliée au plan de pension complémentaire, étant le 1er janvier 2004 ou à tout le moins celui où elle a reçu sa fiche de pension mentionnant comme date d’affiliation celle du 1er janvier 2004.

Pour le tribunal, ces dates ne peuvent pas être retenues comme celles où elle a eu la prise de connaissance requise, et ce pour plusieurs motifs.

Les travaux préparatoires précisent en effet que la partie qui s’estime lésée doit disposer de l’ensemble des informations nécessaires et de tous les documents pertinents lui permettant d’évaluer les chances de succès de son action. Par ailleurs, il ne résulte d’aucun élément que les règlements de pension ou tout document d’information lui auraient été remis. Enfin, le simple fait d’avoir été affiliée et la mention de la date d’affiliation sur une fiche de pension ne sont pas suffisants.

Pour le tribunal, en tout état de cause, la prescription ne peut être acquise quelle que soit la date retenue, la connaissance étant intervenue dans les 5 années précédant l’introduction de la procédure.

Il ajoute encore qu’au moment de l’introduction de la procédure, l’action n’était pas encore prescrite sur la base des anciennes dispositions légales, la date du terme de l’engagement de pension étant fixée au 1er août 2023 et les prestations de pension complémentaire n’étant pas encore exigibles depuis plus d’un an.

Sur le fond, le tribunal examine successivement les conditions d’affiliation et la notion de contrat de travail statutaire, figurant dans les textes (ceux-ci n’étant pas uniformes). Il considère que, en application de l’article 1156 de l’ancien code civil, il y a lieu d’interpréter la convention en recherchant l’intention réelle des parties plutôt que de s’arrêter au sens littéral des termes utilisés. Il conclut de l’examen des écrits qu’il peut être tenu compte de l’expression utilisée dans l’un des règlements de pension pour déterminer celle reprise dans un autre, et inversement, dès lors qu’il n’apparaît d’aucun élément qu’il aurait été dans l’intention des parties de modifier les conditions d’affiliation dans les divers règlements successifs.

Il en conclut que l’expression implique nécessairement un contrat de travail à durée indéterminée, dès lors que ceci est clairement visé dans un des règlements et que le contrat de travail à durée indéterminée est la forme la plus définitive du contrat de travail. Il retient dès lors que c’est cette forme de contrat qui est visée, les notions d’engagement à titre définitif ou de contrat de travail statutaire n’impliquant pas la réunion de conditions additionnelles à celle d’être engagé dans les liens d’un contrat de travail à durée indéterminée. Le tribunal fait dès lors droit à la demande.

Intérêt de la décision

L’intérêt de ce jugement du tribunal du travail du Hainaut, division Mons, (particulièrement fouillé) réside à la fois dans l’exception de prescription et dans les conditions d’octroi de la pension complémentaire.

L’intéressée, qui avait été affiliée à partir du 1er janvier 2004 au plan de pension complémentaire de l’entreprise, réclamait une régularisation à partir de 1983, étant la prise en compte d’une ancienneté complémentaire de plus de 20 ans.

La question de la prescription de l’action a été très longuement débattue, celle-ci ayant été rendue plus complexe encore par la modification de l’article 55 de la loi sur les pensions complémentaires par la loi du 15 mai 2014 portant des dispositions diverses.

Dans un arrêt du 15 novembre 2006 (cité), la cour de cassation avait jugé qu’il suit des articles 15 de la loi du 3 juillet 1978 et 2257 de l’ancien Code civil que les demandes qui visent l’exécution d’obligations nées d’un contrat de travail dont l’échéance est postérieure à la cessation du contrat sont soumises au délai de prescription d’un an ; ce délai de prescription ne prend cependant cours qu’à cette échéance, la Cour renvoyant à un arrêt précédent (Cass., 21 octobre 2002, S.99.0090.F).

Dans sa mouture actuelle, l’article 55 de la loi du 28 avril 2003 relative aux pensions complémentaires et au régime fiscal de celles-ci et de certains avantages complémentaires en matière de sécurité sociale dispose que toutes les actions entre un travailleur et/ou un affilié, d’une part, et un organisateur et/ou un organisme de pension, d’autre part, dérivant ou ayant trait à une pension complémentaire ou à sa gestion se prescrivent après un délai de cinq ans à partir du jour suivant celui où le travailleur ou l’affilié lésé a eu connaissance ou aurait dû raisonnablement avoir connaissance soit de l’évènement qui donne ouverture à l’action soit du dommage et de l’identité de la personne responsable.

Le tribunal a souligné l’intérêt de cette formulation en rappelant les travaux préparatoires, qui précisent que la partie qui s’estime lésée doit disposer de l’ensemble des informations nécessaires et de tous les documents pertinents lui permettant d’évaluer les chances de succès de son action. Une information incomplète ou parcellaire qui lui aurait été fournie n’est pas suffisante pour faire courir le délai.

L’on notera également quant au fond l’alignement des ‘petits statuts’ pour le droit à l’affiliation, le bénéfice de la pension devant leur être accordé au même titre qu’aux travailleurs bénéficiant de la stabilité d’emploi et leur maintien comme demandeurs d’emploi ainsi que le débiteur de leur rémunération (FOREm) étant des éléments indifférents.

Relevons enfin que la situation tranchée n’est pas isolée, touchant l’ensemble du personnel occupé à l’époque par les ASBL (mutualités) ayant recouru à ces ‘petits statuts’.

(Ce jugement est définitif)


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